Dombes, d’hommes et d’oiseaux La passion de la Dombes

10juin/11Off

De la haie…

Si toutefois Natura 2000 a défini ses priorités, dont la hiérarchisation est fonction d’une part des enjeux que représente le local dans la biodiversité nationale, et d’autre part de la masse budgétaire qui lui est allouée, alors, la haie n’en fait partie. Alors que dans l’application de la Directive Oiseaux, concrétisée sur le terrain par l’extension du périmètre Natura 2000, on s’attachera à réhabiliter la prairie, la haie, complément linéaire de la strate herbacée, et détentrice de plusieurs espèces animales inscrites dans ladite directive ainsi que dans la Directive habitats (Chiroptères [1], est ignorée.

Bresse et Dombes sont sœurs, au point que l’on ne sait pas toujours où commence l’une et où finit l’autre. Toutes deux ont leurs étangs, leurs haies, et il semble qu’on ne leur laissât point d’alternative : le bocage définirait le paysage de la première comme l’étang signe celui de la seconde. Le bocage bressan, ancré dans son paysage depuis le 17ème siècle, et bien qu’ayant… de beaux restes, a souffert encore dans un passé récent. Parlant de la Bresse, on se rendra sans doute bientôt compte qu’on aurait pu anticiper et se préoccuper également d’étudier le potentiel biologique de ses étangs, complémentaires de ceux de la Dombes, et réceptifs à une part de la faune de cette dernière et qui n’y trouverait plus sa place… Mais comme les étangs de Bresse, le « bocage » de Dombes ne suscite qu’insuffisamment d’intérêt, ne fait l’objet d’aucun monitoring. Et il s’altère dans une indifférence qui préoccupe au moins les environnementalistes.

La haie est pourtant omniprésente en Dombes. Celle-ci s’est faite discrète grâce à elle. C’est elle, avant les cultures, qui dissimulait les eaux, seulement perceptibles grâce aux voix sauvages qui en jaillissent. Le nord de la Dombes, plus orienté vers l’élevage, plus prairial, semble avoir mieux conservé son réseau bocager. Mais peut-on seulement parler de bocage ? Peut-être. Et encore, localement seulement on retrouve l’ambiance des chemins creux ombragés et des eaux miroitant à distance au travers des branchages. Élevage, pâtures, des haies pour clôtures…On reconnaît là l’histoire et les premiers rôles dévolus à la haie : séparatrice de parcelles, de propriétés, lieu d’affouage [2] réservé au fermier et de récolte de quelque bois d’œuvre. Au long de l’étang, le rideau d’arbres qui l’enchâsse, clôt la propriété, occulte jusqu’à son existence, en une quête réussie d’intimité.

Mais la haie, basse et buissonnante ou de haut jet, qui sépare les cultures et les pâtures, borde les fossés et les cours d’eau, retient les sols et limite les effets érosifs du vent ou du ruissellement, tamponne certaines pollutions, celle-ci mérite notre attention. A nos yeux elle rompt la monotonie des plaines. Pour la faune, elle crée un univers et en relie d’autres. Elle est relais ou port d’attache. Le saule têtard ou le vieux chêne recèlent en leurs creux aubiers le Pigeon colombin et la Hulotte Strix aluco. La Fouine y gîte comme la Noctule et le Vespertilion [3], en attendant l’heure ou l’ombre remplacera la lumière.

Traversant la prairie en un binôme gagnant, on y verra la Pie-grièche dominer l’épineux, Aubépine ou Epine noire, d’où elle plongera sur sa proie.

Dominée par le Chêne et quelque Frêne, la continentale Fauvette babillarde en laisse échapper son trille vif comme une cascade. Face au soleil, c’est la Fauvette grisette Sylvia communis qui prend le relais d’une courte strophe bondissante et aigrelette, accompagnée de la diatribe soutenue et déconcertante de l’Hypolaïs polyglotte Hypolais polyglotta.

Alors qu’elle est peut encore être considérée comme incompatible avec les modes de production céréalière plutôt adaptés aux grands parcellaires, et alors qu’aucun texte n’interdit de couper une haie, on assiste à des opérations de réhabilitation du bocage, essentiellement en Bresse. Pour exemples, d’une part la Communauté de Communes de Pont de Veyle, laquelle intègre quelques communes du nord-ouest Dombes, et d’autre part le syndicat mixte des Territoires de la Chalaronne, pour ce qui concerne l’aval de cette rivière – nous avons quitté la Dombes des étangs- sous l’impulsion du Contrat de rivière soutenu lui-même par un réseau de partenaires, [4], l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse et la Fédération Départementale de Pêche de l’Ain ont lancé un projet de replantation de haies.

Dans l’Ouest de la Dombes au contact de la rivière Formans, le Syndicat Intercommunal d’Aménagement Hydraulique de Trévoux et des environs (SIAH) appuyé par la Chambre d’Agriculture de l’Ain a prévu de replanter plusieurs kilomètres de haies doublées de bandes enherbées, après que des orages causèrent inondations et coulées de boue.((Brève de territoire, Chambre d’agriculture de l’Ain, n°5 nov. 2010))

Ces attentions sont louables mais sans doute encore loin d’être à la hauteur de la toujours actuelle valeur patrimoniale et paysagère de la haie. Lorsque l’une d’elles a disparu, et que d’aventure – au sens littéral du mot - on la replante, il lui faudra plusieurs décennies pour recouvrer la diversité de son peuplement. Cela prendra moins longtemps pour un arbre fruitier ou un saule que pour un chêne, pour qu’une cavité se creuse et accueille la Huppe fasciée Upupa epos et la Chevêche Athene noctua. Et encore moins longtemps si on ne la détruit pas.

Un grand chêne abattu

Le spectacle de ce grand chêne déraciné, quelles qu'en aient été les raisons, interpelle quant à l'interaction entre pratiques actuelles et maintien de la biodiversité.

Et ce songe était tel, que Booz vit un chêne

Qui, sorti de son ventre, allait jusqu’au ciel bleu ;

Une race y montait comme une longue chaîne ;

Un roi chantait en bas, en haut mourait un Dieu.

((V. Hugo, La Légende des Siècles, 1859, Première Série II))

Il nous faudra compter sur une information continue, sur une véritable stratégie de sensibilisation auprès des exploitants pour que ceux-ci, au moins sur des initiatives individuelles –c’est parfois le cas - commencent de considérer leurs haies sous un angle qui ne serait plus celui de la gêne.

Chevêche d'Athéna

Le peuple de la nuit : Chevêche d'Athéna...

... La Chouette hulotte

...La Chouette hulotte : le Chat-huant

Et pourtant, je ne puis (…)

Entretenir cette calme sagesse qu’il y a longtemps

Le grave maître athénien enseigna aux hommes

L’assurance de soi, la connaissance de soi, la tranquillité d’esprit

Pour voir passer la tête haute les vains fantasmes du monde.

Hélas ! Ce front serein, ces lèvres éloquentes,

Ces yeux qui furent le miroir de l’éternité,

Reposent dans leur propre Colone [5], une éclipse

A dissimulé la Sagesse, et Mnémosyne

N’a plus d’enfant ; et dans la nuit où elle avait prévu

Qu’il s’évaderait facilement, le hibou d’Athéna [6] lui-même s’égara. »

((Oscar Wilde, Humanitad, 1881))

La Pie-grièche écorcheur

Rapace parmi les passereaux, terreur des mille et une pattes, depuis l’araignée Thomise, caméléon à l’affut de l’abeille qui viendra butiner l’églantine, jusqu’au minuscule Rat des moissons dont l’œil s’allume à l’entrée de son nid d’herbe perché.

Pie-grièche écorcheur/mâle Pie-grièche écorcheur/femelle

Mi-faucon guettant sa proie depuis une clôture, le sommet d’une haie, ou un câble électrique qui longe la route secondaire, mi-gros moineau auquel elle emprunte parfois la voix, elle qui, en vraie Diane préfère le silence.

Elégante et sereine, telle est la Pie-grièche écorcheur Lanius collurio, petit seigneur des étés européens qui associe indéfectiblement la haie épineuse et les prés : la première protège sa progéniture, les derniers sont son terrain de chasse.

Un Campagnol a fait les frais de la chasse de ce mâle Pie-grièche, une chenille ceux de sa femelle

Ponctuant son territoire, sa signature annonce son régime alimentaire et règne par la peur sur ses sujets : un garde-manger aux allures de gibet. L’Epine noire et l’Aubépine, à moins que ce ne soit le croc d’un fil barbelé, se font planche à larder, exposant brochettes de Cétoine, de Sauterelle verte, ou encore bras de Campagnol agreste.

En Dombes, la Pie-grièche écorcheur est la plus régulière représentante de sa famille, sans jamais être abondante. On y croise bien occasionnellement quelque Pie-grièche à tête rousse Lanius senator, migratrice en escale, mais cela est bien rare. En hiver presque exclusivement, la Pie-grièche grise Lanius excubitor se substitue à l’écorcheur, préférant comme poste d’affût les câbles du téléphone aux branches d’aubépine.

La Pie-grièche écorcheur est, des oiseaux prairiaux, celui qui devrait s’en sortir le mieux : parce qu’elle ne niche pas au sol et n’est pas assujettie au rythme des fenaisons. Las, la haie n’a pas encore la totale faveur d’un monde agricole, en mutation certes, mais où, perdurent – nécessité ou besoin – des pratiques sans doute désormais révolues. La haie – doit-on encore parler de bocage – recule encore, pressée par une optimisation des temps et coûts de production, héritages du Grand Remembrement des années soixante, confrontée à une mécanique puissante vouée à de vastes parcellaires uniformisés.

Population :

Effectifs toujours sous-estimés du fait de sa discrétion (elle chante rarement) en l’absence de dénombrements spécifiques ; actuellement aucune estimation sérieuse des populations. D’assez commune dans les années soixante et soixante-dix, elle est devenue plus localisée, voire absente de communes dépourvues de bocage et de surface en herbe.  Très belle population en Val de Saône, certaines communes comptant de l’ordre d’une centaine de couples.

Directive oiseaux

La Huppe fasciée

La huppe s’anime d’un va et vient langoureux d’éventail. Dérangé dans sa quête d’un insecte terrestre, un grillon peut-être, l’oiseau semble courroucé. Comme contraint de s’élever du chemin creux d’un vol papillonnant. On entendra mais un peu plus tard son appel comme assourdi, lointain, une onomatopée quasi-parfaite qui lui a donné son nom scientifique (au passage, « Upupa » ne signifiant pas « huppe »!) : « houpoupou »…

La Huppe fasciée Upupa epops c’est une part d’exotisme dans notre ruralité, un visiteur d’été aux accents subsahariens transposé à nos frais bocages. Grande pourfendeuse de courtilières, alliée du jardinier et autre maraîcher sous nos latitudes, elle devient terreur des criquets et des sauterelles en Afrique, où l’hiver venu elle rejoint des sédentaires conspécifiques. Son nid, elle l’aménage dans un de ces arbres creux, pommiers de ce verger où elle le disputera peut-être à une Chevêche, plus surement encore à un Etourneau sansonnet, un trou dans le chêne de cette haie, dans une fissure du pisé d’un vieux mur de cette ferme.

On l’aura compris, son habitat est composé, varié, de lisières et de vieux arbres, de prés, de jardins et de friches. Tiens comme la Chevêche, ou peu s’en faut !

Commune avant 1960 [7], elle est donnée sur le déclin dès le milieu des années 1970. La tendance, qui ne tient pas qu’à la Dombes, ni à la région Rhône-Alpes, ne s’est pas inversée depuis [8].

Population

Quelques couples en Dombes où sa population décline. Elle est d’observation encore plus régulière en Val de Saône et en Bresse.

Huppe fasciée

Hypolaïs polyglotte

  1. Chauves-souris []
  2. Terme plus généralement appliqué à un droit de récolte du bois « à mette au feu », ou au foyer, dans les parcelles communales []
  3. chauves-souris []
  4. le Conseil Régional Rhône-Alpes, Le Conseil Général de l’Ain []
  5. Colone : bourg de l’Attique, patrie de Sophocle []
  6. Le nom complet de la chevêche est « Chevêche d’Athéna », la déesse dont elle est la compagne de tous les instants. []
  7. Meylan (1938) et Vaucher (1955) in Alain Bernard et Philippe Lebreton :2007, Les oiseaux de la Dombes : une mie à jour []
  8. Les oiseaux nicheurs rhônalpins, 1975, CORA []
16jan/11Off

Visiteurs venus du froid (2) : la Buse pattue

Voir aussi mon album photo éponyme : "Visiteurs venus du froid (2) : la Buse pattue".

L'hiver 2010/2011 n'en finit pas, ainsi, de nous révéler son lot de surprises ornithologiques.

