De la haie…
Si toutefois Natura 2000 a défini ses priorités, dont la hiérarchisation est fonction d’une part des enjeux que représente le local dans la biodiversité nationale, et d’autre part de la masse budgétaire qui lui est allouée, alors, la haie n’en fait partie. Alors que dans l’application de la Directive Oiseaux, concrétisée sur le terrain par l’extension du périmètre Natura 2000, on s’attachera à réhabiliter la prairie, la haie, complément linéaire de la strate herbacée, et détentrice de plusieurs espèces animales inscrites dans ladite directive ainsi que dans la Directive habitats (Chiroptères [1], est ignorée.
Bresse et Dombes sont sœurs, au point que l’on ne sait pas toujours où commence l’une et où finit l’autre. Toutes deux ont leurs étangs, leurs haies, et il semble qu’on ne leur laissât point d’alternative : le bocage définirait le paysage de la première comme l’étang signe celui de la seconde. Le bocage bressan, ancré dans son paysage depuis le 17ème siècle, et bien qu’ayant… de beaux restes, a souffert encore dans un passé récent. Parlant de la Bresse, on se rendra sans doute bientôt compte qu’on aurait pu anticiper et se préoccuper également d’étudier le potentiel biologique de ses étangs, complémentaires de ceux de la Dombes, et réceptifs à une part de la faune de cette dernière et qui n’y trouverait plus sa place… Mais comme les étangs de Bresse, le « bocage » de Dombes ne suscite qu’insuffisamment d’intérêt, ne fait l’objet d’aucun monitoring. Et il s’altère dans une indifférence qui préoccupe au moins les environnementalistes.
La haie est pourtant omniprésente en Dombes. Celle-ci s’est faite discrète grâce à elle. C’est elle, avant les cultures, qui dissimulait les eaux, seulement perceptibles grâce aux voix sauvages qui en jaillissent. Le nord de la Dombes, plus orienté vers l’élevage, plus prairial, semble avoir mieux conservé son réseau bocager. Mais peut-on seulement parler de bocage ? Peut-être. Et encore, localement seulement on retrouve l’ambiance des chemins creux ombragés et des eaux miroitant à distance au travers des branchages. Élevage, pâtures, des haies pour clôtures…On reconnaît là l’histoire et les premiers rôles dévolus à la haie : séparatrice de parcelles, de propriétés, lieu d’affouage [2] réservé au fermier et de récolte de quelque bois d’œuvre. Au long de l’étang, le rideau d’arbres qui l’enchâsse, clôt la propriété, occulte jusqu’à son existence, en une quête réussie d’intimité.
Mais la haie, basse et buissonnante ou de haut jet, qui sépare les cultures et les pâtures, borde les fossés et les cours d’eau, retient les sols et limite les effets érosifs du vent ou du ruissellement, tamponne certaines pollutions, celle-ci mérite notre attention. A nos yeux elle rompt la monotonie des plaines. Pour la faune, elle crée un univers et en relie d’autres. Elle est relais ou port d’attache. Le saule têtard ou le vieux chêne recèlent en leurs creux aubiers le Pigeon colombin et la Hulotte Strix aluco. La Fouine y gîte comme la Noctule et le Vespertilion [3], en attendant l’heure ou l’ombre remplacera la lumière.
Traversant la prairie en un binôme gagnant, on y verra la Pie-grièche dominer l’épineux, Aubépine ou Epine noire, d’où elle plongera sur sa proie.
Dominée par le Chêne et quelque Frêne, la continentale Fauvette babillarde en laisse échapper son trille vif comme une cascade. Face au soleil, c’est la Fauvette grisette Sylvia communis qui prend le relais d’une courte strophe bondissante et aigrelette, accompagnée de la diatribe soutenue et déconcertante de l’Hypolaïs polyglotte Hypolais polyglotta.
Alors qu’elle est peut encore être considérée comme incompatible avec les modes de production céréalière plutôt adaptés aux grands parcellaires, et alors qu’aucun texte n’interdit de couper une haie, on assiste à des opérations de réhabilitation du bocage, essentiellement en Bresse. Pour exemples, d’une part la Communauté de Communes de Pont de Veyle, laquelle intègre quelques communes du nord-ouest Dombes, et d’autre part le syndicat mixte des Territoires de la Chalaronne, pour ce qui concerne l’aval de cette rivière – nous avons quitté la Dombes des étangs- sous l’impulsion du Contrat de rivière soutenu lui-même par un réseau de partenaires, [4], l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse et la Fédération Départementale de Pêche de l’Ain ont lancé un projet de replantation de haies.
Dans l’Ouest de la Dombes au contact de la rivière Formans, le Syndicat Intercommunal d’Aménagement Hydraulique de Trévoux et des environs (SIAH) appuyé par la Chambre d’Agriculture de l’Ain a prévu de replanter plusieurs kilomètres de haies doublées de bandes enherbées, après que des orages causèrent inondations et coulées de boue.((Brève de territoire, Chambre d’agriculture de l’Ain, n°5 nov. 2010))
Ces attentions sont louables mais sans doute encore loin d’être à la hauteur de la toujours actuelle valeur patrimoniale et paysagère de la haie. Lorsque l’une d’elles a disparu, et que d’aventure – au sens littéral du mot - on la replante, il lui faudra plusieurs décennies pour recouvrer la diversité de son peuplement. Cela prendra moins longtemps pour un arbre fruitier ou un saule que pour un chêne, pour qu’une cavité se creuse et accueille la Huppe fasciée Upupa epos et la Chevêche Athene noctua. Et encore moins longtemps si on ne la détruit pas.
Et ce songe était tel, que Booz vit un chêne
Qui, sorti de son ventre, allait jusqu’au ciel bleu ;
Une race y montait comme une longue chaîne ;
Un roi chantait en bas, en haut mourait un Dieu.
