Dombes, d’hommes et d’oiseaux La passion de la Dombes

6nov/10Off

L’évolution des peuplements d’oiseaux

Le monde change, la Dombes avec

La fin de la seconde guerre mondiale a marqué, quel que soit le pays, perdant ou vainqueur, le début d’une ère nouvelle.

En France, trente glorieuses, sonnent l’avènement d’une agriculture puissamment réorganisée, novatrice. Simultanément, une industrie dynamisée d’après guerre, entraîne après elle des familles entières de paysans : d’un coté, le « secteur secondaire » recrute à tours de bras, le « secteur primaire » commence à se dépeupler, le tissu rural se fissure.

Rapidement, les paysages se mettent à évoluer au rythme des techniques nouvelles et des enjeux. Le décret  du 10 avril 1963 lance le grand chantier du remembrement qui eut le mérite d’occuper une bonne génération des administrations en charge du plan, de l’agriculture, et de l’équipement. Par la suite, la construction autoroutière accentuera encore son impact paysager. La Politique Agricole commune, la « PAC », toujours aussi actuelle, naît véritablement en 1962. D’un coté, l’agriculture de montagne décline, les collines s’enfrichent ; de l’autre, les grandes plaines s’uniformisent, les parcelles s’y agrandissent. La taille des exploitations s’accroît en même temps que se réduit leur nombre. Plus de 450 000 exploitations disparaissent entre 1970 et 1983 [1], soit environ un tiers d’entre elles. Les écotones, autrement dit les lignes de rupture de milieux si favorables à la faune [2], régressent.

L’attribution des quotas laitiers en 1984 sonne le glas de centaines de milliers d’hectares de prairies, à travers le pays, mais aussi dans le reste de l’Europe agricole.

L’ère céréalière

En Dombes, cela se traduit dès 1975, par la perte de quelque 10 000 hectares de prairies : terres fraîches, lourdes, et dures au travail, mais gras et bons herbages, où se régénère la vie sauvage. Les céréales à paille [3] les remplacent pour un temps, vite rattrapés par la culture du maïs.

L’introduction de cette céréale en Dombes n’est pas récente. A la fin du 19ème siècle, on en sème, accessoirement, que quelques pieds [4]. La Bresse le cultive plus assidûment. Elle en nourrit ses bêtes, ses poulets. Le Bressan le consomme en « gaudes » [5]. Jusque vers le début des années cinquante, on sème et récolte le maïs à la main….

Des progrès considérables dans le domaine phytosanitaire et celui de la mécanisation sont à l’origine de son spectaculaire essor.

Maïs sous plastique, Dombes, fin années 1990

Traitement d'une parcelle de colza, années 1990, Dombes.

Alors qu’on entrevoit déjà  les limites de la culture du maïs, la maîtrise du désherbage n’étant pas résolue, se produit la véritable révolution que fut l’arrivée de la « simazine » un désherbant total…. Les moissonneuses à 4 roues motrices, puis à chenilles, donnaient la certitude se pouvoir récolter même dans les étangs, … fut la dernière révolution. » Celles-ci engendrèrent l’amélioration de la vie des familles.((St. Thête, in « Mémoires du Pays de Dombes, 1999))

En 10 ans, entre les années 60 et 70, sa production décuple, et les surfaces qui lui sont consacrées triplent.

Dans le paysage, on perçoit déjà des changements au fur et à mesure de l’engouement suscité par cette culture.

Les « panouilles», terme local désignant les épis de maïs, autrefois tressées en gerbes, étaient mises à sécher sous l’auvent des granges. Elles conféraient leur caractère aux exploitations de Bresse et de Dombes. D’utilitaire, leur fonction est devenue, aujourd’hui, décorative.

Le témoignage d'une agriculture passée

Les « cribs », séchoirs ressemblant à des longues cages étroites les ont remplacées lorsque la production commença d’augmenter. A leur tour, ils ont disparu lorsqu’on a su récolter le maïs en grain. Les silos de séchage artificiel apparaissent.

A partir de la fin des années 1990, le maïs prend de plus en plus de place dans la culture de l’assec. Il reste parfois, non récolté, dans l’étang remis en eau. Cette pratique, à son apogée à la fin des années 1990, semble plus marginale désormais : on la justifiait par son rôle de protection des poissons contre les prédateurs,un rôle pourtant habituellement rempli par la végétation aquatique spontanée. Mais en contrepartie, il  est  peu probable que cette pratique puisse favoriser le frai naturel des poissons. Elle favoriserait également les tableaux de chasse en fournissant des gagnages aux canards : une chasse "cueillette"  peu responsable.  Aujourd'hui, la culture du maïs perdure, en bandes non récoltées plus souvent qu'en une culture unique et homogène. Le système est plus consensuel. Et induit un paradoxe : censé protéger les poissons, il offre le même abri aux chasseurs à l'heure de la passée. Toujours la même question : pourquoi, de toutes façons, et a fortiori si la nature de l'étang l'autorise, ne pas gérer au mieux la croissance spontanée de la roselière ?

Un étang a repris l'eau sur un assec où fut semé un maïs

Bien qu’à l’origine, l’Europe pose ses fondations sur la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), elle se bâtit rapidement, essentiellement, économiquement, autour de son réseau agricole.

Les moyens qu’elle consent à la culture céréalière lui insufflent  une impulsion supplémentaire. On ne peut, par cet exemple, que ressentir l’étroitesse de sa marge d’action environnementale malgré l’engagement de ses états membres de respecter les directives « oiseaux », « habitat », les programmes environnementaux qui en émanent, comme Natura 2000.

Par ailleurs, les contraintes de l’élevage rebutent les jeunes couples d’exploitants. Ils réalisent la mesure de l’investissement nécessaire alors que le reste de la société fonde ses nouvelles valeurs sur la réduction du temps de travail –les 35 heures ! La voie céréalière répond souvent bien mieux à leurs aspirations.

La demande croissant consécutivement à une diversification des débouchés et des utilisations, la culture du maïs devient l’option la plus intéressante [6] , dans une région autrefois connue pour ses pauvres rendements.

Pour finir, chaque crise ainsi celle dite « de la vache folle » dans les années 1980 et plus récemment, l’épisode de l’influenza aviaire en 2005 – la Dombes est particulièrement touchée - laisse de nouvelles cicatrices aussi bien dans le tissu social et psychologique rural que dans l’écosystème prairial, un des plus instamment menacés de nos régions industrialisées.

L’origine des grandes tendances démographiques au sein de la biodiversité

L'action de l'Homme sur son environnement, quelle qu'en soit la mesure, l'échelle,  se traduit par de nouveaux équilibres, ou déséquilibres selon les points de vue.

Elle est de fait, rarement totalement étrangère à la soudaine expansion ou au contraire à la régression d’une espèce.

L’évolution climatique d’une région transfigure progressivement son cortège d’espèces animales. Elle s’avère normale, fluctuante, elle est attendue sur des milliers d’années. Les changements dont nous sommes actuellement les témoins nous surprennent par leur ampleur et leur rapidité. Pourtant, n’avons-nous pas démontré notre part de responsabilité dans cet état de fait ?

Nous favorisons ou hâtons des processus, notamment d'évolution comportementale de la faune, qui prendraient autrement des milliers d’années : l’urbanisation a permis à des espèces montagnardes, rupestres, de s’adapter à la ville et à ses murailles de béton. Le Rouge-queue noir Phoenicurus ochruros est devenu un familier des anfractuosités murales. Le Martinet alpin Apus melba, l’Hirondelle des rochers et parfois le Faucon pèlerin s’installent au cœur des cités.

Le Martinet alpin descend parfois de ses falaises pour coloniser la ville

Le forestier Rouge-queue à front blanc niche dans les boîtes aux lettres, à l’instar des mésanges, bleue et charbonnière.

Chevêche d'Athéna

L’habitat fermier, de torchis et de bois, de poutres, de niches et de combles offre le gîte à l’a Chevêche et à l'Effraie, au Faucon crécerelle, à l’Hirondelle rustique (à la fouine, aux chauves-souris...)

Hirondelle rustique ("des cheminées")

Il compense peut-être l’absence d’une roche, d’une haie vive, d’un saule têtard, d’un vieux pommier.

La faculté spontanée d’adaptation d’une espèce aux modifications de son environnement, facilitée par ses faibles exigences écologiques, fera d’elle une espèce colonisatrice voire envahissante et non une espèce menacée. Qui a fait de l’Etourneau un conquérant, un des oiseaux les plus abondants de la planète ? Le milieu urbain semble convenir de plus en plus au Merle noir et au Pigeon ramier : sécurité relative – bien que Surmulot, Chat, Pie ou encore Épervier soient aussi des prédateurs commensaux de l’avancée urbaine - sources d’alimentation, sites de reproduction (parcs, jardins et lotissements).

La distribution des populations animales évolue constamment. Les invertébrés par exemple sont très réactifs aux modifications de leur environnement immédiat. Les oiseaux bien plus que la plupart de mammifères, capables d’effectuer rapidement de longs déplacements, ont une remarquable propension à modifier leur distribution géographique. La migration, le long de tracés immémoriaux, peut s’avérer un vecteur décisif dans les processus de colonisation. D’importantes modifications de leur habitat ((J. Broyer- 2006-Le milouin-éd. Belin-Eveil Nature)) ont poussé les continentaux Fuligules milouin et morillon à étendre leur aire de reproduction vers l’ouest.

Plus récemment, la Nette rousse, un autre Anatidé dont la distribution s’étend de l’Espagne à la Caspienne, a pris l’habitude de concentrer ses effectifs postnuptiaux et hivernaux dans le sud de l’Allemagne et sur les lacs alpins suisses : les conséquences climatiques, sècheresses et disponibilités alimentaires sont évoquées. La Dombes et la Camargue ont bénéficié de ce décentrement de cette population.

La plus spectaculaire avancée colonisatrice de la seconde moitié du 20ème siècle revient pourtant à une espèce sédentaire : la Tourterelle turque, qui, partie du bassin de la Mer Noire  a conquis l'Ouest de l'Europe, jusqu'à nicher en Islande !

Désormais un des oiseaux les plus communs -voire familiers - de nos villes et villages : la Tourterelle turque

Ce phénomène est moins fréquent chez les mammifères, moins « mobiles ». Il y est plus strictement une conséquence des introductions, volontaires ou non. Écologie et mode ont signé la fin des élevages, celle-ci favorisant échappées et lâchers clandestins, la fertilité de l’espèce faisant le reste. Citons les introductions en Europe du Castor canadien Castor canadensis, du Vison d'Amérique Mustela vison, mais aussi du Chien viverrin Nyctereutes procyonoides, du Raton laveur Procyon lotor et de l'Ecureuil gris Sciurus carolinensis. Le Ragondin Myocastor coypus n’a pas traversé seul l’espace qui nous sépare du continent sud-américain. Il est en grande partie responsable de la régression significative des ceintures de végétation aquatique de la roselière dombiste, divisée par deux entre 1997 et 2007. Les résultats des études menées par l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage sont indiscutables. Ce constat est malheureusement partagé par de nombreuses régions.

Les introductions sont loin de ne concerner que les mammifères. Elles sont considérées par les biologistes comme la première source d'appauvrissement de la biodiversité dans le monde, loin devant les impacts du réchauffement global. Rien qu’en Europe, on dénombre plus de 11000 organismes introduits depuis le 16ème siècle. Les oiseaux n’en représentent que 2%. Parmi les 193 espèces identifiées nombre peuvent se comporter à plus ou moins longue échéance selon un phénomène souvent qualifié d’invasif. Celui-ci se traduit par une croissance exponentielle de population après une période de relative dormance, à un seuil plancher d’effectifs souvent étendu dans le temps. Il est parfaitement identifié par les biologistes spécialistes de la dynamique des populations, les démographes. Il relève d’une pure et simple logique arithmétique, et pourtant nous semble inconnu. En fait nous avons depuis longtemps un tel impact sur les populations vivantes qui nous entourent que ces dernières fluctuent à un niveau très en-dessous du seuil de cette explosion démographique. Or, laissées à elles-mêmes dans un environnement favorable, toutes les espèces sont censées se comporter ainsi. Et c’est ce que font effectivement certaines espèces introduites. Au cours de leur expansion, elles entrent en compétition avec les espèces indigènes dans l’exploitation des ressources, la prédation, et les hybridations.

Nous connaissons bien ce dernier cas de figure en Europe, avec l’Erismature rousse Oxyura jamaicensis, un drôle de petit canard à bec bleu et à la queue dressée, désormais naturalisé en France [7] : originaire d’Amérique centrale introduite en Grande Bretagne, son dynamisme démographique menace très sérieusement les efforts de conservation et e restauration d’un de nos cnards européens les plus rares : l’Erismature à tête blanche Oxyura leucocephala.

L’Ibis sacré Threskiornis aethiopicus a été introduit dans le Morbihan (Branféré) dans les années 70, dans l’Aude (Sigean) au début des années 80. Partie de quelques dizaines d’oiseaux captifs, en 2003/2004 sa population atteint 3000 à 5000 individus dans l’ouest du pays.