Buse pattue  perchée sur un cèdre
Buse pattue : remarquer les tarses emplumés

Quelques jours après que douze Cygnes chanteurs ont été localisés à l'Est de la Dombes, un ornithologue [1] repère une Buse pattue à proximité d'Ars sur Formans. La probabilité est rarissime de découvrir, et d'identifier une Buse pattue Buteo lagopus parmi la masse de buses variables Buteo buteo hivernantes - bien supérieure à l'effectif estival- omniprésentes sur le bord des routes où, en hiver, les opportunités de se nourrir à bon compte de proies écrasées sont nombreuses. Il fallait donc bien pour cela un ornithologue confirmé.

Celui-ci a-t-il été interpellé par la relative indifférence de ce rapace littéralement scotché autour d'un rond-point à grande circulation, dans l'immédiate proximité de Villefranche-sur-Saône ? Ou lorsqu'elle chassait en vol stationnaire dit du "Saint-Esprit" ? Ce comportement occasionnel chez la Buse variable étant plus caractéristique de la "pattue".

Faire la différence entre les deux espèces de buses est un véritable exercice de style, surtout si on considère la variabilité des plumages de la Buse variable ! Pour faire court, la Buse pattue se reconnait essentiellement au vol à sa queue blanche, ou pâle, avec une (ou plusieurs) barre terminale - ou plutôt subterminale -sombre, à ses "poignets"  également sombres vus de dessous, et à une large zone ventrale sombre également.  Au repos, ses tarses (les pattes) semblent plus courts que ceux de la Buse variable et surtout sont emplumés.

Buse pattue au sol
Buse pattue : ventre largement barré de sombre, bord d'attaque des ailes pâle

Buse pattue : l'envol
Buse pattue : à l'envol base de la queue claire et barre sombre terminale, "poignets" sombres

La Buse pattue est un visiteur hivernal arctique : elle nous gratifie de sa présence pour un second hiver consécutif. En 2007, le CORA ne recensait que 3 citations datant de 1948, 1983 et 1988 ! Sa distribution hivernale s'arrête en principe à nos frontières septentrionales et orientales. En fait, là où s'arrête la distribution estivale de la Buse variable vers le Nord, la Buse pattue la remplace : c'est essentiellement une buse de la toundra où elle se nourrit essentiellement de micro-mammifères , tels que les campagnols.

Celle qui nous rend visite est un jeune.

Son comportement peut paraître déconcertant : elle chasse à l'affût depuis les panneaux indicateurs qui bordent un nœud routier extrêmement fréquenté, plonge sur ses proies par devant les véhicules, se complait à trôner sur un jeune cèdre qui matérialise le centre d'un rond-point. L'oiseau n'a-t-il jamais eu de contact avec l'homme ? Ou bien au contraire, vient-il d'un milieu fortement anthropisé (postulat certes sujet à discussion, car au cœur du grand Nord...) ? Rapidement devenue coqueluche de la communauté ornithologique et photographique locale, elle peut faire montre de quelque lassitude, à changer de perchoir plus fréquemment qu'elle ne le désire, au risque de de multiplier ses risques de collision avec les véhicules. C'est la difficile rançon de sa rareté en ces lieux. Bref, ayant profité également de son apparente passivité, nous souhaitons collectivement que les conditions qui l'ont poussé à stationner en Dombes favorisent sa survie et non l'inverse...

La 1ère version de cet article est rédigée à la mi-janvier  2011. Une conclusion tristement prémonitoire : ce splendide visiteur, trouvera finalement la mort "au bout de la route" un mois plus tard, aux environs du 20 février, percutée par un véhicule...

Quelques photos de Buse variable : testez votre capacité à faire la différence

Buse variable

Buse variable, plumage type

Buse variable perchée, paysage de neige

Buse variable : des tarses plutôt longs et non plumés

Buse variable au sol sur une proie

Buse variable : une queue sans barre terminale sombre, absence de contraste

Buse variable type en vol

Buse variable, "morphe" type, des similitudes avec la "pattue" mais queue sombre

  1. Maxime Birot-Colomb []
9jan/11Off

Visiteurs venus du froid

Voir aussi mes deux albums photos éponymes : "Visiteurs venus du froid" et "Visiteurs venus du froid (2)".

Lorsque les Environnementalistes sont moroses, les Naturalistes eux ont toujours de quoi voir la vie, simplement, en rose. Car, quelle que soit la marche du temps, quelles que soient les évolutions de la biodiversité, dont les plus attendues restent invariablement négatives, un lieu géographique donné apportera toujours son lot de nouveautés, de raretés, parfois d'incongruités ornithologiques. Le Biologiste est supposé avoir un vision élargie des interactions qui ont une incidence sur la distribution et les tendances démographiques des espèces.

Ce qui aujourd'hui est considéré comme un phénomène occasionnel ou exceptionnel comme l'arrivée dans une région d'une espèce inhabituelle, pourrait à terme devenir la normalité : ainsi évolue la vie, qu'on la pousse ou non dans telle ou telle direction. Ces thèmes sont abordés dans deux autres articles : "En hiver" et "L'évolution des populations d'oiseaux".

L'hiver 2010/2011 laissera une trace dans les annales locales et pas seulement parce que notre pays aura été comme  paralysé par quelques flocons, ce qui somme toute change peu à la relative rudesse des hivers tels que perçus habituellement par les Dombistes, du moins lorsque non manipulés par des médias en talons aiguilles et escarpins. En fait la vague de froid qui a déstabilisé l'Europe a également poussé son lot d'oiseaux migrateurs bien au-delà de leur distribution hivernale normale.

Le Cygne chanteur Cygnus cygnus, le Cygne de Bewick Cygnus bewickii sont de ces touristes venus du froid.

La Buse pattue Buteo lagopus également. Cette dernière que nul autre qu'un ornithologue confirmé pourra extraire de la masse des buses variables Buteo buteo, autrement dit notre buse "commune", visibles depuis le bord de nos routes, plus commune d'ailleurs en hiver qu'en été,  nous gratifie de sa présence pour un second hiver consécutif : en 2007, le CORA ne recensait que 3 citations datant de 1948, 1983 et 1988 !

Avant Noël 2010, deux Cygnes de Bewick sont observés au Plantay (01). Du 15 au 20 janvier précédent deux "Bewick" avaient déjà fréquenté la Dombes (Monthieux). La Dombes totalise une quinzaine de mentions depuis 1966 (A. Bernard/CORA-Ain). Le Cygne de Bewick est un hivernant régulier en France depuis 1960 environ. Ses effectifs demeurent néanmoins modestes, navigant entre cent et deux cents oiseaux, répartis notamment entre la Camargue, les lacs et étangs de Lorraine (Forêt d'Orient) et de Champagne (Der-Chantecoq).

Mais 2010 marque surtout un hivernage exceptionnel du Cygne chanteur en Dombes ! C'est la 6ème mention locale de cet oiseau. La dernière remontait à 1998, et au mieux, 7 oiseaux étaient notés au Plantay en 1985 (A. Bernard/CORA-Ain). Cette fois il s'agit d'un groupe de 12 oiseaux. Cet effectif a de quoi être exceptionnel : le Cygne chanteur, bien qu'étant également un hivernant régulier dans notre pays ne totalise qu'occasionnellement une centaine d'individus essentiellement répartis entre les lacs lorrains, champenois et le cours du Rhin.

Des cygnes chanteurs dans un colza

Cygne chanteur

Un afflux de ces deux cygnes septentrionaux en France est le plus souvent lié à un épisode météorologique hivernal particulièrement rigoureux sur leur aire d’hivernage habituelle, très globalement située sur les pays à la périphérie de la Mer du Nord. Les deux espèces se reproduisent essentiellement dans la toundra arctique, le Bewick étant encore le plus septentrional des deux, se cantonnant aux confins de l'Océan Glacial Arctique (Nouvelle Zemble par exemple), le Cygne chanteur se reproduisant plus au sud déjà, en Suède.

Cygne de Bewick

Cygne de Bewick : bien plus petit que le Cygne tuberculé ; bec plus noir que jaune

La présence simultanée de ces deux oiseaux est donc un véritable événement en Dombes. Même si cette région est plutôt coutumière d’hivers plutôt rigoureux, dus à sa situation géographique, et pouvant paraître amplifiés par leurs atteintes physiques sur les paysages : le gel fige les étangs de Dombes 2 à 5 semaines par an. Il n’y a pas si longtemps, au cours de l’hiver 2005/2006, qui avait plus marqué les esprits par son noir épisode d’Influenza aviaire, les étangs n’avaient pas dégelé durant plus de 40 jours d’affilée.

Pour les ornithologues, la recherche annuelle constante et hypothétique de cygnes « au bec jaune » mêlés au millier de cygnes tuberculés constamment en Dombes (au bec orange) est cette fois récompensée. Et pourtant les visiteurs ne se trouvent peut-être pas là où on les escomptait.

Cygne chanteur

Cygne chanteur : grand comme un Cygne tuberculé ; bec plus jaune que noir

Le groupe de cygnes sauvages (autre appellation du Cygne chanteur) arrive en Dombes aux environs de Noël selon la Fédération Départementale des Chasseurs de l’Ain.

Il se cantonne à la périphérie orientale du plateau : moins riche en étangs, ce secteur est moins fréquenté par les ornithologues qui localisent le groupe au cours de la 1ère semaine de janvier (Rémi Rufer). Les oiseaux pâturent sur une parcelle de colza sur la commune de la Tranclière : un comportement terrestre habituel pour cette espèce sur ses lieux d’hivernage. Ils y reçoivent un certain nombre de visites : en effet, à quelques kilomètres près, on n’est bien moins habitué à la présence du cygne qu’en Dombes centrale. La confusion avec le Cygne tuberculé est probable : à l’exception des naturalistes, peu de gens se promènent équipés de jumelles et par ailleurs qui penserait à un « autre » cygne ?

A ceci près qu’en Dombes, au contraire de nombreuses autres régions où il est impliqué dans des déprédations sur des parcelles cultivées, le Cygne tuberculé quitte rarement le domaine aquatique.

Le groupe se lève plutôt mollement au passage d'un engin agricole, et même à l’approche d'un couple bien intentionné venu leur donner du pain. Je tente d’éviter leur fuite par une intervention la plus discrète possible, quelques appels de la main par la fenêtre de mon véhicule. Et informe les visiteurs de la rareté de leur propre observation.

Cygnes tuberculés

Cygne tuberculé (commun) : grand, une silhouette typique, un bec orange vif avec une excroissance charnue à la base

Deux jours plus tard ils se trouvent en matinée sur un étang de Chalamont 11km au sud-ouest (Benmergui/ONCFS), et l’après-midi, km à l’est de l’étang se nourrissant sur un chaume de blé (Laporte & Dej/ONCFS, Guillaume Gayet). On peut encore les y observer au 12 janvier.

Entre le 21 et le 28 janvier ils sont cantonnés sur la limite communale séparant Chatenay de Villette-sur-Ain, sautant d'une parcelle de colza à l'étang gelé proche. Et puis ils disparaissent, retournés semble-t-il  vers des contrées éloignées où glaces et neiges auront perduré.

Cygnes chanteurs sur un étang dombiste gelé

Fin janvier, les cygnes sauvages alternent entre une parcelle cultivée et l'étang voisin gelé

Cygne chanteur et Cygne tuberculé sur un étang gelé

Cygne chanteur et Cygne tuberculé se cotoient à nouveau sur cet étang de Villette (Ain)

Mais là ne s'arrête pas cette chronique qui aura une suite inattendue.

Voici donc qu'un soir de juin 2011, le 7 exactement, je m'arrête sur un étang de Villette. Un couple de cygnes sommeille à proximité d'un distributeur de grains, sur la berge qui me fait face.

Couple de cygnes chanteurs

Deux cygnes se reposent sur la berge de l'étang...

Quoi de plus normal. Coup de jumelle balayant, semi-circulaire. Retour sur image : un doute. Les cygnes ne sont pas des "tuberculés" logiquement attendus ! Il s'agit bien de 2 cygnes chanteurs ! Plus insolite encore, un couple même, qui quittera sa berge, gagnant le centre de l’étang où il se gavera de potamot pectiné. Mieux, les cygnes vont parader, "chanter". Un indice de reproduction inédit sous nos climats.  Coup de fil à un ornithologue référent : Pierre Crouzier. Il  arrive un peu plus tard sur les lieux et assiste aux mêmes démonstrations. Nous ne trouvons pas de nid. Juin : c'est tard pourtant, et si nid il devait y avoir... Deux jours plus tard les oiseaux sont encore sur l'étang.

Les cygnes chanteurs paradent, dans l'Ain. En juin !!!

Deux cygnes chanteurs se nourrissent de potamot

Le couple de cygnes chanteurs se gavent de potamot pectiné

Mais ce sera la dernière observation les concernant. Avons-nous hâté leur départ, ou plutôt leur fuite ? Quel autre élément perturbateur sinon ce couple de cygnes, classiquement "tuberculé" cantonné - tardivement : subadultes , nidification échouée sur un autre site ? Un propriétaire d'étang aurait-il fait la différence entre ces oiseaux et un couple de cygnes tuberculés ? Quel lien entre ces cygnes chanteurs et ceux arrivés en Noël 2010... Sinon que l'étang où ils ont du se cantonner plusieurs semaines durant au moins avant qu'ils soient détectés n'est distant que de quelques centaines de mètres du lieu de leur dernière observation hivernale ?