((V. Hugo, La Légende des Siècles, 1859, Première Série II))
Il nous faudra compter sur une information continue, sur une véritable stratégie de sensibilisation auprès des exploitants pour que ceux-ci, au moins sur des initiatives individuelles –c’est parfois le cas - commencent de considérer leurs haies sous un angle qui ne serait plus celui de la gêne.
Et pourtant, je ne puis (…)
Entretenir cette calme sagesse qu’il y a longtemps
Le grave maître athénien enseigna aux hommes
L’assurance de soi, la connaissance de soi, la tranquillité d’esprit
Pour voir passer la tête haute les vains fantasmes du monde.
Hélas ! Ce front serein, ces lèvres éloquentes,
Ces yeux qui furent le miroir de l’éternité,
Reposent dans leur propre Colone [5], une éclipse
A dissimulé la Sagesse, et Mnémosyne
N’a plus d’enfant ; et dans la nuit où elle avait prévu
Qu’il s’évaderait facilement, le hibou d’Athéna [6] lui-même s’égara. »
((Oscar Wilde, Humanitad, 1881))
La Pie-grièche écorcheur
Rapace parmi les passereaux, terreur des mille et une pattes, depuis l’araignée Thomise, caméléon à l’affut de l’abeille qui viendra butiner l’églantine, jusqu’au minuscule Rat des moissons dont l’œil s’allume à l’entrée de son nid d’herbe perché.
Pie-grièche écorcheur/mâle Pie-grièche écorcheur/femelle
Mi-faucon guettant sa proie depuis une clôture, le sommet d’une haie, ou un câble électrique qui longe la route secondaire, mi-gros moineau auquel elle emprunte parfois la voix, elle qui, en vraie Diane préfère le silence.
Elégante et sereine, telle est la Pie-grièche écorcheur Lanius collurio, petit seigneur des étés européens qui associe indéfectiblement la haie épineuse et les prés : la première protège sa progéniture, les derniers sont son terrain de chasse.
Un Campagnol a fait les frais de la chasse de ce mâle Pie-grièche, une chenille ceux de sa femelle
Ponctuant son territoire, sa signature annonce son régime alimentaire et règne par la peur sur ses sujets : un garde-manger aux allures de gibet. L’Epine noire et l’Aubépine, à moins que ce ne soit le croc d’un fil barbelé, se font planche à larder, exposant brochettes de Cétoine, de Sauterelle verte, ou encore bras de Campagnol agreste.
En Dombes, la Pie-grièche écorcheur est la plus régulière représentante de sa famille, sans jamais être abondante. On y croise bien occasionnellement quelque Pie-grièche à tête rousse Lanius senator, migratrice en escale, mais cela est bien rare. En hiver presque exclusivement, la Pie-grièche grise Lanius excubitor se substitue à l’écorcheur, préférant comme poste d’affût les câbles du téléphone aux branches d’aubépine.
La Pie-grièche écorcheur est, des oiseaux prairiaux, celui qui devrait s’en sortir le mieux : parce qu’elle ne niche pas au sol et n’est pas assujettie au rythme des fenaisons. Las, la haie n’a pas encore la totale faveur d’un monde agricole, en mutation certes, mais où, perdurent – nécessité ou besoin – des pratiques sans doute désormais révolues. La haie – doit-on encore parler de bocage – recule encore, pressée par une optimisation des temps et coûts de production, héritages du Grand Remembrement des années soixante, confrontée à une mécanique puissante vouée à de vastes parcellaires uniformisés.
Population :
Effectifs toujours sous-estimés du fait de sa discrétion (elle chante rarement) en l’absence de dénombrements spécifiques ; actuellement aucune estimation sérieuse des populations. D’assez commune dans les années soixante et soixante-dix, elle est devenue plus localisée, voire absente de communes dépourvues de bocage et de surface en herbe. Très belle population en Val de Saône, certaines communes comptant de l’ordre d’une centaine de couples.
Directive oiseaux
La Huppe fasciée
La huppe s’anime d’un va et vient langoureux d’éventail. Dérangé dans sa quête d’un insecte terrestre, un grillon peut-être, l’oiseau semble courroucé. Comme contraint de s’élever du chemin creux d’un vol papillonnant. On entendra mais un peu plus tard son appel comme assourdi, lointain, une onomatopée quasi-parfaite qui lui a donné son nom scientifique (au passage, « Upupa » ne signifiant pas « huppe »!) : « houpoupou »…
La Huppe fasciée Upupa epops c’est une part d’exotisme dans notre ruralité, un visiteur d’été aux accents subsahariens transposé à nos frais bocages. Grande pourfendeuse de courtilières, alliée du jardinier et autre maraîcher sous nos latitudes, elle devient terreur des criquets et des sauterelles en Afrique, où l’hiver venu elle rejoint des sédentaires conspécifiques. Son nid, elle l’aménage dans un de ces arbres creux, pommiers de ce verger où elle le disputera peut-être à une Chevêche, plus surement encore à un Etourneau sansonnet, un trou dans le chêne de cette haie, dans une fissure du pisé d’un vieux mur de cette ferme.
On l’aura compris, son habitat est composé, varié, de lisières et de vieux arbres, de prés, de jardins et de friches. Tiens comme la Chevêche, ou peu s’en faut !
Commune avant 1960 [7], elle est donnée sur le déclin dès le milieu des années 1970. La tendance, qui ne tient pas qu’à la Dombes, ni à la région Rhône-Alpes, ne s’est pas inversée depuis [8].
Population
Quelques couples en Dombes où sa population décline. Elle est d’observation encore plus régulière en Val de Saône et en Bresse.