Ces deux espèces peuvent être observées en Dombes qui échappe à la dynamique du second, redoutable concurrent et prédateur d’espèces autrement sensibles (les sternes et les guifettes par exemple), et pour lequel des plans d’éradication, âprement discutés, ont été finalement appliqués dans l’ouest et le sud du pays.

Erismature rousse/mâle

Ibis sacré/juvénile

La disparition d’un maillon essentiel de la chaîne alimentaire, comme par exemple d’un prédateur spécialisé, peut donner le départ d’une nouvelle dynamique démographique d’une population proie. A contrario, l’insertion d’un nouvel élément joue le même rôle. L’augmentation des ressources alimentaires, celles émanant notamment des productions agroalimentaires est le plus souvent cité. Elles ont déjà contribué à modifier les habitudes migratrices, voire la distribution géographique des espèces. Le stationnement durable des grues  cendrées Grus grus loin au nord de leur aire d’hivernage ibérique habituelle serait corrélé à l’avancée des cultures et l’uniformisation de nos plaines. Depuis plusieurs années, après une halte automnale champenoise sur le lac du Der-Chantecoq, dans la Marne, elles poursuivent leur route vers les Landes, s’y posent et…y hivernent par dizaines de milliers : elles délaissent de ce fait  leurs séculaires aires d’hivernage andalouses.

Les dépotoirs littoraux ont un temps favorisé l'expansion de plusieurs espèces de laridés (mouettes et goélands). En partie grâce à cette manne alimentaire, la Cigogne blanche Ciconia ciconia s'est partiellement sédentarisée. Son expansion "naturelle" en Dombes (dans l'Ain, plus globalement), bien que fixée par la présence d'oiseaux au Parc de Villars,les-Dombes,  et favorisée par des programmes environnementaux, n'aurait sans doute pas été aussi significative sans la présence d'un vaste dépotoir. En Dombes, le Milan noir Milvus migrans, qui détrône la Buse variable Buteo buteo en termes d'effectifs nicheurs, en attendant la fenaison puis la baisse estivale des niveaux d'eau dans les étangs, deux phénomènes pourvoyeurs de proies mortes, mammifères, oiseaux et poissons, trouve un appoint alimentaire conséquent sur ce même site.

Milan noir

Il arrive que les grues cendrées stationnent en Dombes : elle se nourrissent alors dans les laissées de céréales

On constate dans de nombreuses régions une augmentation des couples nicheurs de Pigeon ramier, alors que les passages aux cols pyrénéens se sont amenuisés. Localement, on relève les dégâts qu’il occasionne aux cultures dans des plaines qu’il survolait lors de sa migration.

Le Corbeau freux Corvus frugilegus suit une évolution comparable. Repu lors de ses haltes alimentaires dans nos étroubles [8], il s’est construit à leur proximité un nouveau confort estival. Ses colonies bruyantes ont peuplé les peupleraies plantées le long des plaines alluviales, se servant de celles-ci comme d’un fer de lance pour s’enfoncer ensuite à l’intérieur des terres.   Les mammifères, bien que sédentaires, ne sont pas en reste. Le sanglier Sus scrofa, et parfois le Blaireau Meles meles, ont bénéficié de ces mannes alimentaires. Le premier a fait preuve d’un dynamisme exceptionnel durant la période 1990/2003 [9] : Indicateur de ses populations, le tableau de chasse national révèle cette croissances : environ 40 000 sangliers prélevés en 1973, 100 000 en 1988, plus de 500 000 en 2007 ; dans l’Ain, on tuait environ 300 sangliers en 1978, et plus de 6000 en moyenne durant la période 1994/2005. Autre indicateur de cette croissance, le coût des dégâts causés par le seul sanglier assumé par les fédérations de chasseurs est annuellement de l’ordre de 20 millions d’Euros.

Le sanglier : envahissant ? nuisible ? Opportuniste.

La protection intégrale de certains oiseaux, en l’absence d’autre prédation que celle exercée par la chasse, peut se traduire par une augmentation significative de leurs effectifs. Cette dynamique est souvent simultanément renforcée par une mise à disposition de ressources alimentaires importantes. L’expansion continentale du Grand cormoran Phalacrocorax carbo sinensis se fait ressentir en France à la fin des années 1980. Une décennie plus tard, dans des proportions numériques moindres, elle est suivie par celle du Cygne tuberculé Cygnus olor: deux espèces qui ont peu de prédateurs, et qui bénéficient de ressources alimentaires régulières ou augmentées, grain pour le premier, poisson pour le second [10].

Les oiseaux piscivores, protégés, soumis ou non à l’action de prédateurs naturels, et dont le domaine de nidification ne subit pas de pression particulière, sont, en règle générale en expansion. C’est par exemple le cas du Grèbe huppé Podiceps cristatus et du Héron cendré Ardea cinerea.

Le Grèbe huppé, moins regardant que d'autres espèces quant à la nature de son site de nidification, bénéficie sans doute d'autant plus de la pisciculture que l'on optimise sa production (chargement piscicole en poissons de 1er âge) et selon certains spécialistes de l’introduction et de la parfaite acclimatation en Dombes (et en France) d’un poisson appartenant à la famille des Cyprinidés, le Faux gardon ou Pseudorasbora parva.

Grèbe huppé : un piscivore strict

Les effectifs hivernaux du Héron cendré augmentent progressivement en Dombes depuis 1990 alors que sa population nicheuse semble régulée par l’exploitation des boisements où les colonies sont installées.

Au contraire, les espèces piscivores paludicoles sont extrêmement sensibles à toute modification de leur biotope. Elles régressent. Citons le Butor étoilé Botaurus stellaris, le Héron pourpré Ardea purpurea et le Blongios nain Ixobrichus minutus qui désertent l’étang au même rythme que la roselière dans lesquelles ils se reproduisent. Il en est de même pour le Busard des roseaux Circus aeruginosus ,  prédateur efficace des rats musqués et autres jeunes ragondins,  mais également des nichées de grèbes, foulques, canards. En règle générale, les espèces régressent lorsqu’elles sont directement dépendantes de pratiques qui les privent des lieux et délais nécessaires pour boucler leur cycle de reproduction. La Bergeronnette printanière Motacilla flava, le Bruant proyer Miliaria calandra, le Tarier des prés  Saxicola rubetra , la Barge à queue noire  Limosa limosa [11] appartiennent à cette catégorie : espèces inféodées à la prairie de fauche, elle-même déclinante, le laps de temps entre deux récoltes du foin est devenu trop court pour qu’elles puissent couver et élever leur nichée.

D’autres, également sensibilisées par la perte des biotopes favorables à leur reproduction, peuvent voir leur situation aggravée par la pression de chasse, sans que celle-ci ait besoin d’être particulièrement excessive. C’est le cas du Vanneau huppé Vanellus vanellus, de la Perdrix grise Perdix perdix, de la Caille des blés Coturnix coturnix...

En Dombes, c’est aussi le cas des canards, néanmoins plus intensivement chassés. Ici, on attribuera à la complexe interaction de ces différents facteurs l’évolution des populations aviennes au cours des temps. Toutefois, il semble aujourd’hui acquis que les fortes modifications dans les orientations agricoles des trente dernières années, ont été le facteur déclenchant d’une série de phénomènes qui ont mené, de l’avis général, à un appauvrissement sensible de l’écosystème.

Les perspectives d’une expansion exponentielle de certaines espèces aussi bien animales que végétales sont nombreuses et préoccupantes. Citons les risques à venir que pourraient constituer un tel développement de l’Ecrevisse américaine Pacifastacus Lenusculus, et de celui latent en Dombes, d’une explosion de l’envahissante Jussie Ludwigia grandiflora et Ludwigia peploides dans les étangs, de la Renouée du Japon Fallopia japonica sur les cours d’eau…

La Dombes est toujours sous la menace d'une explosion de la jussie, un végétal envahissant, une plaie pour les étangs...

L’effondrement des populations de canards

Les canards ont longtemps représenté le moteur essentiel de l’activité cynégétique dombiste : c'était sans doute totalement vrai avant l'avènement du sanglier. Leur chasse ferait au moins jeu égal avec la pisciculture dans les revenus de l'étang, serait la constante  à chaque nouvelle création d'étang (en 2010 on crée encore plus d'étangs qu'il n'en disparait annuellement). De l'état de conservation des populations de canards dépend donc une partie de l’économie locale. En conséquence, des chercheurs et de nombreux autres observateurs suivent leur évolution, et celle de la biocénose –l’ensemble des communautés animales - en permanence. La comparaison des résultats de différentes études aide à mieux appréhender les mécanismes essentiellement impliqués dans ce que l’on s’accorde aujourd’hui à qualifier de grave dégradation de l’écosystème.

Une première perte écologique majeure touche le sud de la Dombes au cours des années 1960. Le Marais des Echets, où siégeait une faune particulière et complémentaire de celle des étangs, est asséché. Le « Marais » conserve, nostalgique, son appellation.

Dans la Dombes centrale, entre 1975 et 1980, les populations de canards dits « de surface », ou encore « barboteurs » comme le colvert, les sarcelles et le chipeau [12], s’effondrent.

Ces oiseaux ont pour habitude de nicher dans des milieux non forcément inondés. La majorité installe ses nids dans la périphérie herbagère des étangs.

Le Canard chipeau : une espèce inféodée aux étangs inscrits au coeur d'un agrosystème prairial

La cane y côtoie la faisane au nid, la hase allaitant, et les faons que la chevrette [13] y a dissimulés.

Lièvre d'Europe

Chevrette

Levraut

Après l’éclosion, les canetons sont au plus vite menés par la cane jusqu’au milieu aquatique salvateur, parfois, d’ailleurs, au prix d’un véritable parcours du combattant à travers une végétation dense, si l’on tient compte de la taille et du poids des canetons.

Le recul des surfaces de prairie prive donc ces canards, dans une première phase, de leurs sites de reproduction. Le rythme de récolte devenu plus rapide, l’apparition, puis la généralisation de la pratique de l’ensilage sur les surfaces restantes, seront les autres événements les plus lourds de conséquences sur la réussite des couvées.

Nicheur plus tardif, et plus strictement prairial que le colvert, le Canard chipeau ne se voit plus guère concéder d’alternative intéressante : lorsque la récolte ne le prive pas de couverts au moment de la ponte, en mai et juin, cane et nichée encourent de très sérieux risques de destruction lors de la fenaison.

Les sarcelles d’été et d’hiver, le Canard souchet, autrefois très présents ne réussissent plus que très accessoirement à sauver quelques nichées.

Le désormais exceptionnel spectacle d'une cane Sarcelle d'été et de sa nichée

En une réponse presque instantanée à l’évolution des milieux et à la diminution des anatidés de surface dans les tableaux, c’est au tour des fuligules, ou canards plongeurs, le milouin (ici, on l’appelle « rougeot ») et le morillon, de chuter.

Les fuligules, ici des milouins, réussissent de plus en plus difficilement leur reproduction

Dans un premier temps la pression de chasse fut plus directement incriminée, s’exerçant aux dépends d’une population aviaire déjà fortement éprouvée.

Les canards plongeurs n’eurent pas dans l’immédiat à souffrir de la privation de leurs sites de nidification, habituellement établis dans la végétation aquatique. Mais la régression des canards de surface eut pour effet de reporter sur eux la pression de chasse.

Depuis plus d’un quart de siècle, les populations de canards n’en finissent pas de fondre.

Modification des milieux, des méthodes culturales, qualité consécutive des eaux et du milieu aquatique, chasse, prédation en sont bien les causes essentielles, démontrées ou implicites, de par leur enchaînement. La qualité de l’eau fait toujours débat, aucune étude publiée n’ayant encore démontré une quelconque responsabilité des molécules issues des épandages phytosanitaires incriminés dans le recul des herbiers aquatiques, les baisses de production planctonique et la très aléatoire reproduction naturelle des poissons. Un raisonnement est pourtant évoqué et semblerait logique : une étude menée sur la Veyle, rivière qui draine un bon tiers des étangs de la Dombes, démontre l’existence de pics d’occurrence de molécules phytosanitaires, à la suite des semis de cultures printanières sur son bassin versant. Ces importantes occurrences sont de courte durée. Ces eaux, chargées de molécules plus ou moins dégradées rejoignent la Saône. Examinons ce qui se passerait en eaux stagnantes. Même contexte agricole en bordure des étangs. En été, ceux-ci constituent le seul exutoire des eaux de ruissellement direct et en l’absence de fossés de ceinture. L’eau y est précieusement stockée d’avril à novembre, et les seules pertes admises sont celles liées à l’évapotranspiration. De ce fait, un éventuel impact des traitements culturaux est très envisageable.

Une autre hypothèse se doit d'être examinée et concerne la fertilisation des étangs. Revenons vingt-cinq à cinquante ans en arrière : les pâtures entourent l'étang, où paissent les troupeaux. Lisiers et fumures, et sans doute une part des eaux usées de l'exploitation rejoignent l'étang en contrebas. L'étang est amendé, enrichi en permanence sans plus d'intervention. Cette forme d'agriculture n'est plus, le raccordement au tout-à-l'égout est la norme. Ce mode de fertilisation biologique a donc disparu ou peu 'en faut, et ne serait pas compensé aujourd'hui par les épandages d'engrais azoté dans les cultures...Mais il est bien difficile de recréer le passé pour en démontrer l'éventuel bienfait.