20déc/10Off

S’il faut conclure

A sa façon, l’insondable histoire de l’évolution se répète donc au creux du pays de Dombes.

L’oiseau, comme la Vouivre tour à tour vénéneuse et enchanteresse, surgit de l’eau. De la Vouivre, il tient du reptile et cache son jeu. Seules ses pattes encore écailleuses trahissent sa maternité sulfureuse, mais il n’en a cure : courtes, il les tiendra sous l’eau, hautes, il les enduira de vase : en séchant la craquelure deviendra sa vraie nature…

"...Ses pattes encore écailleuses..."

"...La craquelure deviendra sa vraie nature..."

Il s’élève dans l’éther, abandonnant à son destin d’animal de ferme le « bec" [1] et le « panot »

La genèse de l’oiseau est, ici plus qu’ailleurs, l’histoire même de l’étang et du premier homme, sans pomme ni frusque, qui l’a modelé, si longtemps après les temps bibliques, et si loin de nous aussi.

Donc, l’oiseau serait d’argile.

D’une terre qui aurait échappé aux gestes d’amour de son créateur.

Comme elle, il s’épanouit en une foison inimaginable de masques aux couleurs du temps, de la forêt, de l’eau, de la terre et du feu.

Comme elle, il est fragile : une fois la vie l’ayant animé, son créateur craint de devoir n’y plus toucher par peur de rompre l’heureux enchantement.

Comme elle, encore fluide, glissant entre les doigts, il est alors impalpable, sauvage, rebelle.

Le sculpteur prend la mesure de sa responsabilité.

Il doit sans cesse composer avec ses enfants à l’adolescence des plus turbulentes. Il doit parfois affirmer son autorité auprès des plus rebelles ; il doit protéger de tous les ogres, le plus insignifiant de ses rejetons.

"...Le plus insignifiant de ses rejetons..."

Il sait qu’il ne doit pas les entraîner tous, sans distinction, sur le dédale de la plus obscure forêt : pour un seul d’entre eux, il ne peut se permettre, il n’en a plus le droit, de tous les perdre.

Les grands chantiers environnementaux en cours sont une opportunité pour la Dombes de conserver ce qui peut encore l’être, de retrouver ce qui n’y trouvait plus sa place, en tout cas ce qui la trouve péniblement ailleurs. Ils instaurent un dialogue, ou en restaurent l’habitude là où elle s’était quelque peu perdue.

Aujourd’hui 13 juin 2010 – mais chaque jour a un air de printemps - la Dombes est belle. Comme elle devrait toujours l’être. Une jonchaie à gauche, une vasière à droite de la chaussée qui sépare deux étangs.

"...Une vasière, un Tadorne de Belon..."

Sur la vasière, des échasses au nid, des vanneaux avec leurs poussins, qu’harcèle un couple de corneilles, inévitable. Quelques chevaliers, un Tadorne de Belon et une Spatule blanche. Nouvelle venue dans l’arche.

Un Héron cendré fait face à un autre, pourpré ; tous deux figés dans l’affût. Un Bihoreau passe en croassant. Une petite bande de guifettes passe, qu’annonce une série de cris brefs.

Une bande de guifettes...

Un chêne renvoie le chant de trois fauvettes, qui se répondent, compétiteurs sans animosité : celui de la bocagère Fauvette babillarde, celui de la forestière Fauvette à tête noire, celui, aigrelet, de la Fauvette grisette, oiseau des plaines buissonnantes.

La Dombes est ainsi, multiple.

Une Hypolaïs leur répond depuis le flanc ensoleillé d’une haie proche : il apporte une touche presque méditerranéenne à cet entrelacs sonore.

"...Une Hypolaïs leur répond..."

De la jonchaie, s’élèvent successivement l’appel strident et colérique du Râle d’eau, puis le roucoulement mélancolique d’une Poule d’eau.

Poule d'eau

Le petit peuple chante à tout crin depuis les saules : Bruant des roseaux, Phragmite des joncs et locustelles… Une dizaine de mâles milouins énamourés poursuivent une femelle, séparant au passage un couple de nettes rousses, indifférent.

La roselière, et ses voix, et ses senteurs, manquent au décor.

"...La roselière manque au décor..."

Qu’à cela ne tienne, allons les trouver !

La Dombes est belle. Elle montre ce qu’elle a de plus précieux. Elle donne le change dans un élan d’espoir matinal.

Elle sait surprendre, encore, par sa variété, sa munificence, sa générosité.

Partageons le rêve d’Alembert [2], et faisons en sorte, qu’au réveil, ce rêve continue :

Le prodige, c’est la vie, c’est la sensibilité ; et ce prodige n’en est plus un...Lorsque j’ai vu la matière inerte passer à l’état sensible, rien ne doit plus m’étonner. Quelle comparaison d’un petit nombre d’éléments mis en fermentation dans le creux de ma main, et de ce réservoir immense d’éléments divers épars dans les entrailles de la terre, à sa surface, au sein des mers, dans le vague des airs !




  1. Le « bec » est l’appellation locale du brochet, le « panot » celle de la jeune carpe []
  2. DIDEROT, le rêve d’Alembert, 1769 []
20déc/10Off

Relictes voisines : l’Outarde canepetière et le Râle de genêts

Directive Oiseaux

Il émane d’un choix qui peut sembler insolite de rendre hommage aux oiseaux dombistes en concluant ce propos avec deux espèces qui ne le sont pas, et qui pourtant prendront ici valeur de symboles : l’Outarde canepetière Tetrax tetrax et le Râle des genêts Crex crex.

Tous deux subsistent, à la limite de l’extinction, après avoir été communs dans deux des régions qui encadrent le plateau. Tous deux, et dès lors plus rien n’est censé étonner, sont inféodés à l’Herbe : steppe graminacée pour la 1ère, prairie alluviale pour le second. Autre point commun, malgré leur éloignement morphologique, tous deux sont cousins : ils appartiennent au même ordre systématique que celui de la Grue cendrée, celui des Gruiformes. Un bel exemple de divergence évolutive.

L'Outarde canepetière

Râle des genêts

Dans la Plaine de l’Ain, la canepetière enchantait les soirées de juin de ses appels roulés et de ses vols nuptiaux, cinglants et sifflants, jusque vers la fin des années 80. Elle était le chef de file d’un singulier cortège faunistique, comprenant entre autres, le Busard cendré et l’Œdicnème criard Burhinus œdicnemus, le Bruant proyer, le Tarier pâtre et la Caille des blés. Toutes ces espèces lui ont survécu, à des degrés de présence divers.

L'Oedicnème criard : un limicole qui se reproduit très localement en Dombes

Le Tarier pâtre : un passereau coloré des landes buissonnantes : il régresse en Dombes

Le Râle de genêts survit comme il peut dans les longues prairies inondables qui bordent la Saône. Il a niché autrefois, là où s’étendait le Marais des Echets. Malgré la succession de mesures de conservation de son habitat (une fauche retardée de quelques prairies autorisant un cycle de reproduction complet) mises en œuvre depuis le milieu des années 90, on peut difficilement lui prédire un avenir radieux.

Mieux lotis parce que moins exigeants, les courlis cendrés semblent au contraire prospérer.

Tarier des prés, femelle

Avec le Râle des genêts, ils dominent tout une communauté où figurent en bonnes places le Tarier des prés et la Bergeronnette printanière ou encore le Bruant proyer.

Courlis cendré

Il faut avoir fait l’expérience d’une nuit passée dans la prairie à l’écoute de l’appel du Râle, prenant faute d’être mélodieux. D’abord noyé dans le concert de la prairie, il en émerge peu à peu, lorsque l’intensité de celui-ci décroît. Sans être le seul, il devient le seul que l’on entend : c’est l’instant où les dernières lueurs fauves de l’Occident modèlent le sommet des buissons de saules dressés tout au long des fossés qui drainent la prairie. Ce n’est que bien plus tard, lorsque les prémices d’un jour neuf couchent une herbe alourdie par la masse enveloppante d’une brume ondulante que le Râle se tait. Ou que le débordement sonore d’un monde grouillant à nouveau le submerge.

L'heure du Râle

Oubliés, les lueurs de Mâcon toute proche, le grondement du dernier TGV, le roulement ininterrompu de l’autoroute A40. Ignoré le tonnerre des avions de chasse snobant le couloir vert et –surtout- désert de la vallée. Ignorée également, l’averse orageuse traditionnelle en cette fin juin, sans laquelle le chant du Râle n’aurait plus la même saveur, la même odeur, le même son.

Le Râle de genêts et la canepetière ont aussi en commun (on pourrait ajouter à ce groupe le Blongios nain) ce type de chant, bref, répétitif à l’infini, infatigablement émis à intervalles réguliers, sans musicalité, mais incroyablement envoûtants. On ne saura jamais s’il est puissant ou faible. Il se laisse porter à des distances incroyables par la moindre brise. Une autre, de direction contraire, l’étouffe sur quelques mètres.

Où ils vivaient, les bouleversements furent trop rapides, anticipèrent de bien trop loin, l’intérêt que l’on allait un jour devoir leur porter.

Les options choisies, qui ont contribué à la transfiguration des grands écosystèmes de plaine, entre implantations industrielles et monocultures céréalières ne laissent aucun doute sur l’origine de la régression des peuplements animaux et végétaux.

Il en va autrement de l’évolution de la prairie, plus insidieuse. Lorsqu’elle domine encore l’écosystème, et c’est le cas dans la vallée alluviale de la Saône, c’est dans son cycle d’exploitation que les modifications sont sensibles : exploitée plus intensivement, ainsi qu’il l’a été écrit plus haut, les oiseaux n’ont plus le temps de s’y reproduire.

La Canepetière était localement condamnée, pratiquement disparue avant l’émergence récente de la Conscience Environnementale.

Du Râle de genêts, il ne reste au début des années 2000 que quelques dizaines d’oiseaux dans le Val de Saône : sa chance de pérennité sera peut-être dans les nouvelles dispositions, dites « mesures compensatoires » qui prévoient, pour chaque nouvelle emprise urbaine sur ses prairies, de reconstituer ailleurs, et pour une durée significative, des milieux favorables à l’espèce

Dans d’autres régions que la nôtre, ils constituent encore des enjeux qui doivent rester à l’esprit du décideur lorsqu’il aura charge de définir ses priorités : dans moins de 10 années, l’un de ces deux oiseaux prestigieux aura peut-être disparu….

Le Râle des genêts

L'Outarde canepetière

20déc/10Off

« Indésirables »

Le Grand Cormoran

Faux air de rapace ou allure cornélienne – référence faite à l’oiseau, pas au dramaturge, quoique… – cri discordant, sombre, apparemment (seulement) monochrome et terne, jusqu’à l’odeur, âcre. Le Mal en somme, ou bien le turbulent rejeton d’Odin et de Vouivre ?

En Dombes, avant tout et avant tous les autres le Grand cormoran Phalacrocorax carbo est l’oiseau de mauvais augure. Il a presque réussi, là ou d’autres ont échoué, à faire l’unanimité ou peu s’en faut contre lui : quelque chose comme le prix citron [1] des oiseaux. Un temps, il a même failli faire oublier le commensalisme quelque peu encombrant d’autres piscivores...

Une fois de plus, tout le monde ne peut avoir un regard identique, une même perception de l’oiseau, le poète, comme le naturaliste, comprendra le pêcheur. A distance de toute velléité provocatrice, sortons de son contexte cette phrase de Baudelaire :

Il est beaucoup plus commode de déclarer que tout est absolument laid (dans l’habit d’une époque), que de s’appliquer à en extraire la beauté mystérieuse qui y peut être contenue, si minime ou si légère qu’elle soit [2].

Et rapprochons-là, de ce regard porté par Victor Hugo, sans jumelles ni grief :

Sont-ce des cormorans qui plongent tour à tour,

et coupent l’eau, qui roule en perles sur leur aile ? [3].

Toutes les régions piscicoles européennes sont confrontées à l’expansion du Cormoran.

Il surprend tout le monde à la fin des années 80, lorsque des vols s’abattent par centaines sur les étangs, presque sans signe avant-coureur. Les bagues qu’ils portent nous indiqueront que plus de 80% proviennent de Scandinavie (Suède, Danemark, Finlande), d’autres arrivant d’aussi près que de Suisse ou d’aussi loin que de Sibérie.

De moins de 15000 en 1983, l’effectif hivernal national est passé à 80 000 individus à la fin des années 1990.

Au cours des années suivantes, c’est moins la sous-espèce littorale qui se distingue, que la sous-espèce continentale. Les effectifs nicheurs de la 1ère sont stables, limités à quelques départements côtiers, et régressent même au cours de la période 2003/2006. La 2nde subit une poussée exponentielle : apparue en 1981 à Grand-Lieu en Loire Atlantique, elle a colonisé le tiers des départements français, en près de cinquante colonies et 4097 couples en 2006, d’après Marion.