Huppe fasciée
Hypolaïs polyglotte
- Chauves-souris [↩]
- Terme plus généralement appliqué à un droit de récolte du bois « à mette au feu », ou au foyer, dans les parcelles communales [↩]
- chauves-souris [↩]
- le Conseil Régional Rhône-Alpes, Le Conseil Général de l’Ain [↩]
- Colone : bourg de l’Attique, patrie de Sophocle [↩]
- Le nom complet de la chevêche est « Chevêche d’Athéna », la déesse dont elle est la compagne de tous les instants. [↩]
- Meylan (1938) et Vaucher (1955) in Alain Bernard et Philippe Lebreton :2007, Les oiseaux de la Dombes : une mie à jour [↩]
- Les oiseaux nicheurs rhônalpins, 1975, CORA [↩]
Plantes invasives : La menace de la Jussie à grandes fleurs
La Jussie
En 1996, on découvrait dans le nord de la Dombes un étang recouvert dans sa totalité d’une formation végétale inconnue ici à l’état spontané. L’étang au premier regard, est paré d’une magnificence rare, totalement, densément fleuri, de fleurs entièrement jaune d’or, d’un feuillage d’un vert ciré, émeraude : il ne s'agissait ni du Rorippe aquatique Rorippa amphibia, ni de la Villarsie faux-nénuphar Nymphoides peltata, tous deux capables de s’étendre en de très vastes formations. Mais…
On déchante très rapidement lorsque, identifiée, la plante se révèle être la Jussie à grandes fleurs Jussia grandiflora.
La Jussie est alors rapidement localisée sur quelques rares mares et plans d’eau privés, la plupart ne semblant pas connectés au réseau hydrographique principal. En 1997, elle décore un plan d’eau d’un établissement scolaire en centre Dombes, et un bassin privé du sud-est. En 2008, les bassins d’exposition d’une entreprise horticole du nord-ouest de la Dombes en sont envahis.
On la connaît dans bien d’autres régions de France, depuis les marais et canaux méditerranéens jusque dans l’ouest et le centre de la France. Des dizaines d’étangs brennous sont étouffés par la densité de son emprise et son dynamisme racinaire. Sa prédominance sur les autres espèces est telle qu’elle envahit les milieux aquatiques, ne laissant aucune chance à la diversité végétale autochtone.
Le combat qui est mené dans ces régions inquiète la Dombes qui craint sa prolifération.
Celle-ci, étonnamment, mais heureusement, tarde.
Il faut attendre 2006 pour qu’un second étang dombiste soit contaminé. Il n’est pas situé sur une même ligne d’écoulement des eaux que le premier mais se révèle appartenir au même propriétaire. La lutte commence, alerte donnée conjointement par les services de l’état (l'ONCFS et le syndicat des exploitants d’étangs).
En 2008, un troisième grand étang, situé à 20 kilomètres plus au sud est touché par la peste végétale, alors que jusqu’ici essentiellement des petits plans d’eau étaient concernés. Depuis, plusieurs étangs ont été "contaminés".
Sur la Veyle, une des rivières principales qui traverse la Dombes du Sud vers le Nord-ouest pour se jeter dans la Saône, le syndicat mixte chargé du Contrat Rivière, lance une campagne d’arrachage. Car il n’y a pas d’autre moyen efficace connu actuellement de lutter contre cette plante invasive et qui menace les écosystèmes aquatiques :
Originaire du Brésil, la Jussie a été introduite dans notre pays au début du 19ème siècle afin d’agrémenter le Jardin des Plantes de Montpellier. De là, elle s’acclimata dans le sud de la France, avant de se disperser dans de nombreux pays européens.
Un arrêté du 2 mai 2007 du ministère de l'Agriculture et de la pêche interdit sur tout le territoire métropolitain, le colportage, la mise en vente, la vente, l'achat, l'utilisation ainsi que l'introduction dans le milieu naturel, volontaire, par négligence ou par imprudence de deux espèces de Jussie, Ludwigia peploides et Jussia grandiflora.
Une espèce appartenant à la même famille est au contraire protégée au niveau régional : il s’agit de la Ludwigie des marais Ludwigia palustris assez commune sur les étangs.
La Jussie constitue une réelle menace pour l'ensemble de l'écosystème.
La Renouée du Japon
Toutefois de nombreux végétaux allochtones sont susceptibles de se révéler envahissants et de constituer un danger pour la biodiversité indigène. La Renouée du Japon Fallopia japonica est de ceux-ci. Elle est également présente en Dombes. Elle a essentiellement colonisé de nombreuses rivières du pays dont elle a étouffé la végétation rivulaire. L’Ain n’y échappe pas. Petite rivière de l’ouest du plateau, le Formans non plus. L'Association de Gestion et de Suivi Environnemental du bassin du Formans (AGESEF) a pris ce problème à bras le corps.
Si vous avez connaissance de la colonisation d'un terrain par ces végétaux, renseignez-vous sur les moyens de les éradiquer auprès des services compétents de l'Agriculture et de l'Environnement.
La végétation du centre de l’étang : les hydrophytes
Flottante, elle offre sans nul doute la palette aux accents les plus impressionnistes de tout le monde végétal aquatique. Ses formations se succèdent au fil des mois sur l’étang, le même ou bien un autre : à l’immaculé tapis de la Renoncule peltée Ranunculus peltatus, succède celui, rose gourmand de la Renouée amphibie Polygonum amphibium ou encore celui de la Villarsie Nymphoides peltata, aux feuilles d’un vert émeraude ciré et aux fleurs jaune vif. Plus rares ici sont le Nymphéa Nymphaea alba et le vrai Nénuphar Nuphar lutea. Les fleurs du premier, éclatées et blanches, semblent avoir été comme déposées sur les feuilles et l’eau. Celles du second, hésitent à s’épanouir, pudiques sphères jaunes à l’extrémité de leur pédoncule allongé.
Vers la fin de l’été, des étangs entiers brunissent, comme atteints par la rouille, massivement, par la crainte, si peu souhaitée mais opiniâtrement récurrente...Châtaigne d’eau Trapa natans.