Dans d’autres régions d’étangs consacrés à la pisciculture, les populations d’anatidés se sont maintenues mieux ou plus longtemps. A nouveau il est probable que l’environnement terrestre de l’étang, très différent selon les régions (landes Brennouses et forêt solognote, prairies foréziennes) plus favorable aux oiseaux, ait fait la différence.

Pour la Brenne et le Forez, la densité de couvées, celles de colvert excepté, est supérieure à 6 pour dix hectares en 2001 ; en Dombes, à l’aube de 2010 elle est de l’ordre de 2 nichées pour 10 hectares d’eau toutes espèces confondues [14]. Une couvée de milouin sur trois parvient à y éclore … Pourtant les oiseaux sont au rendez-vous, une fois la migration terminée, les couples formés et cantonnés : l’effectif potentiellement nicheur semble stable dans cette 1ère décennie des années 2000. Mais cette stabilité, alors que la population locale n’est plus autosuffisante pour se maintenir, tend à prouver que de « source » la Dombes est devenue un « puits » qui recrute ses oiseaux adultes à l’extérieur…

Ainsi que nous l’avons vu précédemment, des mesures agro-environnementales proposent actuellement diverses formules devant favoriser un certain retour des prairies à proximité des étangs, en concordance avec la Directive Oiseaux : une expérience de ce type avait déjà été menée au milieu des années 1990, le programme s’appelait alors « Action Communautaire pour la Nature (ACNAT).

Concomitamment, la gestion même de l’étang proprement dit, d’assec ou d’évolage, revêt une importance prépondérante dans le devenir de l’écosystème : qualité de l’eau, charge piscicole, gestion des ceintures végétales aquatiques sont demeurées longtemps au centre des préoccupations des seuls chercheurs , et sont désormais partagées par la collectivité.

A propos de la chasse

Les dates d’ouverture de la chasse

Un certain nombre de régions, surtout littorales, et sensiblement moins productrices d’avifaune que des zones humides de l’intérieur du pays, revendiquent une chasse d’été.  En Dombes, la chasse est traditionnellement ouverte à partir du début de septembre en une relative adéquation à la chronologie de la reproduction des Anatidés [15]. La réglementation cynégétique nationale est soumise à la réglementation européenne : les arrêtés nationaux ou départementaux ont de ce fait été plusieurs fois désavoués par décision de justice bien qu’ils fussent généralement plus restrictifs que ce que l’Europe impose. Les avis restent partagés selon que l’on appartient à la communauté cynégétique, scientifique, associative.

En Dombes, depuis la fin août jusqu’aux premières gelées, les prélèvements des premières semaines de chasse reposent sur la population locale et sur l’arrivée de migrateurs précoces : sarcelles d’hiver et d’été, colverts… Les contingents migrants les plus importants sont en effet attendus à partir de la mi-novembre : les fuligules milouins et les morillons.

La conservation de populations viables localement d’Anatidés passe sans doute par un prélèvement responsable, mesuré, de la chasse.

L’élevage et le lâcher de canards

Afin de pallier à la diminution des tableaux de chasse, conséquence directe de la diminution du potentiel de production du terroir, mais que l’on ignore alors, on procède à des lâchers massifs de canards. Afin de maintenir les revenus substantiels issus de la chasse il semblait indispensable de conserver une population cynégétique par le biais de cet artifice en l’absence d’une efficace politique de limitation des prélèvements.

Un hectare d’étang se négocie sur la base de 60 000 Fr. au cours des années 1990 : 10 000 Euros actuellement et plus encore. L’hectare de terre agricole se vend trois fois moins cher.

Ainsi que le constatait le Père Etienne Goutagny, moine trappiste à l’abbaye du Plantay et grande figure locale

« la valeur de la terre n’était due que par le produit qui en était tiré » [16].

Végétal ou animal.

Le colvert est la seule espèce sauvage européenne dont l’élevage et le lâcher soient autorisés en France. Ces pratiques sont anciennes et la Dombes n’est pas précurseur en ce domaine. Faisans, perdrix et lièvres, entre autres espèces, ont souvent contribué, à régulariser les tableaux de chasse d’espèces soumises à des conditions de survie et de reproduction devenues difficiles et aléatoires. Par ailleurs, il est probable qu’en règle générale, la pratique des lâchers ralentit, faute de la juguler, l’hémorragie d’une population de chasseurs toujours aussi actuelle [17].

Les lâchers en général, lorsqu’ils n’ont pas été réalisés dans l’esprit d’un repeuplement, autrement dit, lorsqu’ils n’ont pas été suivis de mesures favorisant la survie d’une proportion raisonnable de reproducteurs potentiels, ont souvent eu un effet inverse de celui escompté. Il a été effectivement démontré que la pression de chasse s’accentue sur les espèces qu’ils sont censés soutenir.

On ne doit pas faire l’amalgame entre la pratique de l’élevage d’appelants, répandue dans de nombreuses régions de chasse au gibier d’eau à travers le pays, et les lâchers massifs dont une grande partie doit appuyer le tableau. Ces derniers, compensent en fait l’incapacité à produire de l’écosystème et l’offre cynégétique insuffisante de celui-ci. Ils peuvent également satisfaire des actionnaires, plus encore, des clients de chasse parmi les moins sensibilisés, ou des moins concernés, au fonctionnement des milieux naturels.

L’appelant, cantonné artificiellement sur l’étang, a pour rôle d’attirer et de fixer ses congénères sauvages.

Il est aisé de différencier les oiseaux issus de lâchers des canards sauvages. A la fin de l’été ils nagent en groupes compacts de plusieurs dizaines à plusieurs centaines d’individus ; alors que les familles sauvages ne comptent que 4 ou 5 jeunes en moyenne, femelle en tête, tous demeurant proximité immédiate du couvert végétal qui les protègera des prédateurs.

Il est difficile d’estimer l’importance de ces lâchers : elle pourrait être de l’ordre de 30 000 oiseaux au début des années 1990 [18].

Dès la fin de l’été, alors que la migration est à peine amorcée, plusieurs milliers de ces oiseaux rejoignent l’étang du parc des oiseaux, à Villars les Dombes, où ils partagent avec leurs congénères captifs une alimentation artificielle, à laquelle ils se sont facilement habitués.

Les paniers de ponte privilégient la reproduction du colvert, en l’absence d’une couverture végétale spontanée. Le chemin de la biodiversité est à l’inverse.

Paniers de ponte sur un étang reprenant l'eau sur une culture de maïs d'assec : une gestion à l'inverse des principes du maintien de la biodiversité

L’impact des prédateurs

Les comportements territoriaux, agressifs ou d’intimidation, sont monnaie courante : ils font partie du spectacle permanent de l’étang. Ils sont une lutte de tous les instants des espèces pour leur survie (« struggle for life »).

La Foulque est un oiseau particulièrement territorial, agressif envers canards, grèbes et même échasses.

Des canes accompagnées de leurs jeunes barrent l’accès vers des sources d’alimentation à d’autres nichées.

Une Aigrette garzette chasse avec fracas une concurrente qui a pris ses aises sur son périmètre de pêche.

Des canes milouins délimitent un périmètre dont elles interdisent la pénétration aux autres nichées

Compétition entre 2 Aigrettes garzettes pour un terrioire de pêche

Ces comportements régissent les relations au sein de la biocénose (la faune), ils conditionnent leur distribution au sein de l’écosystème.

Toutefois lorsque celui-ci est, comme c’est le cas en Dombes, dégradé, la compétition, inter ou intraspécifique s’exacerbe, d’autant plus que les ressources alimentaires ou les possibilités de nidification sont réduites : elle peut alors devenir un facteur important de l’appauvrissement de la biodiversité.

Mieux documenté mais également bien plus aisé à reconnaître, est l’impact des prédateurs sur la reproduction des oiseaux nichant au sol : en Dombes de telles études se sont intéressées à la reproduction des canards et du Vanneau huppé.

Au bas d’un bassin versant dont les capacités de production biologique sont devenues déficientes, l’étang semble demeurer le seul espace potentiellement accueillant.

La faune s’y concentre, qu’elle niche sur place ou non.

Même les jeunes vanneaux nés sur les terres voisines sont guidés dès l’éclosion par leurs parents vers les berges salvatrices dont l’offre alimentaire en invertébrés est bien supérieure à celle des cultures alentour.

Les prédateurs profitent de ces concentrations de proies potentielles sur un espace de plus en plus limité, une berge, une ceinture végétale, une vasière, oppressée entre l’eau et la culture voisine. Le plus efficient d’entre eux est sans nul doute la Corneille noire, une « peste » connue depuis des lustres, et dont il est bien malaisé de réduire l’impact.

Un couple de corneilles noires, hôte quasi-systématique des bords d'étangs, surveille les allées et venues des autres oiseaux vers leurs nids

Couple de vanneaux parant à l'agression dune Corneille noire

Cette nichée, peut-être, bien vulnérable...

Il est un autre prédateur de couvées dont l’impact est très systématiquement sous-estimé : le Rat surmulot. A son propos, l’agrainage destiné à favoriser le cantonnement d’oiseaux lâchés aura sans doute servi la multiplication de ce « rongeur ».

Une étude de l’ONCFS, réalisée à partir de nids factices, a démontré qu’à elles deux ces espèces étaient à l’origine de la disparition de 80% des nids de canards.

La multiplication des prédateurs trouve pour partie ses origines dans l’évolution de la société locale. La réduction de la taille de la propriété privée (partages et successions), les coûts et charges inhérents à son entretien, ont pratiquement causé la disparition d’une profession dont le rôle ne peut être sous-estimé : celle de garde-chasse privé, dont les activités permanentes de piégeage – parfois par trop « enthousiastes » étaient globalement positives.

Garde-chasse particulier

garde-chasse particulier : une profession sur le déclin, malgré une utilité reconnue

Il n’est pas impossible qu’une nouvelle formule de cette profession, avec des objectifs précis, peut-être même collectifs, puisse resurgir des dispositions environnementales collectives futures.

Celle-ci, mieux protégée par le milieu environnant, a sans doute de meilleures chances de survie.

En l’absence d’un couvert végétal cette cane colvert est le seul rempart entre sa nichée et les prédateurs.

  1. 1983 : 1 129 600 exploitations, en 1970, 458000 en moins, QUID 1987 []
  2. limites ou transitions entre milieux différents []
  3. Blé, orge, ... []
  4. Louis Lamarche : l’évolution céréalière en Dombes in « la Dombes, 1900-1975 » []
  5. Farine de maïs grillée, typiquement bressan []
  6. même montant de prime quelle que soit la céréale, prix de vente similaire, mais production supérieure en moyenne du blé sur le maïs de près de 30 q/ha ! []
  7. qui se comporte comme une espèce autochtone []
  8. Terme régional désignant les chaumes de céréales []
  9. Emmanuelle Pfaff et Christine Saint Andrieux : le développement du sanglier en France []
  10. À une période sensible et décisive de leur vie en hiver. []
  11. Gibier ailleurs, l’espèce n’est pas chassée dans l’Ain []
  12. Ou « barboteurs », comme le colvert et les sarcelles, par opposition aux canards « plongeurs » qui se nourrissent en profondeur. []
  13. La femelle du chevreuil, souvent improprement appelée « biche ». []
  14. Broyer, in Alauda LXX.-3.2002 : Résultats comparés de la reproduction des anatidés dans trois principales régions de nidification de France : la Dombes, la Brenne, le Forez. []
  15. Nom de la famille à laquelle appartiennent les canards, les oies, les cygnes… []
  16. « La vigne en Dombes », Père E. Goutagny, in « mémoires du Pays de Dombes, 1999. []
  17. Et dont on ne sait combien de temps elle résistera et paiera l’investissement que représente la pratique de la chasse, tout en maintenant des espaces de production de faune. []
  18. Jean-Yves Fournier, com. personnelle. []
24oct/10Off

Du rififi dans les saules : hérons et Spatule

Les bourrelets argentés des saules sont agités des allées et venues incessantes de petits hérons, blancs, ou gris. Le brouhaha qui émane des lieux évoque un jour de marché à Louhans, ou encore les trois Glorieuses – la célèbre fête régionale à la gloire du Poulet de Bresse.

Cela caquette, cela déblatère, cela croasse.

Plusieurs espèces de hérons, et récemment la Spatule blanche ont installé leur colonie en une tour de Babel où se côtoient petits et grands hérons gris et blancs.

Ailleurs ce sera sur un ilot, dans une aulnaie humide et reculée, dans un bois de chênes.

Culminant aux plus hautes branches de celui-ci, se trouvent essentiellement les lourdes structures de branchages qui caractérisent les colonies de Héron cendré Ardea cinerea. Mais sur l’étang ou au bois, minces plateformes et imposantes aires de branchage se touchent parfois et les crises de palier sont monnaie courante.

Depuis les bas branchages qui surplombent la surface de l’eau, un Bihoreau gris, pêcheur de la nuit, traque le fretin au travers de son propre reflet, comme monopolisé par une attention narcissique.

Le Héron cendré

Lorsque le grand Cormoran déferle sur la Dombes et le reste du pays en 1990, il remplace immédiatement le Héron cendré Ardea cinerea dans les préoccupations du monde piscicole qui le considérait jusque là comme son seul réel concurrent.