Son déclassement de la liste des espèces intégralement protégées a permis aux préfectures de plusieurs départements concernés par son impact sur les peuplements halieutiques de mettre en œuvre des mesures de régulation : par tir , par effarouchement. Dans l'Ain un Arrêté Préfectoral de mai 2010 définit désormais les conditions et modalités d'intervention sur les colonies reproductrices (exclusivement par des agents de l'ONCFS) afin de freiner la dynamique démographique des populations locales récemment sédentarisées.

Cette décision émane d'une réflexion collective dont l'objectif est de se reconcentrer sur les enjeux patrimoniaux et biodiversitaires de la région, dans l'esprit de l'application des directives environnementales.

L'origine des oiseaux bagués observés en Dombes...

...témoigne de la dynamique démographique continue des populations du Nord de l'Europe

Ce même collectif est conscient des limites de cette mesure, au vu d'une autre dynamique, toujours vive, celle des populations de cormorans nord-européens, qui pourraient continuer d'alimenter encore régulièrement les populations hivernales et printanières en Dombes.

Population actuelle : Le Grand cormoran se reproduit avec succès depuis 2007. Trois colonies totalisent entre 50 et 60 nids au printemps 2009.

Le Cygne tuberculé

Antithèse du cormoran, "infiniment plus gracieux", aussi blanc que l’autre est noir, aussi végétarien que l’autre est piscivore, il bénéficie de longs siècles d’une respectueuse considération, d’une culture manichéenne du symbolique, d’associations positives remontant à la mythologie et exprimées dans des domaines artistiques et spirituels.

Le blanc EST le bien.

Mais, aussi bien la rareté devient rapidement, à tort ou à raison, synonyme de beauté, autant sa contemporaine et soudaine abondance nuit désormais à sa quasi-biblique symbolique de pureté.

Le Cygne tuberculé Cygnus olor poursuit son bonhomme de chemin, colonisant sans hâte ni heurt étang après étang, d’une palme puissante, et sans réelle inquiétude :

...Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris ;

J’unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;

Je hais le mouvement qui déplace les lignes,

Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris [4] [5].

Le Cygne tuberculé est le plus lourd oiseau européen, un des plus lourds oiseaux volants. Lorsqu’une espèce aussi imposante se développe aussi vigoureusement, surtout après que d’autres l’eurent précédé, on commence de s’inquiéter.

Incidemment, on retiendra, à nouveau, le caractère toujours ressenti comme « soudain » d’une expansion...

La tentation de meubler les plans d’eau par sa présence, spectaculaire et permanente, son statut de protection, mais également la disponibilité de ressources alimentaires, souvent nouvelles et lui assurant un meilleur taux de survie hivernale, sont à l’origine de la fixation, puis de l’accroissement des populations reproductrices du Cygne tuberculé.

...Une considération collective positive, un attrait indéniable pour un oiseau "accessible" au plus grand public

Le Cygne est responsable de dégâts aux cultures dans plusieurs régions de France. Ces dégâts sont avérés et mesurables.

En Dombes, les rassemblements d’oiseaux non reproducteurs au printemps, comme les grands groupes hivernaux, concernent saisonnièrement et annuellement une douzaine d’étangs, mais leur caractère spectaculaire retient évidemment toutes les attentions, alimentent la conversation depuis l’environ de la balance romaine et jusque sur la place publique : territorial, « il empêche l’installation des canes (cf. plus haut) », herbivore exigeant, « il détruirait les herbiers où se fixe le frai ».

Des rassemblements importants en hiver ; quel rôle envers les autres oiseaux hivernants : compétition ?

...ou commensalisme ?

Au démarrage de la végétation aquatique, un vraisemblable impact local, pour le moins.

Sauf exception, dans cette même région, le cygne se nourrit exclusivement en milieu aquatique. A raison de 3 à 4 kilos de nourriture végétale fraîche quotidienne, on ne peut écarter une possibilité d’impact sur les herbiers aquatiques – et donc le frai -et une concurrence avec le reste de la biocénose.

Quelle que soit la part - inchiffrable - de la reproduction spontanée des poissons dans les étangs de pêche réglée, la comptabilité piscicole considère presque uniquement le différentiel entre ce qui est « mis » et ce qui est pêché. L’alevinage et la croissance des alevins sont essentiellement assurés en bassins de moins d’1 hectare.

Or les études les plus récentes démontrent que le cygne délaisse les petits étangs : en 2009 on compte en moyenne 3 couples pour 100 étangs de moins de 5 hectares. Ces étangs représentent plus de 50% (env. 800 étangs) du parc dombiste.

Le cygne, comme le cormoran, fait partie de ces espèces dont la dynamique démographique posant problème, font évoluer la réglementation. Sur quelle base se fonder pour limiter l’expansion d’une espèce protégée par les textes ? Quels impacts leur imputer et comment les chiffrer ? Plusieurs départements ont édicté des mesures – des arrêtés préfectoraux -d’effarouchement, de régulation des pontes, voire des oiseaux adultes.

La population nationale comptait 400 à 500 couples en 1992. A la fin des années 90, au regard de l’évolution de la seule population nichant en Dombes, cet effectif est nettement dépassé.

Quel comportement du cygne envers les autres oiseaux d'eau ? Territorial ? Antagoniste ?

Population actuelle :

Le 1er cas de nidification semble remonter à 1976 (Jean-Yves Fournier/ONCFS).

La population estivale totale avant éclosions est stable entre 2006 et 2009 : elle est estimée à un millier d’individus comprenant environ 200 couples et 500 à 600 immatures.

Cette population, augmentée de la production annuelle, serait assez fortement sédentaire du fait des disponibilités alimentaires hivernales sur place : reliquats des cultures d’assec sur les étangs). L’arrivée d’oiseaux exogènes (?) peut augmenter significativement le contingent hivernal, notamment en période de grands froids, pouvant le porter d’un effectif de 1200 ou 1300 individus (la population adulte, subadulte et les jeunes de l’année) à près de 2000 (hiver 2005/2006).

Toutefois, la population automnale s’est accrue annuellement de 17% de 1991 à 2009. (ONCFS)

Des nichées entièrement grises : une origine sauvage...

Des nichées entièrement blanches, de cygnes dits "polonais" : un signe de domestication ?

...et des nichées désormais métissées !


  1. Prix décerné par la presse à la personnalité qui lui a réservé son accueil le plus désagréable ! []
  2. BAUDELAIRE, Le peintre de la vie moderne, 1863, chap. IV []
  3. V. HUGO, Les Orientales, 1829, X []
  4. On appelle également le Cygne tuberculé "Cygne muet" []
  5. BAUDELAIRE, extrait de « Les Fleurs du Mal : la Beauté » 1857 []
20déc/10Off

L’oiseau et l’habitat rural

Chantant face à face sur les pignons opposés d’une même grange, un Rouge-queue noir et une Bergeronnette grise se doutent-ils qu’il fut un temps, tous deux se côtoyaient sur les bords des torrents, des rochers et des pâturages de montagne ? Progressivement, accompagnant l’homme et ses constructions, ils ont descendu les vallées, colonisé les plaines, adossant leur nid dans l’anfractuosité d’un pisé, sur une poutre, sous un toit. Leurs nouveaux lieux de vie, comme leur plumage couleur de roche, les relie encore.

Bergeronnette grise

La Bergeronnette grise devint la commensale des mouettes, poursuivant avec elles la charrue avec assiduité. Peut-être est-ce là, l’histoire de la « lavandière » des champs et des villes, des cours de ferme et des églises, des eaux vives et moins vives.

Le Rouge-queue noir ne s'éloigna pas des cheminées…

Rougequeue noir/femelle...

...mâle

Tous deux appartiennent à cette catégorie faunistique, qui, à défaut de placer en l’homme leur confiance, a appris comment en profiter. La Tourterelle turque, les hirondelles, ou encore les chouettes – Effraie, mais également la Chouette hulotte, et la Chevêche d’Athéna - ont fait de même.

... La Chouette hulotte

...La Chouette hulotte : le Chat-huant

Du peuple de la nuit : la Chevêche...

...L'Effraie des clochers...

A dire vrai, nous aussi, en tirons avantage. Leur présence anime les frontons et les toits de nos villages. Parfois, aux soirs de fin d’été, avant leur départ vers le sud, les bergeronnettes exposent bruyamment leurs querelles de dortoir, papillonnant par dizaines dans l’éclairage public. Ces présences, rassurantes ont, ici et là, quelque peu pris le pas sur celle d’un Moineau domestique, moins inévitable qu’autrefois.

Une question légitime : où sont passés les moineaux du temps jadis, dont les colonies bruyantes dans des HLM de foin suspendus animaient le quotidien des villages ?

Stigmate d’une évolution inéluctable, le délabrement d’un bâtiment de ferme, témoigne de l’abandon de l’exploitation. Il expose douloureusement son pisé à une léprosité galopante vite exploitée par les Etourneaux et autres Moineaux.

Etourneau sansonnet

Parfois une Huppe fasciée en mal de bocage et des multiples caches que recèlent ses troncs y trouve une cavité satisfaisante.

Huppe fasciée

Là, une autre ferme, plus chanceuse, a été récemment restaurée : elle a retrouvé tout son cachet en perdant sa fonction première. Le patrimoine est sauf. Mais, après le départ des bestiaux, les hirondelles rustiques et celles des fenêtres ne trouvent que peu de raisons de s’attarder. Si elles restent, elles encourent le risque de rebâtir, encore et encore, avec l’abnégation d’un Sisyphe, les nids dont elles trouvent, inexplicablement, les ébauches fracassées gisant sur le sol.

Hirondelle de fenêtre : construction du nid

La trop bruyante Effraie devient indésirable. Le Faucon crécerelle s’expatrie : finalement, le nid d’une Corneille lui conviendra. Rouge-queue noir, Bergeronnette grise et mésanges colorées s’y sentent encore chez eux.

Inévitable Mésange charbonnière dans une boîte à lettres !

Imperturbable dans son irrésistible conquête de l’Ouest, la Tourterelle turque se contentera sans complexe d’une poutrelle métallique au faîte d’une stabulation ou d’un hangar en tôles.

La conquête de la Tourterelle turque passe par sa capacité d'adaptation aux milieux les plus divers, notamment urbains.

20déc/10Off

Les Busards

Nos espèces de busards vivent une mauvaise passe. La Dombes leur refuse dorénavant ce qui convenait autrefois aux trois espèces.
Directive Oiseaux.

Le Busard des roseaux

Un rapace sombre, arpente le sommet de la roselière d’un vol concentré, bascule une 1ère fois, une seconde, puis disparaît dans un creux de végétation. Il vient de saisir un Campagnol amphibie, à moins qu’il ne s’agisse d’une jeune foulque. Il achève sa proie sur un reposoir de végétaux pourrissants et s’élève à nouveau, serres crispées autour de ce qui constituera le repas d’un de ses jeunes.

Le Busard des roseaux Circus aruginosus est, ou en tout cas fut le Busard de la Dombes.

Busard des roseaux/femelle

Busard des roseaux/femelle

Il bénéficie d’une phase d’expansion dès les années 70 jusqu’à la fin des années 80. On y verra une relation avec le début de la protection légale des rapaces. On avancera plus tard l’amélioration de ses conditions d’hivernage au Sahel mais sans réel référentiel.

Suit une diminution significative des effectifs notamment depuis la fin des années 1990, sans doute liée à la régression de la roselière. La diminution de ses proies potentielles (Rat musqué, canetons et jeunes foulques) est sans doute un autre paramètre essentiel de ce phénomène. Il consomme de jeunes ragondins, mais la dynamique de cette espèce ne semble pas avoir eu d’effet positif sur celle du Busard des roseaux.

Population actuelle : migrateur partiel, essentiellement visiteur d'été en Dombes ; 15 à 20 couples au tournant des années 80 et 90, jusqu’à 50 au milieu des années 90. Sans doute pas plus de 20 couples en 2010.

Le Busard Saint-Martin

Chorégraphe aérien, chasseur méticuleux, comme les autres busards, il incarne l’élégance dans la plaine. Avril : à quelques mètres au-dessus d’un blé vert émeraude, sa silhouette pâle tranche sur le fond anthracite d’un ciel chargé de grêle à l’instar d’un goéland plaqué sur une mer noire. A l’appel du mâle chargé de sa proie, la femelle s’élève de la coupe forestière où elle a caché son aire terrestre…Très haut, le ballet aérien trouve une rapide apothéose lors du passage de la proie, d’une paire de serres à l’autre.

Busard Saint-Martin/mâle au nid

Busard Saint-Martin/mâle en chasse

Busard Saint-Martin, mâle en volLe Busard Saint-Martin Circus cyaneus ne brille ni par une abondance ni par un dynamisme particuliers : sa population est sans doute du même ordre que celle du Busard des roseaux. Mais il semble avoir su déjouer la malédiction des récoltes qui broient sa couvée en nichant essentiellement – au sol, comme le Busard cendré – dans les jeunes coupes forestières rapidement envahies de ronces, de genêts ou de fougères et qui lui procurent la tranquillité requise.