Sous la surface, la vie végétale est tout aussi riche, ou du moins devrait l’être. L’identification des végétaux y est souvent difficile : c’est essentiellement le domaine des potamots Potamogeton sp, de la Myriophylle en épis, des Characées. Leur développement n’est pas que subaquatique, et des espèces comme le Potamot noueux Potamogeton nodosus et le Potamot nageant Potamogeton natans étalent ostensiblement feuilles et inflorescences à la surface. La Myriophylle ne laissera apparaître que de minces épis rosissants, alors que la Cornifle (ou Cératophylle) Ceratophyllum demersum et les rugueuses Naïades Naias sp demeureront densément et subaquatiques.
La Châtaigne d’eau
Plus que tout autre macrophyte (plante aquatique) la Châtaigne d’eau, qui est une plante indigène est considérée comme une plaie, car son épais feuillage freine la pénétration de la lumière et gêne le développement des poissons. Aussi, est-elle à l’origine d’une autre pratique : le faucardage, un exercice mécanique consistant à limiter son emprise. Pour cela, on utilise une embarcation légère à moteur et fond plat, munie généralement de deux barres de coupe, une verticale, une horizontale. Cette méthode, est contraignante, fastidieuse même sur de grandes étendues. Son effet n’est pas probant sur le long terme, mais elle est actuellement, de loin préférable, à une lutte chimique, moins sélective et dont l’incidence sur la communauté végétale est plus douteuse[BM1] .
Cette régulation mécanique a l’avantage de pouvoir être ajustée aux zones colonisées par la Guifette moustac. C’est afin de protéger la reproduction de cet oiseau qu’il a souvent été proposé depuis 1994 aux gestionnaires d’étangs une indemnité permettant de compenser le manque à gagner occasionné par la conservation partielle du tapis végétal.
La gestion des milieux végétaux qui accueillent les colonies de guifettes est prise automatiquement en compte par exemple par les mesures Natura 2000, ou dans certaines mesures dites aqua-environnementales. Ailleurs, et cela implique l’essentiel des colonies, aucune mesure de conservation n’entre en vigueur.
[BM1]voir un commentaire précédent : chaulage, etc….
Quid des prés et des landes : l’extension du périmètre Natura 2000
Les problématiques afférentes à la gestion du bassin versant et à ses conséquences sur l’ensemble de l’écosystème sont développées dans le chapitre « Aux sources de la biodiversité » et sont reprises, chaque fois que nécessaire, dans les chapitre « Les Oiseaux ».
La Dombes ne possède que rarement de landes en bordures des étangs. L’Union Européenne a entériné la fin des jachères fin 2008. Les prairies permanentes sont souvent des pâtures, et lorsqu'il s'agit de prairies de fauche, le rythme des fenaisons ne laisse plus de temps à la faune de réaliser son cycle de reproduction.
Chaque carré de terrain à l’abandon, chaque friche, les réseaux de fossés, bordures de routes et de chemins constituent les vecteurs d’une biodiversité qui trouve là un habitat de substitution lorsque manque l’essentiel. Mais force est de reconnaitre que notre époque, nos besoins laissent le minimum de place à une telle spontanéité végétale.
Au milieu des années 1990 un premier programme environnemental (LIFE) tente de réhabiliter quelque 250 hectares de prairie en Dombes, d’une prairie qui laisse le temps à la vie de s’installer. Il faut attendre 2009 pour que les politiques agro-environnementales laissent entrevoir une évolution encourageante qui vise à une implantation significative de prairies utiles à la faune. Un programme en cours : les Mesures Agro-Environnementales Territorialisées.
Natura 2000 est passée. Avec elle, l’application, à l’arrachée, de la Directive Oiseaux qui implique une extension du périmètre de restauration des habitats favorables à la faune, jusqu’à 200 mètres au-delà de l’étang. On brandit d'abord localement cette mesure comme un épouvantail, s'attachant plus à la forme de son obtention, qu'au fond, ce qu'elle signifie et apporte réellement : un système contractuel dans lequel chacun peut s'inscrire à son gré, et dans un cadre ultimement limité par les disponibilités budgétaires allouées à l'application de la mesure. Pas de quoi fouetter un chat. Sans explication, avec peu de moyens prévus dans un premier temps à l'animation et la mise en place de ce train de mesures, une réaction était inévitable. Ces balbutiements de jeunesse font désormais en principe partie du passé.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, la cartographie qui résulte de l’extension de ce périmètre confère enfin à la Dombes une identité, une réelle entité écologique. Non ? Si !
Toutefois on n’attend pas d’inversion de la dynamique démographique du cortège d’espèces inféodées au milieu prairial avant la pérennisation d’un système garantissant le retour d'une superficie significative de prairie de fauche, celle-ci autorisant bien sur le cycle complet de reproduction de ces espèces, vertébrées et invertébrées. Crises sanitaires et laitières, vieillissement et disparition des exploitations laitières, difficultés du métier d’éleveur, ne semblent pas emprunter une telle direction.
Plusieurs projets, peut-être seulement encore des velléités, se dessinent néanmoins dans le cadre d'action agro-environnementales, de contrats de développement durable : des pistes encore plus que des projets, mais qui autorisent de refuser en la fatalité d'une fin de cette part de culture et de biodiversité en Dombes.
ZOOM sur : Le Cuivré des marais
Le Cuivré des marais Thersamolycaena dispar est un papillon prioritaire au titre de la Directive Habitats.
La recherche de ce petit Lépidoptère aux couleurs vives a permis de démontrer l’existence d’une population importante en Dombes. La prairie lui est indispensable pour conclure son cycle annuel : il s’y reproduit en juin et juillet, recherchant les rumex qui la parsèment, ses chenilles s'en nourrissant. Pour ce faire, encore faut-il que la plante ne soit pas fauchée trop tôt. Or, fin mai ont déjà lieu les premières fenaisons…
Avant, ou au contraire plus tard en saison, en août et septembre, on le trouvera le long des fossés non entretenus, dans ces petits habitats dont l’agriculture se désintéresse (coins de parcelles impossibles à traiter avec du matériel lourd, talus, friches) et qui constituent autant de vecteurs, de corridors, vers ses sites de reproduction.