Depuis toujours le Héron cendré était le 1er et même le seul de son groupe spécifique à se regrouper sur les étangs dès que la vanne était ouverte.

Sa population s’accroit après sa protection en 1975.

Moins que la population nicheuse, ce sont les hérons qui trouvent les étangs sur le chemin de leur dispersion postnuptiale et automnale, dont une partie provient d’Europe centrale, qui commencent à inquiéter.

Le Héron cendre niche en colonies le plus classiquement en milieu forestier. Il niche moins souvent sur les étangs : les nids sont alors construits sur des amas de branchages provenant d’un retroussement d’étang, ou sur les saules d’un ilot, régulièrement en compagnie d’autres espèces de petits hérons.

Depuis vingt ans, bien que le nombre de ses colonies augmente progressivement, le nombre de couples nichant en Dombes est stable : l’effectif moyen des colonies diminue donc. L’exploitation des parcelles forestières où se reproduit l’essentiel des hérons est sans doute le principal facteur pondérateur de leurs effectifs. La délocalisation de couples après une exploitation partielle ou complète du site de nidification explique en grande partie l’augmentation du nombre des colonies.

Population actuelle :


L’effectif nicheur doit être considéré comme globalement stable à légèrement fluctuant depuis 1994. Les effectifs reproducteurs sont estimés à 1121 couples répartis en 20 colonies en 2010, après avoir atteint un maximum de 1186 couples en 8 colonies en 1996. Il n’a pas retrouvé les effectifs maximums enregistrés en 1996 sur un nombre de colonies inférieur de moitié (n=8), soit 1186 couples, effectif approché en 2002 avec 1173 couples.

A titre indicatif, la population française est estimée entre 28000 et 32000 couples en 2002.

La population automnale s’accroît de 5,9% par an sur la période 1991/2009.

Les "petits" hérons

La Dombes revêt un intérêt national pour ces espèces dont 3 sont concernées par la Directive Oiseaux : le Bihoreau gris, l’Aigrette garzette, le Crabier chevelu.

Le plus abondant de tous, le Héron garde-bœufs Bubulcus ibis n’est pas inscrit au titre de cette directive.

Héron gardeboeufs

Plus récemment les ont rejoints deux espèces perçues différemment par les dombistes : chronologiquement la Grande Aigrette et la Spatule blanche.

Populations actuelles :

Les quatre espèces de petits hérons totalisent 700 à 900 couples en 2008, environ 700 couples en 2009 répartis sur 9 colonies connues :

- Héron garde-bœufs : 335 couples minimum

Héron gardeboeufs

Héron gardeboeufs (bec jaune orangé) et Aigrette garzette (bec noir, pattes jaunes)

- Bihoreau gris : 239 couples minimum

Bihoreau gris/adulte

Bihoreau gris : un juvénile dont le plumage est peut-être à l'origine d'une confusion fréquente en fin d'été, avec le rare Butor étoilé ; localement le Bihoreau est souvent appelé "butor".

- Aigrette garzette : 105 couples minimum

Aigrette garzette : son plumage aura failli signer sa perte

- Crabier chevelu : deux à trois couples durant la majeure partie des années 90, 8 à 10 couples dans une colonie en 1999. L’effectif est fluctuant sans être jamais abondant. Plus d’une centaine d’adultes – méditerranéens ou locaux ? - ont pu être observés simultanément en juin et juillet (2006, CORA, ONCFS).

Ce Crabier vient de capturer un (autre) prédateur de têtards : une larve de Dytique.

Crabier chevelu

Crabier chevelu

La Grande Aigrette

Celle qui faillit disparaître pour que les belles du début du siècle puissent arborer ses magnifiques plumes scapulaires sur de larges et ombreux couvre-chefs prend depuis une décennie une revanche qui serait éclatante si son expansion, de type invasif ou peu s’en faut si l’on en juge par l’accroissement des effectifs automnaux n’ajoutait pas au ressentiment ambiant envers les oiseaux piscivores.

...Une augmentation de la population hivernale qui ne laisse pas d'inquiéter les exploitants d'étangs

La Grande Aigrette Egretta alba hiverne régulièrement en France depuis la fin des années 70, mais il a fallu attendre le milieu des années 90 pour que sa nidification soit confirmée presque simultanément sur le Lac de Grand-Lieu et en Camargue puis en Dombes.

Dans chacun de ces sites, l’effectif est, à la fin des années 90, compris entre 1 et 3 couples.

La Grande Aigrette est rarement citée en Dombes avant 1990. A l’automne 1997, 170 grandes aigrettes étaient dénombrées sur un seul dortoir et fin 1999 le même dortoir dépassait 300 oiseaux. Un groupe de 326 individus était observé sur un étang en vidange début décembre de la même année.

Suspectée dès 1995, la première reproduction de l’espèce n’est confirmée qu’au printemps 98 lorsqu’un nid est trouvé dans une grande roselière à phragmites de la Dombes devenue chronologiquement le troisième site de nidification en France.

Un adulte nourrit un jeune au nid

L’origine de sa récente colonisation vers l’ouest de l’Europe et notre pays est mal définie elle peut être rapprochée d’une bonne productivité des populations les plus occidentales, ou encore du report d’oiseaux dont les sites de nidification auraient défavorablement évolué, comme par exemple dans le delta du Danube.

Les grandes populations dont sont originaires les oiseaux qui fréquentent la Dombes se distribuent selon toute vraisemblance depuis l’Autriche et la Hongrie jusqu’en Russie et en Azerbaïdjan.

Population actuelle :

La population estivale stagne à un niveau d’effectifs modestement compris entre 1 et 3 couples annuellement (1 en 2010).

Il n’en est pas de même pour la population hivernante qui culmine courant novembre avec un flux de migrateurs compris entre 1000 et plus de 2000 individus : leur taux d’accroissement annuel est de 44% sur la période 1991/2009. L’effectif indiciaire simultané de novembre 2009 recueilli sur un échantillon de 105 étangs situés en Dombes centrale totalise 833 individus (1000 ind. en 2008).

Directive Oiseaux


La Spatule blanche

Dernière venue des grands échassiers en Dombes la Spatule blanche Platalea leucorodia s’invite dans un contexte écologique qui bien que reconnu défavorable pour la biodiversité dans son ensemble, semble se trouver sur la voie d’une expansion inespérée…Inespérée pour une espèce longtemps en danger – pour laquelle d’ailleurs un plan International de Conservation est actuellement en cours de lancement - et dont la population d’Europe Occidentale, s’accroit depuis une quinzaine d’années.

Première rencontre

Échassier mais non héron. Quoique proche de ces derniers, elle l’est plus encore des ibis avec lesquels elle partage une famille systématique imprononçable et proprement incompatible avec son élégance...mais non avec son originalité : les « Threskiornithidés »

Jusque là visiteuse occasionnelle, après une 1ère tentative de nidification en 1998 qui semble ne pas vouloir se concrétiser au cours des années suivantes, elle apparaît en 2005 au sein d’une colonie de petits hérons.

2005 : une première tentative...

En 2006, 5 à 6 couples se reproduisent pour la 1ère fois avec succès sur les saules qui bordent un petit étang. Il s’agit d’un domaine privé comme toujours ou presque en Dombes. Trois vidanges et pêches estivales consécutives, contrairement à la pratique générale locale, ne semblent pas perturber la reproduction de cette espèce, contrairement d’ailleurs à d’autres strictement paludicoles présentes sur le site : les roselières exondées sont plusieurs fois abandonnées par hérons pourprés et blongios.

En 2006 naissaient pour la première fois des spatules en Dombes

L’origine des spatules nichant en Dombes n’est pas clairement définie, mais les données de bagues observées sur des oiseaux qui y stationnent démontrent le véritable carrefour des populations que constitue cette région : Pays-Bas (1988, 1996, & 2009 CORA), Camargue en 2008, Loire Atlantique en 2004 (CORA, ONCFS) !

Population actuelle :

6 ou 7 couples se reproduisent en 2010 (contre 9 ou 10 couples en 2009).  Les effectifs psts-nuptiaux atteignent 44 oiseaux, adultes et juvéniles, migrateurs compris fin août début septembre 2010.

Directive Oiseaux

Nostalgie : l’Ibis falcinelle…

A l’écart des étangs, il faut se forcer à imaginer les canaux du Marais des Echets, à moins d’un demi-siècle de nous, véhiculant mollement ses eaux dans un dédale de roseaux. Un temps révolu où le Courlis cendré Numenius arquata côtoyait le Râle des genêts Crex crex, et le Fuligule Nyroca l’Ibis Falcinelle Plegadis falcinellus et le Butor étoilé : la faune du marais était tout aussi originale que celle du centre Dombes qu’elle complétait magnifiquement.

...Parmi les mouettes

La Dombes est un des rares sites français où l’Ibis falcinelle a consenti à se reproduire. Cela remonte au tout début des années soixante. On détecte sa présence au marais des Echets, au sud du plateau, une large cuvette non connectée aux étangs. L’endroit donnait alors le change au point d’évoquer – du point de vue de l’oiseau - les vastes marécages du delta du Danube où le falcinelle se complaît encore !

Au tournant des années 90 et 2000, le rythme des visites de l’Ibis falcinelle s’est accentué. Partout en France. Isolé ou par petits groupes, ce qui pouvait suggérer une reproduction locale, mais plus probablement encore des retours des quartiers d’hivernage d’Afrique Occidentale, (mars/avril), un erratisme postnuptial des ibis caucasiens ? L’expansion récente de la Grande Aigrette à partir du même berceau centre-européen pouvait constituer le signe avant-coureur de la recolonisation de notre région.

Ce ne fut pas l’Ibis falcinelle : la Spatule blanche, soudain, était là. Mais les récentes évolutions de l'Ibis falcinelle en Camargue  (plus de 400 couples en 2010 !) pourraient bien  se poursuivre par une prochaine réinstallation en Dombes...

La rencontre avec cet oiseau sombre et satiné, à la silhouette déroutante, subjugue et transporte immédiatement vers d’autres horizons, lointains, chargés d’exotisme : le falcinelle est peut-être en route vers le sud du Sahara… Là, il hivernera, rejoint par des centaines d’autres, sur quelque mare résignée à ne pas résister au soleil plus de quelques semaines.

Son sosie américain s’est parfois échappé du parc des oiseaux de Villars les Dombes voisin: l’Ibis de Ridgway. Identification réservée aux spécialistes !

Directive Oiseaux

24oct/10Off

Le petit peuple de l’herbe

Tout un cortège d’espèces est en passe de disparaître d’une région à laquelle on attribua longtemps une spécificité herbagère et parfois bocagère.

La Bergeronnette printanière

Il faut une oreille exercée, pour percevoir l’appel, bref, bi-syllabique, provenant d’un ondoiement d’orge ou de blé en herbe. On ne saurait imaginer qu’un tel son suffise à délimiter le territoire d’un de nos plus attachants passereaux : la Bergeronnette printanière Motacilla flava.

Bergeronnette printanière/mâle

Bergeronnette printanière/femelle

Le son, et l’oiseau, sont comme happés par la verdure frissonnante, soumise aux indécisions éoliennes, et tiraillée entre le vert tendre et le bleu turquoise. C’est seulement à la fin d’une quête opiniâtre que l’œil accède à ce qui devient progressivement une évidence. Le soleil renvoie un éclat d’or de l’insignifiante dimension d’un écu. Après que vous vous êtes donné une vraie peine pour la dénicher, comme à plaisir, la « tache » se matérialise. L’élan d’une brise la dépose sur le câble téléphonique ou électrique à l’aplomb de la route. De là, son chant, n’en devient pas pour autant beaucoup plus audible.

La Bergeronnette printanière porte sur son dos les couleurs de son nom.

Elle devait vous tourner le dos pour que vous ne l’eussiez point remarqué immédiatement.

En principe, comme tous les passereaux de la prairie - son fief originel - elle se poste sur une plante haute d’où elle surplombe l’océan d’herbe. De là elle communique, à l’instar d’un sémaphore, poitrail jaune au vent qui porte l’appel ténu. La prairie présente encore parfois cette variété végétale, où un rumex, un chardon, une euphorbe, parmi d’autres, feront office d’observatoire. Par définition, uniformes dans leur monospécificité, le blé ou l’orge, dans toute leur rafraîchissante jeunesse herbacée, ne supportent pas qu’on les dépasse de la tête. N’y trouvant plus son compte d’herbes variées, la Bergeronnette printanière s’est adaptée un temps à la nouvelle Dombes. Une jachère ? Elle s’en satisfaisait. Mais, en son subtil habit qui lui confère selon son humeur, une distinction discrète ou un éclatant appel vers le soleil et la vie, elle est bien en train de nous abandonner.

Les longues prairies qui bordent la Saône constituent un des réservoirs de l’espèce. Mais sa situation, ainsi que celle du cortège auquel elle appartient n’y est pas stabilisée.