Population actuelle : Tendance inconnue. Migrateur partiel. De l’ordre de 10 (à 20) couples sur la totalité du plateau dombiste ?

Le Busard cendré

Le Busard cendré Circus pygargus, comme le Bruant proyer est un oiseau des espaces ouverts, de la steppe, devenue « céréalière » à la suite de sa domestication….

Une grise silhouette de rapace, ailes en « V », va et vient, non loin du sol. Le vol est chaloupé, hésitant mais léger, ponctué de virages brusques et serrés, à toute fin de contrôle d’un détail qui lui aurait échappé. Sa recherche d’une outrecuidante forme de vie au fond des sillons ou entre les rangs des chaumes la captive tout entière. Sa prospection s’accélère. Puis un battement d’ailes surpris : une escadrille de vanneaux se lance, toutes sirènes chuintantes, à ses trousses. Comme si, lui, le chasseur, s’était retrouvé par le plus fortuit hasard, survolant cette terre prometteuse...

Busard cendré/mâle

Busard cendré/juvénile

Avant l’arrivée des trublions, il savourait les sensations, les réminiscences du territoire de chasse de ses origines ou des lointaines savanes sahéliennes où il hiverne. Sa terre, pourrait-elle encore se tenir ici, à l’écart des étangs, dans cette marge céréalière du sud-ouest du plateau ?

Un Busard cendré traverse l'espace aérien d'une colonie de Vanneaux huppé dans l'Est de la Dombess

Population actuelle : visiteur d'été. Un couple de Busards cendrés nichait encore dans l’ouest dombiste, à la fin des années 1990. Depuis, rien ?

6nov/10Off

L’évolution des peuplements d’oiseaux

Le monde change, la Dombes avec

La fin de la seconde guerre mondiale a marqué, quel que soit le pays, perdant ou vainqueur, le début d’une ère nouvelle.

En France, trente glorieuses, sonnent l’avènement d’une agriculture puissamment réorganisée, novatrice. Simultanément, une industrie dynamisée d’après guerre, entraîne après elle des familles entières de paysans : d’un coté, le « secteur secondaire » recrute à tours de bras, le « secteur primaire » commence à se dépeupler, le tissu rural se fissure.

Rapidement, les paysages se mettent à évoluer au rythme des techniques nouvelles et des enjeux. Le décret  du 10 avril 1963 lance le grand chantier du remembrement qui eut le mérite d’occuper une bonne génération des administrations en charge du plan, de l’agriculture, et de l’équipement. Par la suite, la construction autoroutière accentuera encore son impact paysager. La Politique Agricole commune, la « PAC », toujours aussi actuelle, naît véritablement en 1962. D’un coté, l’agriculture de montagne décline, les collines s’enfrichent ; de l’autre, les grandes plaines s’uniformisent, les parcelles s’y agrandissent. La taille des exploitations s’accroît en même temps que se réduit leur nombre. Plus de 450 000 exploitations disparaissent entre 1970 et 1983 [1], soit environ un tiers d’entre elles. Les écotones, autrement dit les lignes de rupture de milieux si favorables à la faune [2], régressent.

L’attribution des quotas laitiers en 1984 sonne le glas de centaines de milliers d’hectares de prairies, à travers le pays, mais aussi dans le reste de l’Europe agricole.

L’ère céréalière

En Dombes, cela se traduit dès 1975, par la perte de quelque 10 000 hectares de prairies : terres fraîches, lourdes, et dures au travail, mais gras et bons herbages, où se régénère la vie sauvage. Les céréales à paille [3] les remplacent pour un temps, vite rattrapés par la culture du maïs.

L’introduction de cette céréale en Dombes n’est pas récente. A la fin du 19ème siècle, on en sème, accessoirement, que quelques pieds [4]. La Bresse le cultive plus assidûment. Elle en nourrit ses bêtes, ses poulets. Le Bressan le consomme en « gaudes » [5]. Jusque vers le début des années cinquante, on sème et récolte le maïs à la main….

Des progrès considérables dans le domaine phytosanitaire et celui de la mécanisation sont à l’origine de son spectaculaire essor.

Maïs sous plastique, Dombes, fin années 1990

Traitement d'une parcelle de colza, années 1990, Dombes.

Alors qu’on entrevoit déjà  les limites de la culture du maïs, la maîtrise du désherbage n’étant pas résolue, se produit la véritable révolution que fut l’arrivée de la « simazine » un désherbant total…. Les moissonneuses à 4 roues motrices, puis à chenilles, donnaient la certitude se pouvoir récolter même dans les étangs, … fut la dernière révolution. » Celles-ci engendrèrent l’amélioration de la vie des familles.((St. Thête, in « Mémoires du Pays de Dombes, 1999))

En 10 ans, entre les années 60 et 70, sa production décuple, et les surfaces qui lui sont consacrées triplent.

Dans le paysage, on perçoit déjà des changements au fur et à mesure de l’engouement suscité par cette culture.

Les « panouilles», terme local désignant les épis de maïs, autrefois tressées en gerbes, étaient mises à sécher sous l’auvent des granges. Elles conféraient leur caractère aux exploitations de Bresse et de Dombes. D’utilitaire, leur fonction est devenue, aujourd’hui, décorative.

Le témoignage d'une agriculture passée

Les « cribs », séchoirs ressemblant à des longues cages étroites les ont remplacées lorsque la production commença d’augmenter. A leur tour, ils ont disparu lorsqu’on a su récolter le maïs en grain. Les silos de séchage artificiel apparaissent.

A partir de la fin des années 1990, le maïs prend de plus en plus de place dans la culture de l’assec. Il reste parfois, non récolté, dans l’étang remis en eau. Cette pratique, à son apogée à la fin des années 1990, semble plus marginale désormais : on la justifiait par son rôle de protection des poissons contre les prédateurs,un rôle pourtant habituellement rempli par la végétation aquatique spontanée. Mais en contrepartie, il  est  peu probable que cette pratique puisse favoriser le frai naturel des poissons. Elle favoriserait également les tableaux de chasse en fournissant des gagnages aux canards : une chasse "cueillette"  peu responsable.  Aujourd'hui, la culture du maïs perdure, en bandes non récoltées plus souvent qu'en une culture unique et homogène. Le système est plus consensuel. Et induit un paradoxe : censé protéger les poissons, il offre le même abri aux chasseurs à l'heure de la passée. Toujours la même question : pourquoi, de toutes façons, et a fortiori si la nature de l'étang l'autorise, ne pas gérer au mieux la croissance spontanée de la roselière ?

Un étang a repris l'eau sur un assec où fut semé un maïs

Bien qu’à l’origine, l’Europe pose ses fondations sur la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), elle se bâtit rapidement, essentiellement, économiquement, autour de son réseau agricole.

Les moyens qu’elle consent à la culture céréalière lui insufflent  une impulsion supplémentaire. On ne peut, par cet exemple, que ressentir l’étroitesse de sa marge d’action environnementale malgré l’engagement de ses états membres de respecter les directives « oiseaux », « habitat », les programmes environnementaux qui en émanent, comme Natura 2000.

Par ailleurs, les contraintes de l’élevage rebutent les jeunes couples d’exploitants. Ils réalisent la mesure de l’investissement nécessaire alors que le reste de la société fonde ses nouvelles valeurs sur la réduction du temps de travail –les 35 heures ! La voie céréalière répond souvent bien mieux à leurs aspirations.

La demande croissant consécutivement à une diversification des débouchés et des utilisations, la culture du maïs devient l’option la plus intéressante [6] , dans une région autrefois connue pour ses pauvres rendements.

Pour finir, chaque crise ainsi celle dite « de la vache folle » dans les années 1980 et plus récemment, l’épisode de l’influenza aviaire en 2005 – la Dombes est particulièrement touchée - laisse de nouvelles cicatrices aussi bien dans le tissu social et psychologique rural que dans l’écosystème prairial, un des plus instamment menacés de nos régions industrialisées.

L’origine des grandes tendances démographiques au sein de la biodiversité

L'action de l'Homme sur son environnement, quelle qu'en soit la mesure, l'échelle,  se traduit par de nouveaux équilibres, ou déséquilibres selon les points de vue.

Elle est de fait, rarement totalement étrangère à la soudaine expansion ou au contraire à la régression d’une espèce.

L’évolution climatique d’une région transfigure progressivement son cortège d’espèces animales. Elle s’avère normale, fluctuante, elle est attendue sur des milliers d’années. Les changements dont nous sommes actuellement les témoins nous surprennent par leur ampleur et leur rapidité. Pourtant, n’avons-nous pas démontré notre part de responsabilité dans cet état de fait ?

Nous favorisons ou hâtons des processus, notamment d'évolution comportementale de la faune, qui prendraient autrement des milliers d’années : l’urbanisation a permis à des espèces montagnardes, rupestres, de s’adapter à la ville et à ses murailles de béton. Le Rouge-queue noir Phoenicurus ochruros est devenu un familier des anfractuosités murales. Le Martinet alpin Apus melba, l’Hirondelle des rochers et parfois le Faucon pèlerin s’installent au cœur des cités.

Le Martinet alpin descend parfois de ses falaises pour coloniser la ville

Le forestier Rouge-queue à front blanc niche dans les boîtes aux lettres, à l’instar des mésanges, bleue et charbonnière.

Chevêche d'Athéna

L’habitat fermier, de torchis et de bois, de poutres, de niches et de combles offre le gîte à l’a Chevêche et à l'Effraie, au Faucon crécerelle, à l’Hirondelle rustique (à la fouine, aux chauves-souris...)

Hirondelle rustique ("des cheminées")

Il compense peut-être l’absence d’une roche, d’une haie vive, d’un saule têtard, d’un vieux pommier.

La faculté spontanée d’adaptation d’une espèce aux modifications de son environnement, facilitée par ses faibles exigences écologiques, fera d’elle une espèce colonisatrice voire envahissante et non une espèce menacée. Qui a fait de l’Etourneau un conquérant, un des oiseaux les plus abondants de la planète ? Le milieu urbain semble convenir de plus en plus au Merle noir et au Pigeon ramier : sécurité relative – bien que Surmulot, Chat, Pie ou encore Épervier soient aussi des prédateurs commensaux de l’avancée urbaine - sources d’alimentation, sites de reproduction (parcs, jardins et lotissements).

La distribution des populations animales évolue constamment. Les invertébrés par exemple sont très réactifs aux modifications de leur environnement immédiat. Les oiseaux bien plus que la plupart de mammifères, capables d’effectuer rapidement de longs déplacements, ont une remarquable propension à modifier leur distribution géographique. La migration, le long de tracés immémoriaux, peut s’avérer un vecteur décisif dans les processus de colonisation. D’importantes modifications de leur habitat ((J. Broyer- 2006-Le milouin-éd. Belin-Eveil Nature)) ont poussé les continentaux Fuligules milouin et morillon à étendre leur aire de reproduction vers l’ouest.

Plus récemment, la Nette rousse, un autre Anatidé dont la distribution s’étend de l’Espagne à la Caspienne, a pris l’habitude de concentrer ses effectifs postnuptiaux et hivernaux dans le sud de l’Allemagne et sur les lacs alpins suisses : les conséquences climatiques, sècheresses et disponibilités alimentaires sont évoquées. La Dombes et la Camargue ont bénéficié de ce décentrement de cette population.

La plus spectaculaire avancée colonisatrice de la seconde moitié du 20ème siècle revient pourtant à une espèce sédentaire : la Tourterelle turque, qui, partie du bassin de la Mer Noire  a conquis l'Ouest de l'Europe, jusqu'à nicher en Islande !

Désormais un des oiseaux les plus communs -voire familiers - de nos villes et villages : la Tourterelle turque

Ce phénomène est moins fréquent chez les mammifères, moins « mobiles ». Il y est plus strictement une conséquence des introductions, volontaires ou non. Écologie et mode ont signé la fin des élevages, celle-ci favorisant échappées et lâchers clandestins, la fertilité de l’espèce faisant le reste. Citons les introductions en Europe du Castor canadien Castor canadensis, du Vison d'Amérique Mustela vison, mais aussi du Chien viverrin Nyctereutes procyonoides, du Raton laveur Procyon lotor et de l'Ecureuil gris Sciurus carolinensis. Le Ragondin Myocastor coypus n’a pas traversé seul l’espace qui nous sépare du continent sud-américain. Il est en grande partie responsable de la régression significative des ceintures de végétation aquatique de la roselière dombiste, divisée par deux entre 1997 et 2007. Les résultats des études menées par l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage sont indiscutables. Ce constat est malheureusement partagé par de nombreuses régions.