Ne pas confondre : Cuivré des marais et Cuivré commun !
Vernes et vorgines
Au contact de l’étang, là où les sols se ressuient difficilement, et même demeurent par périodiquement inondés, le Chêne et le Bouleau sont précédés de l’Aulne et du Frêne, eux-mêmes suivis du saule.
L’Aulne glutineux Alnus glutinosa, en peuplements homogènes, conserve toujours l’apparence d’un frêle bois temporaire, d’un gaulis un peu maigrelet, un peu tordu, qui corrobore l’idée ancienne que l’on se faisait du marais : son insalubrité se reflèterait même jusque dans ses ligneux ! On retrouve l'appellation vernaculaire de l'aulne "la verne" dans le nom de plusieurs étangs : Vernay, Vernayes, Vernai [1]...
Au contraire en bourrelets ronds et denses, le Saule – en fait un groupement complexe concernant plusieurs espèces parfois hybridées : Salix alba, cinerea, caprea - est désigné régionalement sous le vocable générique « vorgine ». Il offre des lieux une physionomie plus souriante, bonhomme, un feuillage cendré compact et frémissant.
Au contraire en bourrelets ronds et denses, le Saule – en fait un groupement complexe concernant plusieurs espèces parfois hybridées : Salix alba, cinerea, caprea - est désigné régionalement sous le vocable générique « vorgine ». Il offre des lieux une physionomie plus souriante, bonhomme, un feuillage cendré compact et frémissant. Il constitue le milieu privilégié par les « petits hérons » Bihoreau gris, Aigrette garzette, entre autres, pour y nicher en colonies.
La Leucorrhine à gros thorax
L’étagement d’une large succession végétale inondée, depuis la surface de l’eau, jusqu’au stade arborescent qui borde l’étang, ainsi qu’une une charge modérée en ichtyofaune [2] herbivore, favorisent le maintien en Dombes d’une rareté nationale, une Libellule qui est devenue de ce fait, un des enjeux prioritaires de conservation patrimoniale en Dombes (Natura 2000) : La Leucorrhine à gros thorax Leucorrhinia pectoralis est en effet inscrite à l’annexe 2 de la Directive Habitats. Les moyens de sa conservation et de la restauration des milieux favorables sont actuellement appliqués dans le cadre des Mesures Aqua-Environnementales en cours.
Cf. § "Etang sale et biodiversité : Zoom sur la Leucorrhine à gros thorax"
La Forêt
Bien que souvent humide et toujours fraîche, la forêt dombiste n’est abordée ici que dans sa forme terrestre, la chênaie, stade ultime de l’évolution de la végétation sous nos climats [1]. Le taillis sous futaie domine.
Il s’agit d’une formation dominante à Chêne pédonculé Quercus pedunculata. Le Chêne rouvre Quercus sessiliflora est moins fréquent, alors qu’il domine en Bresse. Le sous-étage est classiquement occupé par le Bouleau qui confère par endroits à la région une ambiance septentrionale.
Les essences forestières ont du s’adapter à la rudesse des conditions pédologiques. L’argile et la silice confèrent au sol de Dombes son caractère hydromorphe, contradictoire : la 1ère séchant et se rétractant au point de devenir dure comme du « béton » en saison sèche, la 2nde s’imbibant et devenant imperméable en saison humide.
Sinon dans l’est et le nord du plateau, peu de grandes et surtout de vieilles futaies se révèlent propres à accueillir certains oiseaux cavicoles : Pic mar Dendrocopos medius, Gobe-mouches gris Muscicapa striata, ou Rouge-queue à front blanc Phoenicurus phoenicurus.
De ce fait, les peuplements ornithologiques forestiers manquent ici d’originalité en comparaison des régions voisines : Bresse, et surtout Bourgogne. On retrouve en tête de liste surtout les espèces standards de toutes nos forêts de plaine : Fauvette à tête noire Sylvia atricapilla, Pinson des arbres Fringilla coelebs, Pouillot véloce Phylloscopus collybita, Rouge-gorge Erithacus rubecula, Pic épeiche Dendrocopos major et Pigeon ramier Columba palumbus… Et en fin de liste, parmi les espèces les moins fréquentes, on citera quelque Pouillot siffleur Phylloscopus sibilatrix ou Gros-bec casse-noyaux Coccothraustes coccothraustes.
On surprendra, au détour d’une lisière, une Bondrée apivore Pernis apivorus, grattant le sol de ses pattes habiles, en quête d’un nid de guêpes ou d’abeilles. Au cœur d’une parcelle en régénération, qui jouxte la plaine, un couple de Busards Saint-Martin Circus cyaneus aura dissimulé son aire terrestre entre les ronces et les fougères, base de départ vers son territoire de chasse plus loin dans la grande plaine. Un Faucon hobereau Falco subbuteo s’élèvera, peut-être de la même coupe, et s’en ira chasser les libellules et les coléoptères, d’un vol nerveux, au-dessus de l’étang voisin.
Dans les années 1990, un nouvel arrivant a rapidement colonisé la forêt dombiste : le continental et imposant Pic noir Dryocopus martius.
C’est aussi au cœur de la chênaie au contact de l’étang que s’installent dans une relative discrétion vu leur nombre, leur taille…et le vacarme des jeunes quémandant leur nourriture, les colonies de hérons cendrés Ardea cinerea. Les peuplements les plus âgés leur procurent les assises les plus solides, les plus aptes à supporter leurs lourdes constructions de branchages.
- On qualifie ce stade d’évolution de formation « climacique » : ici, il s’agit de forêt caducifoliée, à Chêne pédonculé dominant. Ailleurs, ce pourrait être par exemple la garrigue (Méditerranée), la taïga et la toundra (régions arctiques et polaires), la forêt pluviale, ou le désert. [↩]
La Sparganiaie et autres associations végétales
La sparganiaie tire son nom du Rubanier dont le nom scientifique est Sparganium (sp).