Population : à la limite de l’extinction en Dombes : quelques couples à quelques dizaines de couples. Le déclin se précise à la fin des années 1990. Une belle population se maintient dans les prairies du Val de Saône

Le Bruant proyer : disparu

Le Bruant proyer Miliaria calandra est totalement inféodé à la prairie, sèche ou modérément humide. Il subsiste là où la grande plaine céréalière a l’heur de lui laisser quelques haies rabougries, ou lorsque encore, câbles électriques et grillages des bords d’autoroutes, perchoirs étirés à l’infini, il peut la dominer du corps et de la voix. Son chant fait frissonner l’ornithologue et le mélomane : le premier est sous le charme des ambiances et des vastes horizons qu’il évoque, le second perçoit un son à des années lumières des vocalises d’un rossignol : grinçant, comme l’évocation d’une mécanique grippée. Un ramage qui en tout point se rapporte à son plumage. Et pourtant, pour le Naturaliste encore, quelle sensation lorsque ce gros moineau, vaguement alouette, s’élance en un vol nuptial approximatif, balourd et rigide, les ailes vibrant au tempo de ses grincements vocaux, les pattes, presque trop fines, pendant jusqu’à le rattraper de justesse sur un rumex ou un chardon.

Population actuelle : les dernières citations régulières du Bruant proyer en tant que nicheur en Dombes datent du milieu des années 1990 ; quelques chants annuels, aucune preuve de reproduction récente. Ses effectifs régressent sérieusement dans la Plaine de l’Ain. Une belle population en Val de Saône.

L’Alouette des champs

Alouette des champs

Alouette des champs

Par excellence l’Alouette des champs Alauda arvensis est l’hôte de l’espace. Elle qui ne se perche que rarement a besoin de s’élever plus haut que tout autre pour lancer son chant soutenu à la limite de la perte de son souffle. A l’instar des de la Bergeronnette printanière et du Bruant proyer, elle se satisferait d’un blé en herbe, dans les rangs duquel dissimuler son nid. Les prés sont trop densément pâturés et le piétinement des bêtes ne laissera pas de répit au couple. Son chant s’éteint, discrètement porté par la brise.

Population : en net recul au cours des années 1995/2010. Au plus quelques couples en Dombes centrale.

La Pie-grièche écorcheur

Rapace parmi les passereaux, terreur des mille et une pattes, depuis l’araignée Thomise, caméléon à l’affut de l’abeille qui viendra butiner l’églantine, jusqu’au minuscule Rat des moissons dont l’œil s’allume à l’entrée de son nid d’herbe perché.

Pie-grièche écorcheur/mâle

Mi-faucon guettant sa proie depuis une clôture, le sommet d’une haie, ou un câble électrique qui longe la route secondaire, mi-gros moineau auquel elle emprunte parfois la voix, elle qui, en vraie Diane préfère le silence.

Pie-grièche écorcheur/femelle

Elégante et sereine, telle est ce petit seigneur dont le fief estival est européen, qui associe indéfectiblement la haie épineuse et les prés. La prairie est son terrain de chasse, la haie, l’endroit, où elle installe son nid.

Un Campagnol a fait les frais de la chasse de ce mâle Pie-grièche

Ponctuant son territoire, sa signature annonce son régime alimentaire et règne par la peur sur ses sujets : un garde-manger aux allures de gibet. L’Epine noire et l’Aubépine, à moins que ce ne soit le croc d’un fil barbelé, se font planche à larder, exposant brochettes de Cétoine, de Sauterelle verte, ou encore bras de Campagnol agreste.

En Dombes, la Pie-grièche écorcheur Lanius collurio est la plus régulière, sans être abondante, de sa famille.

On y croise bien occasionnellement quelque Pie-grièche à tête rousse Lanius senator, migratrice en escale, mais cela est bien rare.

La Pie-grièche grise Lanius excubitor aussi tente parfois de nicher, mais c’est en hiver qu’on croise le plus souvent son chemin : postée sur un câble téléphonique ou électrique, auquel elle est fidèle au mètre près d’une année à l’autre, sa silhouette remplace celle de la Pie-grièche écorcheur.

Pie-grièche à tête rousse

Proche de l’extinction dans notre pays, la chance d’observer la quasi-mythique Pie-grièche à poitrine rose Lanius minor s’amenuise d’année en année.

La Pie-grièche écorcheur est, des oiseaux prairiaux, celui qui devrait s’en sortir le mieux : au moins son nid ne disparaît pas sous la barre de coupe.

Las, la haie n’a pas encore la totale faveur d’un monde agricole, en mutation certes, mais où, perdurent –nécessité ou besoin – des pratiques sans doute désormais révolues. La haie – doit on encore parler de bocage – recule encore, pressée par une optimisation des temps et coûts de production, héritages du Grand Remembrement des années soixante, confrontée à une mécanique puissante vouée à de vastes parcellaires uniformisées.

Populations :

Pie-grièche écorcheur : jusqu’à une centaine de couples sur la soixantaine de communes de la Dombes centrale. De presque commune dans les années soixante et soixante-dix, elle n’est devenue que régulière, ou localisée, absente de communes dépourvues bocage et de surface en herbe. Néanmoins une population sans doute sous-estimée du fait de la discrétion de l’espèce. Très forte population en Val de Saône, certaines communes comptant plus de 100 couples.

directive oiseaux

Pie-grièche à tête rousse :

essentiellement migratrice. Pas de nidification récente

Pie-grièche grise :

Quelques hivernants annuellement.

24oct/10Off

Des traces sur la vasière

Le Vanneau huppé : l’oiseau du compromis

Retrouvez dans la page bonus les mécanismes ayant présidé à la régression de sa population

L’air écrasé sous chacun des battements de ses ailes évoque l’antique souffle du van et confère son nom à l’oiseau.

Ainsi le moissonneur poursuivait son œuvre à renfort de gestes amples et puissants, ainsi l’oiseau rame dans le ciel, décomposant chaque phase de son vol. Il se joue de la gravité – ce n’est ni plus ni moins qu’un oiseau, remarquez– piquant sur la corneille ou le busard, pourchassant un mâle concurrent.

Virtuosité rime avec témérité, lorsqu’il charge l’outrecuidant visiteur, trop proche à son goût de sa progéniture. L’air déplacé semble animer cheveux ou poils, selon que l’on est humain ou renard. L’instant suivant, oublieux du risque écarté, fort de sa légitimité territoriale, il cherche encore à éblouir une femelle faussement désabusée.

Le vanneau huppé Vanellus vanellus est l’oiseau du printemps autant que celui de l’automne. Il crie la vie aux premiers soleils qui transpercent les derniers brouillards hivernaux. Il annonce la récolte du poisson, lorsqu’en novembre, ses voliers papillonnants de migrateurs s’abattent sur les vidanges.

Au printemps, il devient l’oiseau des transitions et du compromis. Au plus sec, il fricote avec la – dernière – Caille des blés Coturnix coturnix il a connu la Perdrix grise Perdix perdix. Au contact de l’onde, il côtoie l’Echasse blanche en été et la Bécassine des marais en migration. De son point de vue, le territoire de la colonie s’étend depuis le sommet de la parcelle qui verse vers l’étang, jusqu’aux vasières encore recouvertes d’une mince lame d’eau : il se joue du cadastre.

Son nid est pourtant bien plus en sécurité au plus près de l’eau, l’espèce payant régulièrement un lourd tribut aux labours de mai.

Après une ou deux tentatives de nidification sur la bordure de l’étang, ou dans une jachère, un couple arrive à élever en moyenne un seul jeune.

Mais il faut au moins deux couples de ceux qui ont niché plus haut et plus loin de l’étang, sur les cultures, pour arriver au même et maigre résultat ! Selon un autre mode de calcul qui tient compte des remplacements de pontes par chaque femelle à la suite de disparitions successives – labours, hersages, semis, et prédation - un jeune volera pour 24 à près de 50 œufs pondus… Entre le milieu des années 70 et le début des années 90, le nombre des vanneaux nicheurs chute de 2000 à moins de 250 couples.

Cette situation est d’ailleurs généralisée dans presque toute l’Europe, où leurs effectifs régressent : les passages de novembre sur les vasières ne sont plus comparables à ceux d’autrefois, et, au printemps, les colonies ne comptent plus que trois à quatre couples, contre une dizaine, quinze ans plus tôt.

Oiseau gibier dont la population reproductrice est désormais menacée et instable, et ne traînant d’autre casserole autre que celle qui crie au « bon morceau », à l’heure des choix environnementaux, il s’inscrit définitivement comme l’oiseau du compromis.

LIEN VERS .PDF

Population actuelle : environ 200 couples.

L’Echasse blanche : l’oiseau du consensus

Niche-t-elle sur votre étang ?

Vous ne tarderez pas à en être convaincus, le jour où tous les membres de la colonie se précipiteront à votre rencontre, ponctuant leur vol d’un caquetage inquiet et persistant. Cette attitude est destinée à vous éloigner de leurs jeunes. Elle prévient ces derniers de votre présence, les renseigne sur votre statut de prédateur potentiel.

L’Echasse blanche Himantopus himantopus appartient à cette catégorie d’espèces, gracieuse, non chassable, non piscivore ou non prédatrice de quoi que ce soit d’économiquement exploitable, que l’on est heureux et le plus souvent fier d’accueillir sur son étang.

Elle est devenue un enjeu patrimonial. Le Centre ornithologique Rhône-Alpes (CORA) en a fait judicieusement son emblème. Pourtant il ne semble pas qu’elle ait trop à se plaindre du contexte écologique actuel : les déficits en eau –d’origine climatique, consécutifs à des erreurs de gestion, aux fuites causées par le Ragondin – ainsi que la gestion drastique de la ceinture végétale lors des assecs, autrement défavorable aux oiseaux de la roselière, jouent en sa faveur.

Elle est totalement inféodée aux vasières et aux étangs les plus plats. Ces mêmes étangs, rares en d’autres régions, définissent le mieux la diversité des milieux présents en Dombes.

L’Echasse ne s’y est pas trompée bien qu’à chaque instant son nid, au départ simple dépression à peine matérialisée sur un haut fond, risque l’inondation. Elle le surélèvera, en tourelle, le plus qu’il lui sera possible, s’accordant une montée de l’eau à mi-tarse. Mais si le rythme d’élévation est par trop rapide, alors…

Bon an, mal an, mais c’est le quotidien de l’espèce où qu’elle se reproduise : une partie des nids est noyée.

L’Echasse blanche est avant tout un oiseau du littoral. La Dombes est la seule zone humide de l’intérieur du pays à s’être dotée d’une durable et significative implantation de l’espèce.

On connaissait une dizaine de couples nicheurs au début des années 1990. Au cours de la 1ère décennie du nouveau millénaire, ils sont une soixantaine au moins, pour un effectif adulte régulièrement estimé aux environs de 200 oiseaux.

Échasse blanche : juvénile

Un recrutement auprès des populations méditerranéennes est probable.

Malgré cela, ne boudons pas le plaisir de voir une espèce relativement moins affectée par les évolutions récentes du milieu que le reste de la biocénose.

Population actuelle :

La plus importante pour une zone humide continentale. Une nette tendance à l’accroissement de la population depuis le début des années 1990, et surtout depuis 2000. Moyennes sur la période 2001/2010 : 58 couples ; effectif estival : 180 individus. Maxi 288 en 2006.

Directive Oiseaux

Un colonisateur : le Petit gravelot

Sitôt qu’une vasière se découvre, ou lorsque le traumatique bulldozer retravaille les contours de l’étang, et que celui-ci, recreusé, reprofilé, l’argile repassé sur les limons reporte la colonisation végétale, se pose, en discret pionnier, le Petit Gravelot Charadrius dubius.

Encore sur un trajet dont on ne sait où il s'arrêtera, en compagnie d'un Bécasseau minute

Sur l’argile nue, récemment travaillée et qui deviendra bientôt « béton », une coquille d’Anodonte (un gros coquillage bivalve), une touffe de la rare Limoselle lui serviront de repères pour localiser son nid.

La teinte des parties supérieures de son corps tient du sable et de la vase. Elle le fond littéralement dans son environnement. Au contraire, la livrée bigarrée de sa tête rappelle qu’ici, il est un étranger. Ce n’est pas tout : ses œufs sont aussi repérables que des galets blancs sur le limon. L’argile est bien loin d’évoquer les plages graveleuses de l’Ain et du Rhône.

Un nicheur plus habituel des berges de galets du Rhône et de l'Ain

Mais, las, étangs comme rivières, toujours dans leurs flots montants entraînent sa ponte, roulant ses œufs comme pierres.

Population actuelle : sans doute moins de 10 couples ; stable.

Une perte pour l’écosystème dombiste : la Barge à queue noire

Sans conteste, le statut en Dombes de la Barge à queue noire Limosa limosa était plus prospère du temps où la prairie dominait le pourtour de l’étang. Que l’étang débordait généreusement sur la prairie. Ambassadrice des légions de petits échassiers, « limicoles » seulement de passage sur le long trajet de leurs migrations, elle a été longtemps la seule à rester nicher. Depuis l’après-guerre (la seconde) jusqu’aux premières années de la décennie 90, on recensait bon an mal an, cinq à dix couples. Cela fut peut-être plus encore à une époque où la pression d’observation des ornithologues n’était pas celle que l’on connaît de nos jours.

Aux derniers temps de sa présence, vers la fin des années 90, on la trouvait encore, intégrée aux colonies de vanneaux, dans des jachères annuelles, dans quelque chaume de blé encore passablement humide.