Les introductions sont loin de ne concerner que les mammifères. Elles sont considérées par les biologistes comme la première source d'appauvrissement de la biodiversité dans le monde, loin devant les impacts du réchauffement global. Rien qu’en Europe, on dénombre plus de 11000 organismes introduits depuis le 16ème siècle. Les oiseaux n’en représentent que 2%. Parmi les 193 espèces identifiées nombre peuvent se comporter à plus ou moins longue échéance selon un phénomène souvent qualifié d’invasif. Celui-ci se traduit par une croissance exponentielle de population après une période de relative dormance, à un seuil plancher d’effectifs souvent étendu dans le temps. Il est parfaitement identifié par les biologistes spécialistes de la dynamique des populations, les démographes. Il relève d’une pure et simple logique arithmétique, et pourtant nous semble inconnu. En fait nous avons depuis longtemps un tel impact sur les populations vivantes qui nous entourent que ces dernières fluctuent à un niveau très en-dessous du seuil de cette explosion démographique. Or, laissées à elles-mêmes dans un environnement favorable, toutes les espèces sont censées se comporter ainsi. Et c’est ce que font effectivement certaines espèces introduites. Au cours de leur expansion, elles entrent en compétition avec les espèces indigènes dans l’exploitation des ressources, la prédation, et les hybridations.

Nous connaissons bien ce dernier cas de figure en Europe, avec l’Erismature rousse Oxyura jamaicensis, un drôle de petit canard à bec bleu et à la queue dressée, désormais naturalisé en France [7] : originaire d’Amérique centrale introduite en Grande Bretagne, son dynamisme démographique menace très sérieusement les efforts de conservation et e restauration d’un de nos cnards européens les plus rares : l’Erismature à tête blanche Oxyura leucocephala.

L’Ibis sacré Threskiornis aethiopicus a été introduit dans le Morbihan (Branféré) dans les années 70, dans l’Aude (Sigean) au début des années 80. Partie de quelques dizaines d’oiseaux captifs, en 2003/2004 sa population atteint 3000 à 5000 individus dans l’ouest du pays.

Ces deux espèces peuvent être observées en Dombes qui échappe à la dynamique du second, redoutable concurrent et prédateur d’espèces autrement sensibles (les sternes et les guifettes par exemple), et pour lequel des plans d’éradication, âprement discutés, ont été finalement appliqués dans l’ouest et le sud du pays.

Erismature rousse/mâle

Ibis sacré/juvénile

La disparition d’un maillon essentiel de la chaîne alimentaire, comme par exemple d’un prédateur spécialisé, peut donner le départ d’une nouvelle dynamique démographique d’une population proie. A contrario, l’insertion d’un nouvel élément joue le même rôle. L’augmentation des ressources alimentaires, celles émanant notamment des productions agroalimentaires est le plus souvent cité. Elles ont déjà contribué à modifier les habitudes migratrices, voire la distribution géographique des espèces. Le stationnement durable des grues  cendrées Grus grus loin au nord de leur aire d’hivernage ibérique habituelle serait corrélé à l’avancée des cultures et l’uniformisation de nos plaines. Depuis plusieurs années, après une halte automnale champenoise sur le lac du Der-Chantecoq, dans la Marne, elles poursuivent leur route vers les Landes, s’y posent et…y hivernent par dizaines de milliers : elles délaissent de ce fait  leurs séculaires aires d’hivernage andalouses.

Les dépotoirs littoraux ont un temps favorisé l'expansion de plusieurs espèces de laridés (mouettes et goélands). En partie grâce à cette manne alimentaire, la Cigogne blanche Ciconia ciconia s'est partiellement sédentarisée. Son expansion "naturelle" en Dombes (dans l'Ain, plus globalement), bien que fixée par la présence d'oiseaux au Parc de Villars,les-Dombes,  et favorisée par des programmes environnementaux, n'aurait sans doute pas été aussi significative sans la présence d'un vaste dépotoir. En Dombes, le Milan noir Milvus migrans, qui détrône la Buse variable Buteo buteo en termes d'effectifs nicheurs, en attendant la fenaison puis la baisse estivale des niveaux d'eau dans les étangs, deux phénomènes pourvoyeurs de proies mortes, mammifères, oiseaux et poissons, trouve un appoint alimentaire conséquent sur ce même site.

Milan noir

Il arrive que les grues cendrées stationnent en Dombes : elle se nourrissent alors dans les laissées de céréales

On constate dans de nombreuses régions une augmentation des couples nicheurs de Pigeon ramier, alors que les passages aux cols pyrénéens se sont amenuisés. Localement, on relève les dégâts qu’il occasionne aux cultures dans des plaines qu’il survolait lors de sa migration.

Le Corbeau freux Corvus frugilegus suit une évolution comparable. Repu lors de ses haltes alimentaires dans nos étroubles [8], il s’est construit à leur proximité un nouveau confort estival. Ses colonies bruyantes ont peuplé les peupleraies plantées le long des plaines alluviales, se servant de celles-ci comme d’un fer de lance pour s’enfoncer ensuite à l’intérieur des terres.   Les mammifères, bien que sédentaires, ne sont pas en reste. Le sanglier Sus scrofa, et parfois le Blaireau Meles meles, ont bénéficié de ces mannes alimentaires. Le premier a fait preuve d’un dynamisme exceptionnel durant la période 1990/2003 [9] : Indicateur de ses populations, le tableau de chasse national révèle cette croissances : environ 40 000 sangliers prélevés en 1973, 100 000 en 1988, plus de 500 000 en 2007 ; dans l’Ain, on tuait environ 300 sangliers en 1978, et plus de 6000 en moyenne durant la période 1994/2005. Autre indicateur de cette croissance, le coût des dégâts causés par le seul sanglier assumé par les fédérations de chasseurs est annuellement de l’ordre de 20 millions d’Euros.

Le sanglier : envahissant ? nuisible ? Opportuniste.

La protection intégrale de certains oiseaux, en l’absence d’autre prédation que celle exercée par la chasse, peut se traduire par une augmentation significative de leurs effectifs. Cette dynamique est souvent simultanément renforcée par une mise à disposition de ressources alimentaires importantes. L’expansion continentale du Grand cormoran Phalacrocorax carbo sinensis se fait ressentir en France à la fin des années 1980. Une décennie plus tard, dans des proportions numériques moindres, elle est suivie par celle du Cygne tuberculé Cygnus olor: deux espèces qui ont peu de prédateurs, et qui bénéficient de ressources alimentaires régulières ou augmentées, grain pour le premier, poisson pour le second [10].

Les oiseaux piscivores, protégés, soumis ou non à l’action de prédateurs naturels, et dont le domaine de nidification ne subit pas de pression particulière, sont, en règle générale en expansion. C’est par exemple le cas du Grèbe huppé Podiceps cristatus et du Héron cendré Ardea cinerea.

Le Grèbe huppé, moins regardant que d'autres espèces quant à la nature de son site de nidification, bénéficie sans doute d'autant plus de la pisciculture que l'on optimise sa production (chargement piscicole en poissons de 1er âge) et selon certains spécialistes de l’introduction et de la parfaite acclimatation en Dombes (et en France) d’un poisson appartenant à la famille des Cyprinidés, le Faux gardon ou Pseudorasbora parva.

Grèbe huppé : un piscivore strict

Les effectifs hivernaux du Héron cendré augmentent progressivement en Dombes depuis 1990 alors que sa population nicheuse semble régulée par l’exploitation des boisements où les colonies sont installées.

Au contraire, les espèces piscivores paludicoles sont extrêmement sensibles à toute modification de leur biotope. Elles régressent. Citons le Butor étoilé Botaurus stellaris, le Héron pourpré Ardea purpurea et le Blongios nain Ixobrichus minutus qui désertent l’étang au même rythme que la roselière dans lesquelles ils se reproduisent. Il en est de même pour le Busard des roseaux Circus aeruginosus ,  prédateur efficace des rats musqués et autres jeunes ragondins,  mais également des nichées de grèbes, foulques, canards. En règle générale, les espèces régressent lorsqu’elles sont directement dépendantes de pratiques qui les privent des lieux et délais nécessaires pour boucler leur cycle de reproduction. La Bergeronnette printanière Motacilla flava, le Bruant proyer Miliaria calandra, le Tarier des prés  Saxicola rubetra , la Barge à queue noire  Limosa limosa [11] appartiennent à cette catégorie : espèces inféodées à la prairie de fauche, elle-même déclinante, le laps de temps entre deux récoltes du foin est devenu trop court pour qu’elles puissent couver et élever leur nichée.

D’autres, également sensibilisées par la perte des biotopes favorables à leur reproduction, peuvent voir leur situation aggravée par la pression de chasse, sans que celle-ci ait besoin d’être particulièrement excessive. C’est le cas du Vanneau huppé Vanellus vanellus, de la Perdrix grise Perdix perdix, de la Caille des blés Coturnix coturnix...

En Dombes, c’est aussi le cas des canards, néanmoins plus intensivement chassés. Ici, on attribuera à la complexe interaction de ces différents facteurs l’évolution des populations aviennes au cours des temps. Toutefois, il semble aujourd’hui acquis que les fortes modifications dans les orientations agricoles des trente dernières années, ont été le facteur déclenchant d’une série de phénomènes qui ont mené, de l’avis général, à un appauvrissement sensible de l’écosystème.

Les perspectives d’une expansion exponentielle de certaines espèces aussi bien animales que végétales sont nombreuses et préoccupantes. Citons les risques à venir que pourraient constituer un tel développement de l’Ecrevisse américaine Pacifastacus Lenusculus, et de celui latent en Dombes, d’une explosion de l’envahissante Jussie Ludwigia grandiflora et Ludwigia peploides dans les étangs, de la Renouée du Japon Fallopia japonica sur les cours d’eau…

La Dombes est toujours sous la menace d'une explosion de la jussie, un végétal envahissant, une plaie pour les étangs...

L’effondrement des populations de canards

Les canards ont longtemps représenté le moteur essentiel de l’activité cynégétique dombiste : c'était sans doute totalement vrai avant l'avènement du sanglier. Leur chasse ferait au moins jeu égal avec la pisciculture dans les revenus de l'étang, serait la constante  à chaque nouvelle création d'étang (en 2010 on crée encore plus d'étangs qu'il n'en disparait annuellement). De l'état de conservation des populations de canards dépend donc une partie de l’économie locale. En conséquence, des chercheurs et de nombreux autres observateurs suivent leur évolution, et celle de la biocénose –l’ensemble des communautés animales - en permanence. La comparaison des résultats de différentes études aide à mieux appréhender les mécanismes essentiellement impliqués dans ce que l’on s’accorde aujourd’hui à qualifier de grave dégradation de l’écosystème.

Une première perte écologique majeure touche le sud de la Dombes au cours des années 1960. Le Marais des Echets, où siégeait une faune particulière et complémentaire de celle des étangs, est asséché. Le « Marais » conserve, nostalgique, son appellation.

Dans la Dombes centrale, entre 1975 et 1980, les populations de canards dits « de surface », ou encore « barboteurs » comme le colvert, les sarcelles et le chipeau [12], s’effondrent.

Ces oiseaux ont pour habitude de nicher dans des milieux non forcément inondés. La majorité installe ses nids dans la périphérie herbagère des étangs.

Le Canard chipeau : une espèce inféodée aux étangs inscrits au coeur d'un agrosystème prairial

La cane y côtoie la faisane au nid, la hase allaitant, et les faons que la chevrette [13] y a dissimulés.

Lièvre d'Europe

Chevrette

Levraut

Après l’éclosion, les canetons sont au plus vite menés par la cane jusqu’au milieu aquatique salvateur, parfois, d’ailleurs, au prix d’un véritable parcours du combattant à travers une végétation dense, si l’on tient compte de la taille et du poids des canetons.

Le recul des surfaces de prairie prive donc ces canards, dans une première phase, de leurs sites de reproduction. Le rythme de récolte devenu plus rapide, l’apparition, puis la généralisation de la pratique de l’ensilage sur les surfaces restantes, seront les autres événements les plus lourds de conséquences sur la réussite des couvées.

Nicheur plus tardif, et plus strictement prairial que le colvert, le Canard chipeau ne se voit plus guère concéder d’alternative intéressante : lorsque la récolte ne le prive pas de couverts au moment de la ponte, en mai et juin, cane et nichée encourent de très sérieux risques de destruction lors de la fenaison.

Les sarcelles d’été et d’hiver, le Canard souchet, autrefois très présents ne réussissent plus que très accessoirement à sauver quelques nichées.

Le désormais exceptionnel spectacle d'une cane Sarcelle d'été et de sa nichée

En une réponse presque instantanée à l’évolution des milieux et à la diminution des anatidés de surface dans les tableaux, c’est au tour des fuligules, ou canards plongeurs, le milouin (ici, on l’appelle « rougeot ») et le morillon, de chuter.

Les fuligules, ici des milouins, réussissent de plus en plus difficilement leur reproduction

Dans un premier temps la pression de chasse fut plus directement incriminée, s’exerçant aux dépends d’une population aviaire déjà fortement éprouvée.