Entre roselière et potamaie – le domaine du Potamot – une végétation lâche, basse, mais d’une grande richesse botanique se développe depuis les eaux les moins profondes de l’étang jusqu’à une cinquantaine de centimètres. Amphibie, semi-pérenne, essentiellement annuelle, elle contribue fortement aux changements saisonniers et interannuels de la physionomie des étangs.
On y trouve pèle-mêle plusieurs familles végétales dont deux Alismatacées, le Plantain d’eau Alisma plantago-aquatica et la Sagittaire à feuilles en flèche Sagittaria sagittifolia, les rubaniers rameux et simple, une Cypéracée, l’Héléocharis des marais.
Souvent après les assecs, l’étang se couvre dans sa totalité d’une ombellifère blanche, que le Dombiste nomme vulgairement « carotte » : il s’agit de l’Œnanthe aquatique Oenanthe aquatica, fort apprécié du Ragondin, et parfois d’une formation jaune : le Rorippe ou Cresson amphibie Rorippa amphibia.
La Brouille que broutaient les chevaux, ventre à l’eau, en une ambiance devenue moins que courante, est en fait deux Graminacées, la Glycérie flottante Glyceria fluitans et le Vulpin fauve Alopecurus aequalis, dont les longues feuilles linéaires qui s’étalent en cheveux à la surface de l’eau sont aussi parmi les premiers signes de la reprise végétative en avril.
Peu d’oiseaux y nichent, car cette végétation ne dispose pas d’assises suffisamment stables, comme les formations flottantes les plus denses (Nénuphar, Châtaigne d’eau), ou comme les hélophytes (roseaux et joncs). Les grèbes castagneux Tachybaptus ruficollis et huppé Podiceps cristatusy amarrent pourtant leurs nids, littéralement flottants et composés de végétaux arrachés, glanés alentour. Le nid de la Foulque macroule Fulica atra ne flotte pas, mais est également bâti dans cette végétation, amarré à quelque branchage ou haut-fond…
Cette formation, lorsqu’elle est abondante, est signe d’un grand dynamique trophique : ces herbiers génèrent d’importantes ressources alimentaires, notamment d’origine végétale, mais également en invertébrés, une des bases même de l’alimentation animale. Les poissons y fraient. Les oiseaux s’y nourrissent en se soustrayant à la convoitise des prédateurs.
C’est également le domaine de la Grenouille verte Rana esculenta, un autre complexe biologique...
Une chose en entraînant une autre, nul ne s’étonnera d’y rencontrer, l’un et l’autre figés et guettant un frémissement de l’onde, le longiligne Héron pourpré Ardea purpurea et le courtaud Crabier chevelu Ardeola ralloides, chacun exploitant une profondeur de la lame d’eau conformément à sa morphologie !
La roselière
La roselière constitue l’étape ultime de la colonisation des bordures de l’étang par la végétation non ligneuse. Les écologues nomment « hélophytes » les plantes qui composent ces formations.
On leur doit les aspects les plus sauvages des zones humides.
Les grands roseaux phragmites Phragmites australis - les "cannelles" - ou les massettes également appelés typhas Typha angustifolia & T. latifolia- aux inflorescences en forme de cigares brun vineux - peuvent recouvrir de larges et denses superficies. Scirpe lacustre Schoenoplectus lacustris et Grande glycérie Glyceria maxima forment également des roselières : le 1er semble résister difficilement à l’appétit du ragondin. La 2nde couvre rarement de grandes superficies du moins en Dombes.
Tous croissent depuis le domaine non inondé en permanence, jusqu’à des fonds immergés sous une soixantaine de centimètres d’eau.
Vieille, dense et sèche, la roselière perd de son attrait pour la faune. Jeune ou rafraîchie par des clairières et les chenaux qui multiplient ses lisières au contact de l’eau libre, elle s’enrichit. Elle accueille alors, dans son enchevêtrement rendu moins impénétrable, les hôtes les plus discrets de l’étang : Héron pourpré, Blongios nain, Busard des roseaux, tous trois de la Directive Oiseaux, Rousserolle turdoïde – une sorte de grive aquatique - entre autres.
Son emprise doit être régulièrement contrôlée. Le maintien des niveaux d’eau les plus élevés, mais aussi une sévère limitation volontaire, la contiendront en bordures étroites le long des berges de l’étang : cette étroitesse est peu favorable à la reproduction de l’avifaune et en la concentrant, favorisera la prédation. Durant les assecs, la répétition de labours profonds endommagera le système racinaire et affaiblira le dynamisme de la roselière, parfois au point de causer sa disparition. Dans chacun de ces cas de figure, le ragondin pourra avoir un impact décisif en faisant rapidement disparaitre une ceinture végétale extrêmement fragilisée. Et il est probable que la conjonction de ces facteurs soit à l’origine de la régression réelle et préoccupante de la roselière.
Les groupements à joncs Juncus sp et Baldingère Phalaris arundinacea, qu’en formations homogènes ou monospécifiques on nommera « jonchaie » et « phalaridaie », variantes basses de la roselière, sont également le siège d’une communauté animale particulière : les canards, comme le Fuligule milouin Aythya ferina, s’y reproduisent. Selon sa physionomie – hygromorphie, présence de ligneux, morcellement - elles accueillent des passereaux paludicoles tels que le Bruant des roseaux Emberiza schoeniclus, la Locustelle luscinioïde Locustella luscinioides, le Phragmite des joncs Acrocephalus Schoenobaenus, mais également des Rallidés : le commun Râle d’eau Rallus aquaticus , les occasionnelles Marouette ponctuée Porzana porzana et de Baillon Porzana pusilla, deux espèces de la Directive Oiseaux.