Aujourd’hui, elle dédaigne la Dombes, au profit des prairies humides du Val de Saône, plus récemment colonisées.

Imprévisible, la barge fond sur quiconque fait seulement mine de pénétrer sur son domaine. Son vol piqué s’accompagne d’une émission de miaulements stridents, façon sirène paralysante… Une autre fois, répugnant à quitter son nid terrestre, elle se laissera approcher à quelques pas seulement. Le manteau d’invisibilité que lui confère son plumage, parmi les aspérités et les débris végétaux, est censé la soustraire à la chasse des prédateurs. L’accélération de son rythme cardiaque démontrerait sans aucun doute les limites de sa confiance en cette supposée protection…

Population actuelle :

Migratrice. Population nicheuse considérée éteinte en Dombes : annuellement 5 à 10 couples connus entre 1990 et 1998. Tentatives actuelles de nidification irrégulières.

3 à 6 couples se reproduisent dans le Val de Saône. Espèce protégée dans le département de l'Ain.


A petits pas : bergeronnettes et pipits

D’allure distinguée, classique dans une livrée tranchée, du blanc le plus pur au noir le plus satiné, la Bergeronnette grise Motacilla alba arpente, à son habitude, la vasière d’un étang. Son interminable queue amidonnée et comme agitée d’un hoquet perpétuel la poursuit.

Bergeronnette grise

Son chemin croise celui de migrateurs, une Bécassine sourde, ou des marais, ou, plus proche d’elle, sur le terrain de la Systématique, un Pipit spioncelle Anthus spinoletta.

Pipit spioncelle

Celui-ci, montagnard au sourcil pâle, a été contraint de rejoindre les fonds limoneux d’étangs découverts par la dernière vidange et où se fond sa livrée terne. La neige a recouvert les rocailleuses pelouses alpines de son estive.

Le printemps venu, il a su compenser ce défaut en lançant son message spécifique, modulé et insistant, le temps d’un vol en cloche. Le héraut s’élance à partir d’une roche, son élévation énergique accompagne une voix puissante. Arrivé au sommet de l’orbe, l’oiseau paraît se figer l’espace d’un instant infinitésimal. La seconde partie du trajet s’effectue en une chute planée, dite « en parachute ». Les notes s’accélèrent, comme si elles sentaient la fin, comme si elles s’efforçaient de tout exprimer avant la pose.

Elles ignorent encore tout de la motivation du chanteur déjà prêt pour une nouvelle ascension. Eole, Hermès et Cupidon se rejoignent en une nouvelle alliance pour acheminer le message de la vie à travers l’espace.

Pour l’heure, à son horloge fixée sur « hiver », le Pipit spioncelle ne se soucie que du maintien de sa condition physiologique, et picore à tout va.

A l’écart de l’étang, au-dessus d’un labour, des cris fins ne lui font pas perdre sa cadence. Pourtant il s’agit de proches parents, et qu’il côtoie parfois sur les hauteurs dénudées des monts du Forez et de la Madeleine : une troupe de pipits farlouses (ou Pipit des prés) Anthus pratensis, en compagnie de quelques linottes mélodieuses Carduelis cannabina, essentiellement des visiteurs hivernaux, ou de quelques alouettes des champs Alauda arvensis.

Pipit des prés : un hivernant en Dombes. Photo prise au printemps en Bretagne


24oct/10Off

Les voix de l’étang

On peut bien se demander où se cache l’eau, Dombes arpentée, proximité insoupçonnable. La carte d’état major est semblable à une mosaïque où le bleu domine, tous les demi-kilomètres : un étang. Alors où sont-ils tous ? Ils sont nombreux, pourtant, à s’offrir depuis le bord d’un chemin, d’une route départementale. Ils le sont presque autant à se réfugier au dos d’une haie, d’un bosquet, dans un pli de terrain.

Une oreille affûtée décèlera la silencieuse présence de l’eau stagnante en repérant quelques-unes des voix de son peuple.

A l’inverse, la découverte de ce dernier passera par le ré-apprentissage de l’écoute, par une sensibilisation à la reconnaissance des bruits, des sons, des cris et des chants : ceux-ci se révèleront aussi riches de tessitures, de couleurs musicales, de puissance, d’inventivité qu’il existe d’espèces d’oiseaux, de batraciens… Les naturalistes et certains chasseurs expérimentés ne s’y sont pas trompés, qui, ne pouvant franchir toutes les frontières – dont celle de la propriété privée - tendent depuis longtemps l’oreille. Ils reconnaissent le miaulement énamouré du mâle milouin, le raclement émis par leurs femelles à l’envol, un rien plus grave que celui de celles du Fuligule morillon, le puissant appel de la femelle colvert, et le nasillard cancanement du mâle…

Un rire en cascade, émis du fin fond des herbiers aquatiques, dévoile l’identité de l’insaisissable, du minuscule Grèbe castagneux Tachybaptus ruficollis, improprement appelé, ça et là, « plongeon », toujours guerroyant un confrère qui outrepasse les frontières de son territoire.

Grèbe castagneux

Grèbe castagneux

L’Aigrette garzette Egretta garzetta illustre une certaine fable où l’on parle de ramage et de plumage : une grâce immaculée devait sans doute receler un vice… Un croassement d’une rare inélégance par exemple ?

Aigrette garzette

Un aigrelet gazouillis, à la limite de l’audible, précède un trille dynamique : l’invisible Fauvette babillarde Sylvia curruca, nous nargue depuis l’épaisse frondaison d’une haie de grands arbres. Elle, n’est pas un oiseau aquatique. Apparue en Dombes il y a un demi-siècle, la présence de cet oiseau de distribution continentale et alpestre est désormais une spécificité locale.

Fauvette grisette

L’originale hiverne en Afrique orientale, contrairement à la plupart de nos fauvettes, telles la Fauvette grisette Sylvia communis à laquelle elle ressemble tant, ou la Rousserolle effarvatte, qui ont opté pour la plus proche Afrique subsaharienne Occidentale.

Plus communément encore, la queue boisée de l’étang, retentit du cri nasillard et diagnostique de la Mésange boréale Parus montanus. Moins fréquemment, elle nous gratifie de son chant, qu’elle émet déjà au cœur de l’hiver : une triple (ou quadruple) répétition d’une seule note mélancolique et douce, si douce, presque triste, une voix attachante, langoureuse.

Mésange boréale

Mais un plumage parmi les plus ternes de sa vaste famille. La Mésange boréale, en sa sous-espèce dénommée et pour cause « Mésange des saules », niche dans les souches pourries et les troncs creux des aulnes, des chênes. Elle est sans doute le passereau qui caractérise le mieux l’humide frondaison dombiste.

Les oiseaux ne sont pas seuls à se manifester. Le jour faiblissant, l’appel du Blongios nain et plus encore au cœur de la nuit celui des marouettes, émergent au fur et à mesure que le vacarme du concert des grenouilles vertes s’apaise. Un buisson résonne de l’appel incroyablement puissant de la minuscule Rainette arboricole Hyla arborea.

Une voix se mêle à celle des oiseaux : celle de la Rainette arboricole

Le petit monde du roseau

Quel biotope dans notre pays, autre que la roselière, ne recèle autant de mystère, ne procure autant de sécurité aux êtres qui s’y meuvent ? Quelle formation végétale, à cette échelle, et si l’on excepte la forêt pluviale présente un abord aussi compact, aussi impénétrable ? Tout n’est sans doute qu’une question de mesure. Dans l’eau ou même sur la roche, l’homme évoluerait avec plus d’aisance qu’entre les tiges resserrées du phragmite et du typha, qu’entre les butées (les « touradons ») de leurs pieds immergés…Et d’ailleurs que ferait-il en de tels lieux ?

La roselière recèle le peuple le plus discret de l’étang. Pour ses hôtes, nul besoin d’atours autres que la voix : pas de couleurs resplendissantes, ostentatoires, inutiles dans un monde où tous les chats seraient gris. Les oiseaux y sont parés de tons humblement fauves, couleurs de prudence.

Indissociables du roseau, toutes ces voix, de la plus exubérante à la plus monotone, de la plus puissante à la plus confidentielle, en sont l’âme et le charme estivaux, l’Afrique tropicale nous les reprenant pour l’hiver.

Rousserolles…

Rousserolle turdoïde

Le rideau de phragmites s’agite, et bruisse du frottement des tiges : la brise n’y est pour rien. Une irrésistible pulsion verticale entraîne la Rousserolle turdoïde Acrocephalus arundinaceus vers le haut de l’enchevêtrement végétal jusqu’à dominer les deux surfaces, celle de l’eau libre et celle des roseaux.

Rousserolle turdoïde

On s’attend difficilement à ce que quelques grammes de plumes soit responsables de tant de raffut, mais les feuilles du roseau sont sèches et ses tiges serrées. La fauvette doit batailler pour se rapprocher du ciel. Sa voix s’élève, puissante et rocailleuse, malgré quelques tentatives d’éclaircissement totalement infructueuses. Sa taille atteint à peine celle d’une petite grive et pourtant elle domine de sa seule puissance vocale tout le fond sonore de l’étang.

Population actuelle : une des plus importantes de France. Menacée par la réduction de la roselière. Dernière estimation de la population (2004) : 200 mâles chanteurs au minimum, 300 au maximum. Visiteuse d’été uniquement.

Rousserolle effarvatte

Au contraire, la Rousserolle effarvatte Acrocephalus scirpaceus, copie réduite de la turdoïde, ne chante que depuis la sécurisante profondeur de la végétation. On la voit rarement. Et sa voix, est étouffée après quelques mètres. Cela suffit amplement pour contacter le couple voisin, car les territoires de ces petits oiseaux sont très rapprochés. La conversation monotone des effarvattes, sur le ton de la confidence semble soutenir (ou commenter) la performance de la diva, la turdoïde, un ou deux mètres au-dessus d’elles.

Rousserolle effarvatte

La construction musicale des chants de ces deux espèces, est proche : une répétition par paquets de deux, ou trois, de quelques notes de gorge, émaillées de quelques sifflements, mais le tout manquant de l’inventivité coutumière des banals oiseaux de nos jardins, Merle noir, Grive musicienne, Fauvette à tête noire, Rossignol ou autre Rouge-gorge….

Population actuelle : aucune estimation. Quoique moins inféodée à la grande roselière, subit sans aucun doute la diminution de celle-ci. Espèce régulière lorsque le milieu est favorable. Visiteuse d’été uniquement

Phragmite des joncs

Une autre fauvette, très proche des rousserolles, porte le nom de deux des végétaux entre lesquels elle se partage : le Phragmite des joncs Acrocephalus schoenobaenus.

Phragmite des joncs (au sortir du bain)

Il se distingue de l’effarvatte par un comportement nettement plus démonstratif. Posté au su et au vu de tous à l’extrémité d’un phragmite ou d’un rameau de saule, il lance ses notes en les émaillant de coups de sifflets énergiques. Si cela ne suffit pas, il les émettra lors d’une courte envolée au-dessus du marais.

Phragmite des joncs

En fait une version caféinée de la Rousserolle effarvatte.

Population actuelle : en expansion ? Visiteur d’été uniquement

Les locustelles

Les 2 espèces de locustelles sont rares en Dombes. La Locustelle luscinioïde Locustella luscinioides était la plus abondante : quelques dizaines de couples sans doute encore dans les années 1990. Elle ressemble à s’y méprendre à une Rousserolle effarvatte.

Et puis la Locustelle tachetée Locustella naevia, pratiquement absente (plus abondante en prairies de Saône) l’a supplantée : phénomène passager ? Une évolution à suivre…

Toujours est-il que leur chant n’est que longue, très longue stridulation d’insecte : les différencier exige d’avoir entendu les 2 espèces chanter de nombreuses fois et si possible…simultanément ! Les 2 chantent inlassablement depuis la nuit jusqu’aux premières heures du matin…

Locustelle tachetée

Locustelle luscinioïde : un faux air de rousserolle ?

Population actuelle : net déclin de la Locustelle luscinioïde ; expansion récente de la Locustelle tachetée. Les 2 espèces ne totalisent dans doute pas plus de quelques dizaines de couples en Dombes. Visiteuses d’été uniquement.

… Et butors

L’ombre, comme générée par la roselière, la quitte et s’étend sur l’onde. Les heures sont moins chaudes. Du concert des batraciens, tente de s’extraire, avec la régularité d’un métronome, le rôt sonore du Blongios nain Ixobrychus minutus, le plus petit des hérons à vivre sous nos latitudes. Peut-être, chanceux randonneur, l’auras-tu aperçu, plus tôt dans la journée. Il volait à saute-moutons entre les massifs de roseaux : il allait et venait entre ses jeunes affamés et quelque chenal d’eau libre, reculé, mais non dépourvu de proies. Se laissant choir par le haut dans l’amas vert, il en ressurgissait peu après, par le pied de la végétation cette fois.

Blongios nain

L'heure du Blongios

Le Butor étoilé Botaurus stellaris lance au même instant son appel d’outre tombe, et toutes les angoisses refoulées remontent en masse sur le marais : un chariot et ses bœufs ont été avalés par la fange, ici. La légende ne précise pas quand. Elle confond même les étangs où le drame se joua. Depuis, on entend entre le crépuscule et l’aube, ce mugissement, les deux notes d’une corne de brume : l’effroi des bœufs sombrant ou le chant du Butor, qui sait ?