Les canards plongeurs n’eurent pas dans l’immédiat à souffrir de la privation de leurs sites de nidification, habituellement établis dans la végétation aquatique. Mais la régression des canards de surface eut pour effet de reporter sur eux la pression de chasse.

Depuis plus d’un quart de siècle, les populations de canards n’en finissent pas de fondre.

Modification des milieux, des méthodes culturales, qualité consécutive des eaux et du milieu aquatique, chasse, prédation en sont bien les causes essentielles, démontrées ou implicites, de par leur enchaînement. La qualité de l’eau fait toujours débat, aucune étude publiée n’ayant encore démontré une quelconque responsabilité des molécules issues des épandages phytosanitaires incriminés dans le recul des herbiers aquatiques, les baisses de production planctonique et la très aléatoire reproduction naturelle des poissons. Un raisonnement est pourtant évoqué et semblerait logique : une étude menée sur la Veyle, rivière qui draine un bon tiers des étangs de la Dombes, démontre l’existence de pics d’occurrence de molécules phytosanitaires, à la suite des semis de cultures printanières sur son bassin versant. Ces importantes occurrences sont de courte durée. Ces eaux, chargées de molécules plus ou moins dégradées rejoignent la Saône. Examinons ce qui se passerait en eaux stagnantes. Même contexte agricole en bordure des étangs. En été, ceux-ci constituent le seul exutoire des eaux de ruissellement direct et en l’absence de fossés de ceinture. L’eau y est précieusement stockée d’avril à novembre, et les seules pertes admises sont celles liées à l’évapotranspiration. De ce fait, un éventuel impact des traitements culturaux est très envisageable.

Une autre hypothèse se doit d'être examinée et concerne la fertilisation des étangs. Revenons vingt-cinq à cinquante ans en arrière : les pâtures entourent l'étang, où paissent les troupeaux. Lisiers et fumures, et sans doute une part des eaux usées de l'exploitation rejoignent l'étang en contrebas. L'étang est amendé, enrichi en permanence sans plus d'intervention. Cette forme d'agriculture n'est plus, le raccordement au tout-à-l'égout est la norme. Ce mode de fertilisation biologique a donc disparu ou peu 'en faut, et ne serait pas compensé aujourd'hui par les épandages d'engrais azoté dans les cultures...Mais il est bien difficile de recréer le passé pour en démontrer l'éventuel bienfait.

Dans d’autres régions d’étangs consacrés à la pisciculture, les populations d’anatidés se sont maintenues mieux ou plus longtemps. A nouveau il est probable que l’environnement terrestre de l’étang, très différent selon les régions (landes Brennouses et forêt solognote, prairies foréziennes) plus favorable aux oiseaux, ait fait la différence.

Pour la Brenne et le Forez, la densité de couvées, celles de colvert excepté, est supérieure à 6 pour dix hectares en 2001 ; en Dombes, à l’aube de 2010 elle est de l’ordre de 2 nichées pour 10 hectares d’eau toutes espèces confondues [14]. Une couvée de milouin sur trois parvient à y éclore … Pourtant les oiseaux sont au rendez-vous, une fois la migration terminée, les couples formés et cantonnés : l’effectif potentiellement nicheur semble stable dans cette 1ère décennie des années 2000. Mais cette stabilité, alors que la population locale n’est plus autosuffisante pour se maintenir, tend à prouver que de « source » la Dombes est devenue un « puits » qui recrute ses oiseaux adultes à l’extérieur…

Ainsi que nous l’avons vu précédemment, des mesures agro-environnementales proposent actuellement diverses formules devant favoriser un certain retour des prairies à proximité des étangs, en concordance avec la Directive Oiseaux : une expérience de ce type avait déjà été menée au milieu des années 1990, le programme s’appelait alors « Action Communautaire pour la Nature (ACNAT).

Concomitamment, la gestion même de l’étang proprement dit, d’assec ou d’évolage, revêt une importance prépondérante dans le devenir de l’écosystème : qualité de l’eau, charge piscicole, gestion des ceintures végétales aquatiques sont demeurées longtemps au centre des préoccupations des seuls chercheurs , et sont désormais partagées par la collectivité.

A propos de la chasse

Les dates d’ouverture de la chasse

Un certain nombre de régions, surtout littorales, et sensiblement moins productrices d’avifaune que des zones humides de l’intérieur du pays, revendiquent une chasse d’été.  En Dombes, la chasse est traditionnellement ouverte à partir du début de septembre en une relative adéquation à la chronologie de la reproduction des Anatidés [15]. La réglementation cynégétique nationale est soumise à la réglementation européenne : les arrêtés nationaux ou départementaux ont de ce fait été plusieurs fois désavoués par décision de justice bien qu’ils fussent généralement plus restrictifs que ce que l’Europe impose. Les avis restent partagés selon que l’on appartient à la communauté cynégétique, scientifique, associative.

En Dombes, depuis la fin août jusqu’aux premières gelées, les prélèvements des premières semaines de chasse reposent sur la population locale et sur l’arrivée de migrateurs précoces : sarcelles d’hiver et d’été, colverts… Les contingents migrants les plus importants sont en effet attendus à partir de la mi-novembre : les fuligules milouins et les morillons.

La conservation de populations viables localement d’Anatidés passe sans doute par un prélèvement responsable, mesuré, de la chasse.

L’élevage et le lâcher de canards

Afin de pallier à la diminution des tableaux de chasse, conséquence directe de la diminution du potentiel de production du terroir, mais que l’on ignore alors, on procède à des lâchers massifs de canards. Afin de maintenir les revenus substantiels issus de la chasse il semblait indispensable de conserver une population cynégétique par le biais de cet artifice en l’absence d’une efficace politique de limitation des prélèvements.

Un hectare d’étang se négocie sur la base de 60 000 Fr. au cours des années 1990 : 10 000 Euros actuellement et plus encore. L’hectare de terre agricole se vend trois fois moins cher.

Ainsi que le constatait le Père Etienne Goutagny, moine trappiste à l’abbaye du Plantay et grande figure locale

« la valeur de la terre n’était due que par le produit qui en était tiré » [16].

Végétal ou animal.

Le colvert est la seule espèce sauvage européenne dont l’élevage et le lâcher soient autorisés en France. Ces pratiques sont anciennes et la Dombes n’est pas précurseur en ce domaine. Faisans, perdrix et lièvres, entre autres espèces, ont souvent contribué, à régulariser les tableaux de chasse d’espèces soumises à des conditions de survie et de reproduction devenues difficiles et aléatoires. Par ailleurs, il est probable qu’en règle générale, la pratique des lâchers ralentit, faute de la juguler, l’hémorragie d’une population de chasseurs toujours aussi actuelle [17].

Les lâchers en général, lorsqu’ils n’ont pas été réalisés dans l’esprit d’un repeuplement, autrement dit, lorsqu’ils n’ont pas été suivis de mesures favorisant la survie d’une proportion raisonnable de reproducteurs potentiels, ont souvent eu un effet inverse de celui escompté. Il a été effectivement démontré que la pression de chasse s’accentue sur les espèces qu’ils sont censés soutenir.

On ne doit pas faire l’amalgame entre la pratique de l’élevage d’appelants, répandue dans de nombreuses régions de chasse au gibier d’eau à travers le pays, et les lâchers massifs dont une grande partie doit appuyer le tableau. Ces derniers, compensent en fait l’incapacité à produire de l’écosystème et l’offre cynégétique insuffisante de celui-ci. Ils peuvent également satisfaire des actionnaires, plus encore, des clients de chasse parmi les moins sensibilisés, ou des moins concernés, au fonctionnement des milieux naturels.

L’appelant, cantonné artificiellement sur l’étang, a pour rôle d’attirer et de fixer ses congénères sauvages.

Il est aisé de différencier les oiseaux issus de lâchers des canards sauvages. A la fin de l’été ils nagent en groupes compacts de plusieurs dizaines à plusieurs centaines d’individus ; alors que les familles sauvages ne comptent que 4 ou 5 jeunes en moyenne, femelle en tête, tous demeurant proximité immédiate du couvert végétal qui les protègera des prédateurs.

Il est difficile d’estimer l’importance de ces lâchers : elle pourrait être de l’ordre de 30 000 oiseaux au début des années 1990 [18].

Dès la fin de l’été, alors que la migration est à peine amorcée, plusieurs milliers de ces oiseaux rejoignent l’étang du parc des oiseaux, à Villars les Dombes, où ils partagent avec leurs congénères captifs une alimentation artificielle, à laquelle ils se sont facilement habitués.

Les paniers de ponte privilégient la reproduction du colvert, en l’absence d’une couverture végétale spontanée. Le chemin de la biodiversité est à l’inverse.

Paniers de ponte sur un étang reprenant l'eau sur une culture de maïs d'assec : une gestion à l'inverse des principes du maintien de la biodiversité

L’impact des prédateurs

Les comportements territoriaux, agressifs ou d’intimidation, sont monnaie courante : ils font partie du spectacle permanent de l’étang. Ils sont une lutte de tous les instants des espèces pour leur survie (« struggle for life »).

La Foulque est un oiseau particulièrement territorial, agressif envers canards, grèbes et même échasses.

Des canes accompagnées de leurs jeunes barrent l’accès vers des sources d’alimentation à d’autres nichées.

Une Aigrette garzette chasse avec fracas une concurrente qui a pris ses aises sur son périmètre de pêche.

Des canes milouins délimitent un périmètre dont elles interdisent la pénétration aux autres nichées

Compétition entre 2 Aigrettes garzettes pour un terrioire de pêche

Ces comportements régissent les relations au sein de la biocénose (la faune), ils conditionnent leur distribution au sein de l’écosystème.

Toutefois lorsque celui-ci est, comme c’est le cas en Dombes, dégradé, la compétition, inter ou intraspécifique s’exacerbe, d’autant plus que les ressources alimentaires ou les possibilités de nidification sont réduites : elle peut alors devenir un facteur important de l’appauvrissement de la biodiversité.

Mieux documenté mais également bien plus aisé à reconnaître, est l’impact des prédateurs sur la reproduction des oiseaux nichant au sol : en Dombes de telles études se sont intéressées à la reproduction des canards et du Vanneau huppé.

Au bas d’un bassin versant dont les capacités de production biologique sont devenues déficientes, l’étang semble demeurer le seul espace potentiellement accueillant.

La faune s’y concentre, qu’elle niche sur place ou non.

Même les jeunes vanneaux nés sur les terres voisines sont guidés dès l’éclosion par leurs parents vers les berges salvatrices dont l’offre alimentaire en invertébrés est bien supérieure à celle des cultures alentour.

Les prédateurs profitent de ces concentrations de proies potentielles sur un espace de plus en plus limité, une berge, une ceinture végétale, une vasière, oppressée entre l’eau et la culture voisine. Le plus efficient d’entre eux est sans nul doute la Corneille noire, une « peste » connue depuis des lustres, et dont il est bien malaisé de réduire l’impact.

Un couple de corneilles noires, hôte quasi-systématique des bords d'étangs, surveille les allées et venues des autres oiseaux vers leurs nids

Couple de vanneaux parant à l'agression dune Corneille noire

Cette nichée, peut-être, bien vulnérable...

Il est un autre prédateur de couvées dont l’impact est très systématiquement sous-estimé : le Rat surmulot. A son propos, l’agrainage destiné à favoriser le cantonnement d’oiseaux lâchés aura sans doute servi la multiplication de ce « rongeur ».

Une étude de l’ONCFS, réalisée à partir de nids factices, a démontré qu’à elles deux ces espèces étaient à l’origine de la disparition de 80% des nids de canards.

La multiplication des prédateurs trouve pour partie ses origines dans l’évolution de la société locale. La réduction de la taille de la propriété privée (partages et successions), les coûts et charges inhérents à son entretien, ont pratiquement causé la disparition d’une profession dont le rôle ne peut être sous-estimé : celle de garde-chasse privé, dont les activités permanentes de piégeage – parfois par trop « enthousiastes » étaient globalement positives.

Garde-chasse particulier

garde-chasse particulier : une profession sur le déclin, malgré une utilité reconnue

Il n’est pas impossible qu’une nouvelle formule de cette profession, avec des objectifs précis, peut-être même collectifs, puisse resurgir des dispositions environnementales collectives futures.

Celle-ci, mieux protégée par le milieu environnant, a sans doute de meilleures chances de survie.

En l’absence d’un couvert végétal cette cane colvert est le seul rempart entre sa nichée et les prédateurs.