Le Héron pourpré Ardea purpurea
Le Héron pourpré est un visiteur d'été élégant et discret. Avril marque son arrivée et si l'on sait observer , on distinguera sa silhouette au travers du rideau de roseaux encore jaunes et secs : il déjà choisi le lieu où il nichera. C'est en effet un héron dit"paludicole". Contrairement au Héron cendré, le plus souvent arboricole, le "pourpré" est inféodé à la roselière. Celle-ci rétrecissant d'année en année, il serait justifié de considérer le Héron pourpré comme menacé.
Figé au-dessus d'un lit de Potamot noueux où il guette la Grenouille, veillant entre les feuilles de Sagittaire ou de Rubanier où glisse la tanche, toujours l'oiseau parfois frémissant évoque un long serpent dressé, rayé et raidi dans l'affût de la proie.
Plus tard, en juin et juillet, la roselière résonne de caquètements qu'il nous faut attribuer à la nichée de 3 à 4 jeunes affamés et impatients, que l'on doit imaginer dressés au nid, le bec ouvert, au moins autant pour réguler leur température que pour se signaler à l'attention d'un parent au retour de pêche.
En novembre, les pêches d'étangs. Le Héron pourpré échappe aux récriminations qui pointent d'autres espèces piscivores : quelque part, peut-être dans le delta du Sénégal, et plus loin encore, notre Héron pourpré hiverne, et nul bruit ne le touche plus.
Population actuelle :
Au milieu des années 1990, une recherche exhaustive des colonies dombistes par l'ONCFS révèle une population estimée entre 400 et 450 couples.
En 2004, un échantillonnage réalisé sur une quarantaine de sites sur 80 potentiellement favorables dénombre a minimum 320 couples. Toutefois la roselière ayant diminué de moitié entre 1997 et 2004 on peut logiquement s'attendre à ce que la population nicheuse de hérons pourprés ait également régressé.
Directive Oiseaux
Le Ragondin
Depuis quelques années, la roselière décroît sensiblement.
Rapidement incriminé, l’impact d’une espèce exogène, le Ragondin Myocastor coypus, est bien réel et totalement démontré. Ce monumental rongeur – le poids des mâles peut avoisiner une douzaine de kilos - est originaire d’Amérique du Sud. Introduit en France où il était élevé pour sa peau, il s’est finalement échappé des élevages à leur fermeture.
Il apparaît sur le plateau à la fin des années 80, alors qu’il est régulier depuis des années déjà sur la Saône, l’Ain et le Rhône, où il cohabite avec le Castor européen Castor fiber.
La population explose littéralement à partir de la seconde moitié des années 90 : il cause d’importants dégâts dans les chaussées et berges d’étangs. Principalement herbivore, son impact sur les roselières a été récemment démontré.
Sa capture exige une mobilisation importante de la part des piégeurs agréés, c’est à dire détenteurs d’une formation et d’autorisations légales. Cette lutte rappelle celle organisée dans les années 1960 contre le Rat musqué, un autre rongeur également originaire du Nouveau Monde et qui fut pratiquement éradiqué des étangs (en même temps d’ailleurs qu’un de ses prédateurs essentiels, le Putois Mustela putorius). Mais l’inertie qui a accompagné la dynamique démographique exponentielle du Ragondin ne peut que laisser dubitatif quant à l’éventualité d’une issue comparable à celle du rat musqué. Autant dire que l’on doit désormais s’attendre à considérer le Ragondin et son piégeage comme des composantes pérennes de la vie locale : leur impact respectif aura une incidence fondamentale sur le devenir de l’écosystème.
Les vasières
La pluie tarde à revenir. Le pêcheur espère les orages estivaux pour remettre l’étang à niveau. Le paysan craint que ceux-ci versent l’orge ou le foin. Les carpes, au bord de l’asphyxie, trouvent encore l’énergie nécessaire pour frayer, la nageoire dorsale dépassant largement hors de l’eau. L’évaporation rapide a découvert des plages que la végétation n’a pas encore pris le temps de coloniser.
Les canards y viennent muer de juin à août. Les limicoles en transit les arpentent, en quête d’invertébrés et de jeunes batraciens pour tout repas.
Un premier gazon fin du pionnier Scirpe « à tête d’épingle » Eleocharis acicularis recouvrira la vasière, suivi de l’originale Damasonie en étoile Damasonium alisma , d’un Carex de Bohème. Plus rarement s’y développeront quelques pieds de la rare Limoselle, des emblématiques Flûteau nageant Luronium natans et Marsilée à quatre feuilles Marsilea quadrifolia. La conservation et la restauration des habitats favorables à ces deux espèces végétales est prioritaire dans le cadre d’application de la Directive Habitat, repris par Natura 2000.
La vasière ne se distingue pas par une débauche de couleurs, comme les végétations de pleine eau, flottante et amphibie. Ses subtilités végétales sont autres. Elles s’affirment dans une gamme étendue d’adaptations et de formes. Elles interpellent un regard affûté.
Ces milieux, temporairement inondables, sont rares dans notre paysage européen fortement industrialisé et urbanisé.
La Dombes, grâce au profil si caractéristique de ses étangs, est dépositaire de peuplements végétaux parmi les plus sensibles de notre patrimoine naturel.
Sur d’autres étangs des vasières sont apparues dès la fin de l’hiver par manque d’eau à la suite de la dernière pêche. Ces vasières précoces favorisent l’émergence d’une communauté végétale des plus riches. A cet effet, dans les années 1990 des programmes environnementaux (« Action Communautaire pour la Nature » ou « LIFE ») ont permis de créer des vasières artificielles précoces dont les premiers bénéficiaires sont les sarcelles et les premiers limicoles de la migration remontante - bécassines, chevaliers – mais avant tout ceux d’entre eux qui se reproduisent ici.
Ces mesures trouvent actuellement un prolongement dans la mise en œuvre des Mesures Aqua-Environnementales.