Le plus secret de nos oiseaux daigne s’extirper de l’ombre. L’allure est massive, on sent comme une puissance retenue dans ce corps plutôt courtaud. Le plumage de la plupart des hérons arboricoles [1] est uniforme : blanc ou gris. Celui des hérons « paludicoles » est plus cryptique, plus nuancé : rien, ou presque, ne permet de les distinguer du milieu dans lequel ils se meuvent. Celui du Butor étoilé, semble avoir été confectionné par un Elfe : « Tant que cet habit porteras, invisible tu demeureras. Mais de la lisière des roseaux ne t’écarte.

  1. les hérons qui se reproduisent dans les arbres : Héron cendré, Bihoreau gris, Aigrette garzette, Héron garde-boeufs, Crabier chevelu - au contraire des hérons paludicoles, qui se nichent essentiellement dans la roselière : Butor étoilé, Blongios nain, Héron pourpré. []
24oct/10Off

Voyage au centre de l’étang

La Guifette moustac

Les Guifettes moustacs Chlidonias hybridus constituent en quelque sorte, la partie visible du peuple de la pleine eau, des nénuphars et autre châtaigne d’eau.

La Guifette, c’est l’élément gracieux associé à l’été des étangs, car elle hiverne en grande partie au sud du Sahara. C’est une sterne des eaux douces et stagnantes. Une espèce emblématique : elle figure sur la liste des oiseaux les plus sensibles d’Europe. L’association d’un herbier aquatique et d’une colonie est sans conteste une plus-value environnementale et biologique pour un étang.

Elle se reproduit principalement sur le lac de Grand-Lieu (Loire Atlantique), en Brenne, en Dombes ; elle fréquente également en effectifs moindres le Forez, la Sologne, la Brière.

Longtemps Dombes et Brenne se sont partagé 80% de l’effectif national. La situation a changé. D’abord au bénéfice de la Brenne, puis de Grand-Lieu.

En Dombes, la Guifette moustac régresse régulièrement : de plus de 30 colonies en moyenne au début des années 1990, elle n’en compte qu’une dizaine en 2009. Les effectifs sont fluctuants, de 500 à 800 couples. Mais les colonies tendent à se concentrer sur un nombre de plus en plus réduit d’étangs. Ce constat suggère une évolution écologique globalement défavorable des milieux aquatiques, à commencer par l’appauvrissement des formations végétales favorables. Une carence des milieux en ressources alimentaires, d’origine terrestre (insectes) comme aquatique (alevinage), pourrait être impliquée dans les tendances évolutives récentes. Le déterminisme du choix du site de reproduction répondrait non au seul critère végétal mais au moins à deux impliquant non pas un mais un ensemble d’étangs, voire au-delà, le bassin versant : la présence de formations végétales et la ressource alimentaire.

Certains aspects des tendances évolutives de la Guifette en Dombes semblent pouvoir être corrélés assez aisément à une évolution locale des habitats et des pratiques. Cela ne suffit pas à expliquer le transfert de population constaté depuis quelques années vers des zones humides de l’Ouest du pays (Grand-Lieu, en Loire Atlantique) : des hypothèses fondées d’une part sur des tendances évolutives climatiques lourdes et des situations conjoncturelles (effets « année », conditions météorologiques exceptionnelles, eutrophisation de Grand-Lieu) seront donc avancées.

Plusieurs programmes environnementaux se sont succédé entre 1994 et 2010 intégrant la protection des colonies de Guifettes moustacs lors du faucardage de la végétation flottante, pratique non systématique essentiellement destinée à limiter l’emprise de la châtaigne d’eau.

Ils ne sont plus suffisants aujourd’hui pour inverser la tendance évolutive de la population de guifettes.

Directive Oiseaux

Population actuelle : le nombre de colonies ne cesse de diminuer :  7 en 2010 (10 en 2009 !). Effectifs fluctuants. Toutefois plafonnement de la population nicheuse à environ 500 couples sur la période 2006/2010, exception faite de 2007 avec 865 couples.

Souvent associés, parfois en compétition ...

...pour un simple amas de végétation où bâtir un nid : Grèbe à cou noir et Guifette moustac

Retrouvez ces deux oiseaux dans l'album "la guerre des plateformes"

Le Grèbe à cou noir

Au début de la saison, en avril, le Grèbe à cou noir Podiceps nigricollis s’assure la protection des colonies de mouettes, dans les joncs et les scirpes. Plus tard en été, il profite du développement des végétaux flottants pour intercaler son nid entre ceux des guifettes. Ce lutin au comportement spectaculaire est une des figures les plus attachantes de l’avifaune locale, un des oiseaux aussi, qui résume le mieux l’équilibre de l’étang dombiste.

La population de cette espèce est extrêmement fluctuante : certaines « colonies » ont rassemblé jusqu’à plus de 300 couples. Le phénomène est plus rare de nos jours, et le plus souvent, l’étang accueille au mieux plusieurs dizaines de couples (exemple : 40 couples en 2009 sur le Grand Birieux).

Population actuelle : fluctuante, de 200 à 500 couples. Les suivis actuels ne permettent pas de déterminer la tendance évolutive de la population. Pourrait être en recul, du fait de la diminution des herbiers aquatiques et des potentialités alimentaires.

Voir l'album "Grèbe à cou noir : coït non-interruptus"

Iconoclaste Martin-pêcheur

Le Martin-pêcheur Alcedo atthis n’est que reflet fugace, flèche électrique idéalement parallèle à la surface de l’eau.

L’étang est son garde-manger. Les ébies [1]et autres empellements [2] qui concentrent le fretin à l’aval immédiat de la bonde sont un de ses terrains de pêche privilégiés.

On le dit oiseau de l’eau courante, mais c’est oublier que c’est un pêcheur, un prédateur. Il laisse au bouillon de la rivière le Goujon et la Loche. Il plonge sans a priori, à l’attaque des alevins de Gardon, de Poisson-chat, et d’un nouveau, malvenu, mais particulièrement brillant et frétillant, que les dombistes connaissent sous le nom de « Pseudo-rasbora ».

Le gel de l’étang le chasse, et, perdurant, le décime.

L’argile compactée ne lui sied que modérément, où nicher : aussi, lorsqu’il a choisi de rester, bien obligé de forer son terrier dans la paroi des fossés profonds, dos à l’étang, exceptionnellement, entre les racines d’un chablis.

Sa présence est sous-estimée. Sans doute plus abondant dans l’Est de la Dombes – boisée, au relief plus marqué -qu’en son centre, il est presque omniprésent pourtant, juché sur une branche, ou se signalant au passage de son cri aigu, nerveux et métallique.

Population actuelle :

En 2008/2009 il est observé sur ¼ des étangs dombistes entre avril et juillet. Entre le 15 avril et le 15 mai, période concernant essentiellement des oiseaux cantonnés, il est observé sur plus de 7% des étangs (6% sur la période 1991/2000).

La dispersion des jeunes permet de le rencontrer sur 15% des étangs entre le 15 juin et le 15 juillet.

En janvier (hivernage) il est noté sur 7% des étangs (1991/2000). Benmergui/ONCFS non publié, étude réalisée sur 146 étangs.

Directive Oiseaux


  1. Exutoires de l’étang = trop-plein []
  2. « L’empellement » et la « pelle » sont des ouvrages de régulation et de canalisation de l’eau dans les fossés []
24oct/10Off

Mouettes et goélands

Le Goéland leucophée

Le Goéland leucophée Larus michahellis est le pendant méditerranéen à pattes jaunes de l’indéfectible Goéland argenté Larus argentatus à pattes roses de vos vacances à Brest, Quiberon ou Saint-Malo. Loin des rivages mais jamais de l’eau, une population est partie à la conquête de l’intérieur, le long des cours du Rhône et du Rhin.

Goéland leucophée :...des pattes jaunes

Il est parvenu jusqu’en Dombes, où il s’accommode moins facilement de la vie coloniale des littoraux. Un îlot, un couple, telle est ici sa stratégie territoriale.

Le Goéland argenté (...des pattes roses) : occasionnel en Dombes

De ce fait, il a pu élire domicile sur les ilots de quelques étangs, presque toujours d’une superficie supérieure à une dizaine d’hectares : les petits étangs sont rarement pourvus d’ilots, et le cas échéant, la sécurité n’y est évidemment pas optimale…

Il est un prédateur opportuniste mais redoutable des jeunes grèbes, foulques, guifettes, et canetons. Ce qui explique que sa population n’ait localement jamais vraiment décollé : si certains gestionnaires voient en lui un remède efficace limitant la production des grèbes huppés, d’autres considèrent plutôt sa présence comme un problème à résoudre…

Population actuelle : une vingtaine de couples à la fin des années 1990, n’excède pas 13 couples en 2005, et est inférieure à 10 couples en 2009.  5 couples au plus en 2010.


La colonie de mouettes : matrice de l’étang

Autrefois si souvent commensale du paysan...

La Mouette rieuse Larus ridibundus, très ancienne commensale du pêcheur, suit les embarcations en compagnie des goélands, en mer et sur les lacs, se satisfaisant des déchets de la pêche. Elle a accompagné la charrue, successivement entrainée par les bœufs, puis par le tracteur, et qui découvre les lombrics [1] comme les campagnols.

Plusieurs études ont démontré l’attractivité qu’exerce une colonie sur d’autres espèces. Elle protège l’ensemble de la communauté, aussi turbulente soit-elle, de l’intrusion des prédateurs. La colonie appelle à une plus grande diversité des espèces, coloniales également dans le cas du Grèbe à cou noir Podiceps nigricollis et de la Guifette moustac Chlidonias hybridus, ou simplement sociables comme celui des fuligules [2].

I

Les naturalistes constatent la raréfaction des grandes colonies, dont les effectifs étaient supérieurs à un millier de couples. A l’inverse, ils constatent un éclatement de la population en de petites colonies moins productives. De ce fait, les dombistes sont persuadés, à tort, de l’augmentation des mouettes. La confusion pourrait être augmentée par les rassemblements hivernaux sur les vidanges hivernales qui précèdent les pêches, et bien que cette population hivernante ne semble pas augmenter. La Mouette traîne le lourd chalut d’une réputation de piscivore, ce qu’elle est en partie, et notamment à cette période de l’année. D’un impact mineur sur la production de poisson, elle hérite essentiellement du ressentiment d’une profession excédée envers des espèces nettement plus déprédatrices.

Ces confusions entre populations nicheuses et hivernantes sont classiques.

Le baguage des oiseaux : une aide à la compréhension de leurs mouvements

Comme c’est le cas pour le Héron cendré, les mouettes hivernant dans notre région ne sont que très partiellement celles qui s’y reproduisent. Elles proviennent principalement du Nord de l’Europe, d’une vaste zone délimitée au Sud par la Suisse, au Nord par la Finlande, à l’Ouest par le Benelux et le Danemark, et à l’Est par la Pologne et les pays baltes. L’effectif en hivernage est méconnu. Un dortoir, régulier et spectaculaire, sur la réserve ornithologique de Villars les Dombes, pourrait accueillir 15 000 à plus de 18000 oiseaux. La plupart s’alimentaient sur un vaste dépotoir voisin récemment fermé. Leur recours reste le dépotoir péri-urbain de Bourg-en-Bresse à une trentaine de kilomètres du centre Dombes.

Les ornithologues[3] ont relié le départ d’un fort contingent dès la mi-juin avec une diminution d’une source alimentaire primordiale : le Lombric. A cette époque, cet invertébré est moins actif sous la surface des sols, et les terres cultivées sont devenues le « béton » que l’on connaît. Si la régression de la population locale reproductrice de mouettes se confirmait, il faudrait donc en conclure, moins à une évolution des orientations piscicoles qu’à celle concernant l’assolement en périphérie d’étang.

Chaque année, vers la mi-mars, la colonie se reconstitue.

Un couple de paysans avait vécu toute sa vie adossé à une des plus grandes colonies de la région. A leurs dires, elle compta sans doute autrefois plus de 2000 couples. On s’y octroyait même le droit, sous la responsabilité du propriétaire, de procéder à la récolte des œufs : en moyenne 3 par nid, que l’on multiplie sans peine par deux, trois cents ! Les mouettes ne semblaient pas en avoir pâti outre-mesure. Il s’agissait là d’une pratique, exceptionnelle, mais compensable grâce aux fortes potentialités de l’espèce et du milieu. On adoptait localement, une tradition ancrée dans les régions du nord de l’Europe : le ramassage des premières pontes, lesquelles étaient aussitôt remplacées.

Et puis, au cours des années 1990, un matin, le calme s’impose, seulement relatif, mais aux oreilles des « anciens », il prenait une dimension proche de l’absolu : les mouettes ne sont pas revenues, pour la première fois en près d’un demi-siècle. Même lors des assecs, rares sur cet étang, on faisait la différence.