  1. 1983 : 1 129 600 exploitations, en 1970, 458000 en moins, QUID 1987 []
  2. limites ou transitions entre milieux différents []
  3. Blé, orge, ... []
  4. Louis Lamarche : l’évolution céréalière en Dombes in « la Dombes, 1900-1975 » []
  5. Farine de maïs grillée, typiquement bressan []
  6. même montant de prime quelle que soit la céréale, prix de vente similaire, mais production supérieure en moyenne du blé sur le maïs de près de 30 q/ha ! []
  7. qui se comporte comme une espèce autochtone []
  8. Terme régional désignant les chaumes de céréales []
  9. Emmanuelle Pfaff et Christine Saint Andrieux : le développement du sanglier en France []
  10. À une période sensible et décisive de leur vie en hiver. []
  11. Gibier ailleurs, l’espèce n’est pas chassée dans l’Ain []
  12. Ou « barboteurs », comme le colvert et les sarcelles, par opposition aux canards « plongeurs » qui se nourrissent en profondeur. []
  13. La femelle du chevreuil, souvent improprement appelée « biche ». []
  14. Broyer, in Alauda LXX.-3.2002 : Résultats comparés de la reproduction des anatidés dans trois principales régions de nidification de France : la Dombes, la Brenne, le Forez. []
  15. Nom de la famille à laquelle appartiennent les canards, les oies, les cygnes… []
  16. « La vigne en Dombes », Père E. Goutagny, in « mémoires du Pays de Dombes, 1999. []
  17. Et dont on ne sait combien de temps elle résistera et paiera l’investissement que représente la pratique de la chasse, tout en maintenant des espaces de production de faune. []
  18. Jean-Yves Fournier, com. personnelle. []
24oct/10Off

Du rififi dans les saules : hérons et Spatule

Les bourrelets argentés des saules sont agités des allées et venues incessantes de petits hérons, blancs, ou gris. Le brouhaha qui émane des lieux évoque un jour de marché à Louhans, ou encore les trois Glorieuses – la célèbre fête régionale à la gloire du Poulet de Bresse.

Cela caquette, cela déblatère, cela croasse.

Plusieurs espèces de hérons, et récemment la Spatule blanche ont installé leur colonie en une tour de Babel où se côtoient petits et grands hérons gris et blancs.

Ailleurs ce sera sur un ilot, dans une aulnaie humide et reculée, dans un bois de chênes.

Culminant aux plus hautes branches de celui-ci, se trouvent essentiellement les lourdes structures de branchages qui caractérisent les colonies de Héron cendré Ardea cinerea. Mais sur l’étang ou au bois, minces plateformes et imposantes aires de branchage se touchent parfois et les crises de palier sont monnaie courante.

Depuis les bas branchages qui surplombent la surface de l’eau, un Bihoreau gris, pêcheur de la nuit, traque le fretin au travers de son propre reflet, comme monopolisé par une attention narcissique.

Le Héron cendré

Lorsque le grand Cormoran déferle sur la Dombes et le reste du pays en 1990, il remplace immédiatement le Héron cendré Ardea cinerea dans les préoccupations du monde piscicole qui le considérait jusque là comme son seul réel concurrent.

Depuis toujours le Héron cendré était le 1er et même le seul de son groupe spécifique à se regrouper sur les étangs dès que la vanne était ouverte.

Sa population s’accroit après sa protection en 1975.

Moins que la population nicheuse, ce sont les hérons qui trouvent les étangs sur le chemin de leur dispersion postnuptiale et automnale, dont une partie provient d’Europe centrale, qui commencent à inquiéter.

Le Héron cendre niche en colonies le plus classiquement en milieu forestier. Il niche moins souvent sur les étangs : les nids sont alors construits sur des amas de branchages provenant d’un retroussement d’étang, ou sur les saules d’un ilot, régulièrement en compagnie d’autres espèces de petits hérons.

Depuis vingt ans, bien que le nombre de ses colonies augmente progressivement, le nombre de couples nichant en Dombes est stable : l’effectif moyen des colonies diminue donc. L’exploitation des parcelles forestières où se reproduit l’essentiel des hérons est sans doute le principal facteur pondérateur de leurs effectifs. La délocalisation de couples après une exploitation partielle ou complète du site de nidification explique en grande partie l’augmentation du nombre des colonies.

Population actuelle :


L’effectif nicheur doit être considéré comme globalement stable à légèrement fluctuant depuis 1994. Les effectifs reproducteurs sont estimés à 1121 couples répartis en 20 colonies en 2010, après avoir atteint un maximum de 1186 couples en 8 colonies en 1996. Il n’a pas retrouvé les effectifs maximums enregistrés en 1996 sur un nombre de colonies inférieur de moitié (n=8), soit 1186 couples, effectif approché en 2002 avec 1173 couples.

A titre indicatif, la population française est estimée entre 28000 et 32000 couples en 2002.

La population automnale s’accroît de 5,9% par an sur la période 1991/2009.

Les "petits" hérons

La Dombes revêt un intérêt national pour ces espèces dont 3 sont concernées par la Directive Oiseaux : le Bihoreau gris, l’Aigrette garzette, le Crabier chevelu.

Le plus abondant de tous, le Héron garde-bœufs Bubulcus ibis n’est pas inscrit au titre de cette directive.

Héron gardeboeufs

Plus récemment les ont rejoints deux espèces perçues différemment par les dombistes : chronologiquement la Grande Aigrette et la Spatule blanche.

Populations actuelles :

Les quatre espèces de petits hérons totalisent 700 à 900 couples en 2008, environ 700 couples en 2009 répartis sur 9 colonies connues :

- Héron garde-bœufs : 335 couples minimum

Héron gardeboeufs

Héron gardeboeufs (bec jaune orangé) et Aigrette garzette (bec noir, pattes jaunes)

- Bihoreau gris : 239 couples minimum

Bihoreau gris/adulte

Bihoreau gris : un juvénile dont le plumage est peut-être à l'origine d'une confusion fréquente en fin d'été, avec le rare Butor étoilé ; localement le Bihoreau est souvent appelé "butor".

- Aigrette garzette : 105 couples minimum

Aigrette garzette : son plumage aura failli signer sa perte

- Crabier chevelu : deux à trois couples durant la majeure partie des années 90, 8 à 10 couples dans une colonie en 1999. L’effectif est fluctuant sans être jamais abondant. Plus d’une centaine d’adultes – méditerranéens ou locaux ? - ont pu être observés simultanément en juin et juillet (2006, CORA, ONCFS).

Ce Crabier vient de capturer un (autre) prédateur de têtards : une larve de Dytique.

Crabier chevelu

Crabier chevelu

La Grande Aigrette

Celle qui faillit disparaître pour que les belles du début du siècle puissent arborer ses magnifiques plumes scapulaires sur de larges et ombreux couvre-chefs prend depuis une décennie une revanche qui serait éclatante si son expansion, de type invasif ou peu s’en faut si l’on en juge par l’accroissement des effectifs automnaux n’ajoutait pas au ressentiment ambiant envers les oiseaux piscivores.

...Une augmentation de la population hivernale qui ne laisse pas d'inquiéter les exploitants d'étangs

La Grande Aigrette Egretta alba hiverne régulièrement en France depuis la fin des années 70, mais il a fallu attendre le milieu des années 90 pour que sa nidification soit confirmée presque simultanément sur le Lac de Grand-Lieu et en Camargue puis en Dombes.

Dans chacun de ces sites, l’effectif est, à la fin des années 90, compris entre 1 et 3 couples.

La Grande Aigrette est rarement citée en Dombes avant 1990. A l’automne 1997, 170 grandes aigrettes étaient dénombrées sur un seul dortoir et fin 1999 le même dortoir dépassait 300 oiseaux. Un groupe de 326 individus était observé sur un étang en vidange début décembre de la même année.

Suspectée dès 1995, la première reproduction de l’espèce n’est confirmée qu’au printemps 98 lorsqu’un nid est trouvé dans une grande roselière à phragmites de la Dombes devenue chronologiquement le troisième site de nidification en France.

Un adulte nourrit un jeune au nid

L’origine de sa récente colonisation vers l’ouest de l’Europe et notre pays est mal définie elle peut être rapprochée d’une bonne productivité des populations les plus occidentales, ou encore du report d’oiseaux dont les sites de nidification auraient défavorablement évolué, comme par exemple dans le delta du Danube.

Les grandes populations dont sont originaires les oiseaux qui fréquentent la Dombes se distribuent selon toute vraisemblance depuis l’Autriche et la Hongrie jusqu’en Russie et en Azerbaïdjan.

Population actuelle :

La population estivale stagne à un niveau d’effectifs modestement compris entre 1 et 3 couples annuellement (1 en 2010).

Il n’en est pas de même pour la population hivernante qui culmine courant novembre avec un flux de migrateurs compris entre 1000 et plus de 2000 individus : leur taux d’accroissement annuel est de 44% sur la période 1991/2009. L’effectif indiciaire simultané de novembre 2009 recueilli sur un échantillon de 105 étangs situés en Dombes centrale totalise 833 individus (1000 ind. en 2008).

Directive Oiseaux


La Spatule blanche

Dernière venue des grands échassiers en Dombes la Spatule blanche Platalea leucorodia s’invite dans un contexte écologique qui bien que reconnu défavorable pour la biodiversité dans son ensemble, semble se trouver sur la voie d’une expansion inespérée…Inespérée pour une espèce longtemps en danger – pour laquelle d’ailleurs un plan International de Conservation est actuellement en cours de lancement - et dont la population d’Europe Occidentale, s’accroit depuis une quinzaine d’années.

Première rencontre

Échassier mais non héron. Quoique proche de ces derniers, elle l’est plus encore des ibis avec lesquels elle partage une famille systématique imprononçable et proprement incompatible avec son élégance...mais non avec son originalité : les « Threskiornithidés »

Jusque là visiteuse occasionnelle, après une 1ère tentative de nidification en 1998 qui semble ne pas vouloir se concrétiser au cours des années suivantes, elle apparaît en 2005 au sein d’une colonie de petits hérons.

2005 : une première tentative...

En 2006, 5 à 6 couples se reproduisent pour la 1ère fois avec succès sur les saules qui bordent un petit étang. Il s’agit d’un domaine privé comme toujours ou presque en Dombes. Trois vidanges et pêches estivales consécutives, contrairement à la pratique générale locale, ne semblent pas perturber la reproduction de cette espèce, contrairement d’ailleurs à d’autres strictement paludicoles présentes sur le site : les roselières exondées sont plusieurs fois abandonnées par hérons pourprés et blongios.

En 2006 naissaient pour la première fois des spatules en Dombes

L’origine des spatules nichant en Dombes n’est pas clairement définie, mais les données de bagues observées sur des oiseaux qui y stationnent démontrent le véritable carrefour des populations que constitue cette région : Pays-Bas (1988, 1996, & 2009 CORA), Camargue en 2008, Loire Atlantique en 2004 (CORA, ONCFS) !

Population actuelle :

6 ou 7 couples se reproduisent en 2010 (contre 9 ou 10 couples en 2009).  Les effectifs psts-nuptiaux atteignent 44 oiseaux, adultes et juvéniles, migrateurs compris fin août début septembre 2010.

Directive Oiseaux

Nostalgie : l’Ibis falcinelle…

A l’écart des étangs, il faut se forcer à imaginer les canaux du Marais des Echets, à moins d’un demi-siècle de nous, véhiculant mollement ses eaux dans un dédale de roseaux. Un temps révolu où le Courlis cendré Numenius arquata côtoyait le Râle des genêts Crex crex, et le Fuligule Nyroca l’Ibis Falcinelle Plegadis falcinellus et le Butor étoilé : la faune du marais était tout aussi originale que celle du centre Dombes qu’elle complétait magnifiquement.

...Parmi les mouettes

La Dombes est un des rares sites français où l’Ibis falcinelle a consenti à se reproduire. Cela remonte au tout début des années soixante. On détecte sa présence au marais des Echets, au sud du plateau, une large cuvette non connectée aux étangs. L’endroit donnait alors le change au point d’évoquer – du point de vue de l’oiseau - les vastes marécages du delta du Danube où le falcinelle se complaît encore !

Au tournant des années 90 et 2000, le rythme des visites de l’Ibis falcinelle s’est accentué. Partout en France. Isolé ou par petits groupes, ce qui pouvait suggérer une reproduction locale, mais plus probablement encore des retours des quartiers d’hivernage d’Afrique Occidentale, (mars/avril), un erratisme postnuptial des ibis caucasiens ? L’expansion récente de la Grande Aigrette à partir du même berceau centre-européen pouvait constituer le signe avant-coureur de la recolonisation de notre région.

Ce ne fut pas l’Ibis falcinelle : la Spatule blanche, soudain, était là. Mais les récentes évolutions de l'Ibis falcinelle en Camargue  (plus de 400 couples en 2010 !) pourraient bien  se poursuivre par une prochaine réinstallation en Dombes...

La rencontre avec cet oiseau sombre et satiné, à la silhouette déroutante, subjugue et transporte immédiatement vers d’autres horizons, lointains, chargés d’exotisme : le falcinelle est peut-être en route vers le sud du Sahara… Là, il hivernera, rejoint par des centaines d’autres, sur quelque mare résignée à ne pas résister au soleil plus de quelques semaines.

Son sosie américain s’est parfois échappé du parc des oiseaux de Villars les Dombes voisin: l’Ibis de Ridgway. Identification réservée aux spécialistes !

Directive Oiseaux