Quelques plantes caractéristiques des vasières :
Etang « sale » et biodiversité
Un étang « sale » se dit d’un étang plus ou moins envahi par la végétation aquatique, jusqu’à être totalement colmaté. Il s’agit d’une notion toute relative : elle relève essentiellement de la culture locale qui entretient des rapports symbiotiques à la pisciculture. L’étang sale est souvent associé à une faible activité piscicole, voire à son abandon. Ce qui n’est évidemment pas systématique. L’étang sale n’existe ni pour le naturaliste, ni, en principe, pour le chasseur : mais tous se rejoignent sur l’utilité de l’entretien régulier de l’étang.
L’écosystème n’est complet que lorsque chaque ceinture végétale est représentée. A la jonchaie et à la roselière succèdent en théorie, depuis le bord jusqu’au centre de l’étang, une végétation annuelle amphibie, la « sparganiaie », puis des formations végétales immergées ou flottantes, comme la Châtaigne d’eau et la Villarsie faux-nénuphar.
En fait, chaque étang répond aux exigences d’une gestion différente de celles du voisin. Le profil de ses berges diffère. Il possède ses propres caractéristiques physiques et biochimiques, ses propres réserves botaniques, enfouies et dormantes, et qui attendent leur heure avant de germer, ou d’être colportées dans l’eau (ce phénomène de dispersion est nommé « hydrochorie ») via les biefs ou la faune (« zoochorie »).
C’est ainsi que l’on conçoit la Dombes : dans sa variété.
Les étangs sont complémentaires les uns des autres : traversant benoîtement une chaussée, la cane quitte celui sur lequel vient d’éclore sa nichée pour l’emmener se sustenter sur l’autre. Le Blongios navigue d’une haie de phragmite à l’autre, « enjambant » d’un coup d’ailes indifférent la digue ou le bitume qui les sépare.
L’étang nécessite un entretien régulier sous peine d’envahissement par la végétation qui l’entraîne rapidement vers son colmatage puis son assèchement. Bien avant ce stade, l’étang aura déjà perdu de son intérêt : il sera devenu impropre à la pisciculture, aura perdu l’essentiel de sa richesse biologique. La pratique de l’assec trouve en grande partie son origine dans cette obligation.
Il est tentant, pour l’exploitant piscicole de l’étang –bien moins pour le chasseur - de réduire à son minimum l’emprise de la végétation spontanée : d’une part, on réduit la contrainte liée aux travaux d’entretien; d’autre part, on augmente sensiblement le volume et la superficie en eau tout en limitant sa déperdition par évapotranspiration.
Une eau d’autant plus précieuse lorsque le bassin versant, la pluviométrie, voire les relations de voisinage, sur la question du partage de l’eau, font défaut.
Les étangs supportent (et surtout supportaient par le passé), sans que cela grève leur production, une proportion de l’emprise végétale correspondant à 10 ou 15 % de leur superficie totale. Cette proportion suffit, mais c’est un minimum, à leur conférer une réelle richesse biologique. Convenablement inondée, comportant ouvertures, « clairières » travées ou chenaux, la végétation aquatique protège efficacement le poisson comme l’oiseau de leurs prédateurs respectifs. Elle favorise le frai spontané du premier, la nidification du second, et, nous l’avons vu précédemment, limite les compétitions inter ou intraspécifiques.
Judicieusement implantée et contrôlée, elle limite par ailleurs les effets de l’érosion aquatique par le batillage.
Au milieu des années 1990 l’emprise de la roselière (au sens large) couvrait 10% de la superficie inondable de l’étang ; 15 ans plus tard son emprise ne dépasse pas 5%.
Entre deux, est passé le Ragondin, dont l'impact indéniable est renforcé d'une part et de façon globale par la fragilisation des végétaux, et d'autre part mais plus localement par une évolution des pratiques dans la gestion de cette même végétation.
Bruxelles et Natura 2000 ont déterminé ainsi les trois types d’habitats prioritaires pour la Dombes au titre de la Directive Habitats :
- Les eaux stagnantes, oligotrophes à mésotrophes avec végétation des Littorelletea uniflorae et/ou des Isoeto-nanojuncetea (Code Natura 2000 : 3130)
- Les eaux oligo-mésotrophes calcaires avec végétation benthique à Chara spp. (Code Natura 2000 3140).
- Les lacs eutrophes naturels avec végétation de type Magnopotamion ou Hydrocharition (Code Natura 2000 : 3150)
Plus simplement, la 1ère catégorie correspond aux vasières, zones largement découvertes en été, les deux autres à la végétation aquatique, essentiellement aux « hydrophytes », groupements végétaux immergés ou émergents : characées, potamots, nénuphars…
La roselière proprement dite (hélophytes) n’est pas considérée comme un milieu prioritaire par la Directive Habitats. Mais heureusement, beaucoup des espèces d’oiseaux qui lui sont inféodées le sont via la Directive Oiseaux.
Zoom sur :
La Leucorrhine à gros thorax (Leucorrhinia pectoralis)
Cette libellule élégante figure dans les annexes 2 et 4 de la Directive Habitats : l'espèce est menacée dans la plupart des pays d'Europe Occidentale, là où son habitat régresse. En Dombes elle peut pourtant être parfois abondante sur les étangs, plutôt forestiers et bénéficiant d'une large ceinture d'hélophytes. L'habitat type est constitué d'un gradient pratiquement complet de végétation depuis la plus haute lisière boisée de l'étang, à chênes ou aulne, à laquelle succèdent des bourrelets de saules, puis la jonchaie-phalaridaie, morcelée, inondée, ouvrant sur des groupements végétaux amphibie à Héléocharys des marais, Iris faux-acore, et Salicaire par exemple.
Après inventaire, et bien qu'elle soit considérée comme sensible à la prédation par les poissons, les étangs de Dombes s'affirment comme un des bastions de sa population nationale.
A elle seule cette libellule définit donc un habitat caractéristique pris en compte dans les politiques locales environnementales et notamment de la mise en œuvre du programme Natura 2000 : ainsi les étangs répondant à la description de ce milieu peuvent-ils bénéficier de mesures spécifiques en vue de sa conservation.