...Soudain le silence

On avait acquis, au fil du temps, cette capacité à assimiler la présence simultanée des mouettes et de l’eau et, à l’inverse, l’absence d’eau égalait l’absence, alors explicable, logique, des mouettes. L’absence des mouettes, avec un étang que les paysans « sentaient » en eau, avait pris une dimension pesante pour ce couple, en fin de parcours professionnel. D’un coup d’un seul, il comprenait, à l’écart du monde, qu’une page était définitivement tournée.

Population actuelle :

Reproduction : 3400 individus répartis en 7 colonies (2008).

Hivernage : plus 15000 individus sur un seul dortoir.


  1. Vers de terre []
  2. canards plongeurs comme le milouin, le morillon). Il n’est pas rare que, même le Vanneau huppé Vanellus vanellus et l’Echasse blanche Himantopus himantopus, puissent se joindre au vacarme de leurs hôtes lorsque l’étang répond simultanément à toutes leurs exigences.

    Mais les colonies de mouettes sont de moins en moins nombreuses : 2000 à 2200 couples en 8 colonies en 2009, contre environ 5000 couples pour 26 colonies en 1999. Entre ces deux dates une tendance régulière, lourde à la diminution. A titre de comparaison, le Forez, avec trois fois moins d’étangs, en compterait environ sept mille ((Guide du naturaliste en Dombes, éd. Delachaux et Niestlé []

24oct/10Off

Les méridionaux

Les zoologistes attribuent traditionnellement à l’avifaune dombiste une appartenance bio-géographique « médio-européenne ». Les influences septentrionales l’emporteraient sur les méridionales. Une argumentation météorologique appuie cette thèse, ainsi que des pistes, convergentes jusqu’au plus infime maillon de la chaîne biologique : nos insectes aussi seraient plus continentaux que méditerranéens [1].

Mais l’effet de serre et le réchauffement consécutif de l’atmosphère engendrent des modifications sensibles : climatiques d’abord, écologiques ensuite.

Dans la rue, où disserter du temps contribue au maintien du tissu social, cela a semblé évident, bien en amont que les statistiques ne décident. La 1ère génération du 21ème siècle n’est pas la première à entendre dire qu’« Il n’y a plus de saison ». Les naturalistes s’interrogeaient, sans trouver d’autre explication totalement satisfaisante à l’affluence parfois soudaine d’une avifaune aux accents franchement méridionaux.

Les conséquences des évolutions climatiques sont de ces subtilités difficilement perceptibles à court terme. En comparaison, la prédation et l’évolution des paysages, par exemple, sont des paramètres plus rapidement identifiables.

Des sécheresses devenues endémiques dans le sud de l’Europe, en Espagne notamment, des hivers plus doux chez nous, ont favorisé en Dombes, mais pas seulement, l’implantation, d’espèces qui seraient autrement restées occasionnelles. La présence en France du Crabier chevelu Ardeola ralloides, une espèce afro-tropicale, a longtemps été limitée à la Camargue. Il est considéré dorénavant comme appartenant au catalogue des visiteurs d’été réguliers en Dombes.

Crabier chevelu

Le Héron gardeboeufs : d'un continent à l'autre, du Zébu Peul...

...au Charolais

Le Héron garde-bœufs Bubulcus ibis, que les zoologistes attribuent à la catégorie faunistique « indo-africaine », s’est ressenti des velléités de conquête globale. Lui qui n’est pas un migrateur total, se laisse encore surprendre par quelque hiver plus rigoureux que le précédent, et qui taille à vif dans ses rangs. Mais il semble désormais capable de pouvoir compenser ses pertes : les populations espagnoles, saturées, réapprovisionneraient les nôtres…

C’est encore la rigueur de l’hiver qui n’a pas encore autorisé l’installation estivale durable de la Bouscarle de Cetti Cettia cetti et de la Cisticole des Joncs Cisticola juncidis. Ces sortes de fauvettes sont plus ou moins sédentaires dans les régions sous influence atlantique ou méditerranéenne.

On les a entendues de plus en plus régulièrement au cours des toutes dernières années sans toutefois tenir les promesses d’une réelle expansion. La Bouscarle est d’ailleurs régulière tout autour du plateau dombiste, à l’Est, dans les « brotteaux » qui bordent la rivière d’Ain, et à l’Ouest, le long des fossés qui voisinent la Saône.

Là même où le tropical Guêpier d’Europe Merops apiaster, lui, continue son expansion, remontant fleuves et rivières depuis la Méditerranée…mais en prenant soin d’éviter la Dombes. Il y a pourtant fait une incursion remarquée à la fin des années 80. Il passe, en fin d’été, mais ne s’y reproduit qu'occasionnellement :  au moins une petite colonie est connue en marge occidentale du plateau.

Le déficit pluviométrique et la résorption rapide en cours de printemps de zones humides dans le sud de l’Europe, se traduisent par un exode estival d’espèces dont une part n’a pas toujours eu le temps de se reproduire : plus au Nord, des régions plus arrosées accueillent ces oiseaux  dès  le mois de juin.  Ce phénomène  pourrait expliquer la variabilité des effectifs estivaux de l’Echasse blanche et de la Guifette moustac, qui peuvent doubler en quelques semaines.


  1. In « Le guide du Naturaliste en Dombes », Lebreton et al., Delachaux et Niestlé, 1991. []
24oct/10Off

Quid des prés et des landes : l’extension du périmètre Natura 2000

Les problématiques afférentes à la gestion du bassin versant et à ses conséquences sur l’ensemble de l’écosystème sont développées dans le chapitre « Aux sources de la biodiversité » et sont reprises, chaque fois que nécessaire, dans les chapitre « Les Oiseaux ».

La Dombes ne possède que rarement de landes en bordures des étangs. L’Union Européenne a entériné la fin des jachères fin 2008. Les prairies permanentes sont souvent des pâtures, et lorsqu'il s'agit de prairies de fauche, le rythme des fenaisons ne laisse plus de temps à la faune de réaliser son cycle de reproduction.

Chaque carré de terrain à l’abandon, chaque friche, les réseaux de fossés, bordures de routes et de chemins constituent les vecteurs d’une biodiversité qui trouve là un habitat de substitution lorsque manque l’essentiel. Mais force est de reconnaitre que notre époque, nos besoins laissent le minimum de place à une telle spontanéité végétale.

Tarier pâtre, mâle

Le tarier pâtre : un passereau coloré des landes buissonnantes ; il régresse en Dombes

Une lande buissonnante

Une lande buissonnante : une vision rare au sein d'un agrosystème maîtrisé.

Fauvette grisette

Une Fauvette grisette

Au milieu des années 1990 un premier programme environnemental (LIFE) tente de réhabiliter quelque 250 hectares de prairie en Dombes, d’une prairie qui laisse le temps à la vie de s’installer. Il faut attendre 2009 pour que les politiques agro-environnementales laissent entrevoir une évolution encourageante qui vise à une implantation significative de prairies utiles à la faune. Un programme en cours : les Mesures Agro-Environnementales Territorialisées.

Graminées variées dansune prairie

De la diversité dans les prairies...

Natura 2000 est passée. Avec elle, l’application, à l’arrachée, de la Directive Oiseaux qui implique une extension du périmètre de restauration des habitats favorables à la faune, jusqu’à 200 mètres au-delà de l’étang. On brandit d'abord localement cette mesure comme un épouvantail, s'attachant plus à la forme de son obtention, qu'au fond, ce qu'elle signifie et apporte réellement : un système contractuel dans lequel chacun peut s'inscrire à son gré, et dans un cadre ultimement limité par les disponibilités budgétaires allouées à l'application de la mesure. Pas de quoi fouetter un chat. Sans explication, avec peu de moyens prévus dans un premier temps à l'animation et la mise en place de ce train de mesures, une réaction était inévitable. Ces balbutiements de jeunesse font désormais en principe partie du passé.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, la cartographie qui résulte de l’extension de ce périmètre confère enfin à la Dombes une identité, une réelle entité écologique. Non ? Si !

Toutefois on n’attend pas d’inversion de la dynamique démographique du cortège d’espèces inféodées au milieu prairial avant la pérennisation d’un système garantissant le retour d'une superficie significative de prairie de fauche, celle-ci autorisant bien sur le cycle complet de reproduction de ces espèces, vertébrées et invertébrées. Crises sanitaires et laitières, vieillissement et disparition des exploitations laitières, difficultés du métier d’éleveur, ne semblent pas emprunter une telle direction.

Une prairie en bordure d'étang et les bâtiments de l'exploitation en arrière-plan

Quel avenir pour la prairie (et sa fauche tardive !) au bord des étangs ?

Plusieurs projets, peut-être seulement encore des velléités, se dessinent néanmoins dans le cadre d'action agro-environnementales, de contrats de développement durable : des pistes encore plus que des projets, mais qui autorisent de refuser en la fatalité d'une fin de cette part de culture et de biodiversité en Dombes.

ZOOM sur : Le Cuivré des marais

Cuivré des marais (Thersamolycaena dispar)

Cuivré des marais : un mâle, flamboyant et inratable dans son verdoyant environnement

Cuivré des marais (Thersamolycaena dispar)

Cuivré des marais : femelle

Le Cuivré des marais Thersamolycaena dispar est un papillon prioritaire au titre de la Directive Habitats.

Cuivré des marais (Thermolycaena dispar)

Cuivré des marais, femelle

La recherche de ce petit Lépidoptère aux couleurs vives a permis de démontrer l’existence d’une population importante en Dombes. La prairie lui est indispensable pour conclure son cycle annuel : il s’y reproduit en juin et juillet, recherchant les rumex qui la parsèment, ses chenilles s'en nourrissant. Pour ce faire, encore faut-il que la plante ne soit pas fauchée trop tôt. Or, fin mai ont déjà lieu les premières fenaisons…

Avant, ou au contraire plus tard en saison, en août et septembre, on le trouvera le long des fossés non entretenus, dans ces petits habitats dont l’agriculture se désintéresse (coins de parcelles impossibles à traiter avec du matériel lourd, talus, friches) et qui constituent autant de vecteurs, de corridors, vers ses sites de reproduction.

Ne pas confondre : Cuivré des marais et Cuivré commun !

Cuivré commun (Lycaena phlaeas)

Cuivré commun, mâle

Cuivré commun (Lycaena phlaeas)

Cuivré commun, mâle

Cuivré commun (Lycaena phlaeas)

Cuivré commun, mâle: pas si commun en Dombes. La confusion est aisée, avec la femelle de Cuivré des marais

24oct/10Off

Vernes et vorgines

Au contact de l’étang, là où les sols se ressuient difficilement, et même demeurent par périodiquement inondés, le Chêne et le Bouleau sont précédés de l’Aulne et du Frêne, eux-mêmes suivis du saule.

L’Aulne glutineux Alnus glutinosa, en peuplements homogènes, conserve toujours l’apparence d’un frêle bois temporaire, d’un gaulis un peu maigrelet, un peu tordu, qui corrobore l’idée ancienne que l’on se faisait du marais : son insalubrité se reflèterait même jusque dans ses ligneux ! On retrouve l'appellation vernaculaire de l'aulne "la verne" dans le nom de plusieurs étangs : Vernay, Vernayes, Vernai [1]...

Aulnaie marécageuse

Une Aulnaie inondable

Au contraire en bourrelets ronds et denses, le Saule – en fait un groupement complexe concernant plusieurs espèces parfois hybridées : Salix alba, cinerea, caprea - est désigné régionalement sous le vocable générique « vorgine ». Il offre des lieux une physionomie plus souriante, bonhomme, un feuillage cendré compact et frémissant.

Une saulaie en queue d'étang

Une saulaie en queue d'étang

Au contraire en bourrelets ronds et denses, le Saule – en fait un groupement complexe concernant plusieurs espèces parfois hybridées : Salix alba, cinerea, caprea - est désigné régionalement sous le vocable générique « vorgine ». Il offre des lieux une physionomie plus souriante, bonhomme, un feuillage cendré compact et frémissant. Il constitue le milieu privilégié par les « petits hérons » Bihoreau gris, Aigrette garzette, entre autres, pour y nicher en colonies.

Une colonie de petits hérons arboricoles dans des saules

Une colonie de petits hérons arboricoles dans des saules

Hérons garde-boeufs & Bihoreau dans des saules

Hérons garde-boeufs & Bihoreau gris dans les saules

Une Mésange boréale

Mésange boréale

La Leucorrhine à gros thorax

L’étagement d’une large succession végétale inondée, depuis la surface de l’eau, jusqu’au stade arborescent qui borde l’étang, ainsi qu’une une charge modérée en ichtyofaune [2] herbivore, favorisent le maintien en Dombes d’une rareté nationale, une Libellule qui est devenue de ce fait, un des enjeux prioritaires de conservation patrimoniale en Dombes (Natura 2000) : La Leucorrhine à gros thorax Leucorrhinia pectoralis est en effet inscrite à l’annexe 2 de la Directive Habitats. Les moyens de sa conservation et de la restauration des milieux favorables sont actuellement appliqués dans le cadre des Mesures Aqua-Environnementales en cours.

Cf. § "Etang sale et biodiversité : Zoom sur la Leucorrhine à gros thorax"

Leucorrhine à gros thorax (Leucorrhinia pectoralis) mâle

Leucorrhine à gros thorax

  1. essentiellement à Joyeux et à Saint-Paul-de-Varax []
  2. Les poissons []