Plantes invasives : La menace de la Jussie à grandes fleurs
La Jussie
En 1996, on découvrait dans le nord de la Dombes un étang recouvert dans sa totalité d’une formation végétale inconnue ici à l’état spontané. L’étang au premier regard, est paré d’une magnificence rare, totalement, densément fleuri, de fleurs entièrement jaune d’or, d’un feuillage d’un vert ciré, émeraude : il ne s'agissait ni du Rorippe aquatique Rorippa amphibia, ni de la Villarsie faux-nénuphar Nymphoides peltata, tous deux capables de s’étendre en de très vastes formations. Mais…
On déchante très rapidement lorsque, identifiée, la plante se révèle être la Jussie à grandes fleurs Jussia grandiflora.
La Jussie est alors rapidement localisée sur quelques rares mares et plans d’eau privés, la plupart ne semblant pas connectés au réseau hydrographique principal. En 1997, elle décore un plan d’eau d’un établissement scolaire en centre Dombes, et un bassin privé du sud-est. En 2008, les bassins d’exposition d’une entreprise horticole du nord-ouest de la Dombes en sont envahis.
On la connaît dans bien d’autres régions de France, depuis les marais et canaux méditerranéens jusque dans l’ouest et le centre de la France. Des dizaines d’étangs brennous sont étouffés par la densité de son emprise et son dynamisme racinaire. Sa prédominance sur les autres espèces est telle qu’elle envahit les milieux aquatiques, ne laissant aucune chance à la diversité végétale autochtone.
Le combat qui est mené dans ces régions inquiète la Dombes qui craint sa prolifération.
Celle-ci, étonnamment, mais heureusement, tarde.
Il faut attendre 2006 pour qu’un second étang dombiste soit contaminé. Il n’est pas situé sur une même ligne d’écoulement des eaux que le premier mais se révèle appartenir au même propriétaire. La lutte commence, alerte donnée conjointement par les services de l’état (l'ONCFS et le syndicat des exploitants d’étangs).
En 2008, un troisième grand étang, situé à 20 kilomètres plus au sud est touché par la peste végétale, alors que jusqu’ici essentiellement des petits plans d’eau étaient concernés. Depuis, plusieurs étangs ont été "contaminés".
Sur la Veyle, une des rivières principales qui traverse la Dombes du Sud vers le Nord-ouest pour se jeter dans la Saône, le syndicat mixte chargé du Contrat Rivière, lance une campagne d’arrachage. Car il n’y a pas d’autre moyen efficace connu actuellement de lutter contre cette plante invasive et qui menace les écosystèmes aquatiques :
Originaire du Brésil, la Jussie a été introduite dans notre pays au début du 19ème siècle afin d’agrémenter le Jardin des Plantes de Montpellier. De là, elle s’acclimata dans le sud de la France, avant de se disperser dans de nombreux pays européens.
Un arrêté du 2 mai 2007 du ministère de l'Agriculture et de la pêche interdit sur tout le territoire métropolitain, le colportage, la mise en vente, la vente, l'achat, l'utilisation ainsi que l'introduction dans le milieu naturel, volontaire, par négligence ou par imprudence de deux espèces de Jussie, Ludwigia peploides et Jussia grandiflora.
Une espèce appartenant à la même famille est au contraire protégée au niveau régional : il s’agit de la Ludwigie des marais Ludwigia palustris assez commune sur les étangs.
La Jussie constitue une réelle menace pour l'ensemble de l'écosystème.
La Renouée du Japon
Toutefois de nombreux végétaux allochtones sont susceptibles de se révéler envahissants et de constituer un danger pour la biodiversité indigène. La Renouée du Japon Fallopia japonica est de ceux-ci. Elle est également présente en Dombes. Elle a essentiellement colonisé de nombreuses rivières du pays dont elle a étouffé la végétation rivulaire. L’Ain n’y échappe pas. Petite rivière de l’ouest du plateau, le Formans non plus. L'Association de Gestion et de Suivi Environnemental du bassin du Formans (AGESEF) a pris ce problème à bras le corps.
Si vous avez connaissance de la colonisation d'un terrain par ces végétaux, renseignez-vous sur les moyens de les éradiquer auprès des services compétents de l'Agriculture et de l'Environnement.
La végétation du centre de l’étang : les hydrophytes
Flottante, elle offre sans nul doute la palette aux accents les plus impressionnistes de tout le monde végétal aquatique. Ses formations se succèdent au fil des mois sur l’étang, le même ou bien un autre : à l’immaculé tapis de la Renoncule peltée Ranunculus peltatus, succède celui, rose gourmand de la Renouée amphibie Polygonum amphibium ou encore celui de la Villarsie Nymphoides peltata, aux feuilles d’un vert émeraude ciré et aux fleurs jaune vif. Plus rares ici sont le Nymphéa Nymphaea alba et le vrai Nénuphar Nuphar lutea. Les fleurs du premier, éclatées et blanches, semblent avoir été comme déposées sur les feuilles et l’eau. Celles du second, hésitent à s’épanouir, pudiques sphères jaunes à l’extrémité de leur pédoncule allongé.
Vers la fin de l’été, des étangs entiers brunissent, comme atteints par la rouille, massivement, par la crainte, si peu souhaitée mais opiniâtrement récurrente...Châtaigne d’eau Trapa natans.
Sous la surface, la vie végétale est tout aussi riche, ou du moins devrait l’être. L’identification des végétaux y est souvent difficile : c’est essentiellement le domaine des potamots Potamogeton sp, de la Myriophylle en épis, des Characées. Leur développement n’est pas que subaquatique, et des espèces comme le Potamot noueux Potamogeton nodosus et le Potamot nageant Potamogeton natans étalent ostensiblement feuilles et inflorescences à la surface. La Myriophylle ne laissera apparaître que de minces épis rosissants, alors que la Cornifle (ou Cératophylle) Ceratophyllum demersum et les rugueuses Naïades Naias sp demeureront densément et subaquatiques.
La Châtaigne d’eau
Plus que tout autre macrophyte (plante aquatique) la Châtaigne d’eau, qui est une plante indigène est considérée comme une plaie, car son épais feuillage freine la pénétration de la lumière et gêne le développement des poissons. Aussi, est-elle à l’origine d’une autre pratique : le faucardage, un exercice mécanique consistant à limiter son emprise. Pour cela, on utilise une embarcation légère à moteur et fond plat, munie généralement de deux barres de coupe, une verticale, une horizontale. Cette méthode, est contraignante, fastidieuse même sur de grandes étendues. Son effet n’est pas probant sur le long terme, mais elle est actuellement, de loin préférable, à une lutte chimique, moins sélective et dont l’incidence sur la communauté végétale est plus douteuse[BM1] .
Cette régulation mécanique a l’avantage de pouvoir être ajustée aux zones colonisées par la Guifette moustac. C’est afin de protéger la reproduction de cet oiseau qu’il a souvent été proposé depuis 1994 aux gestionnaires d’étangs une indemnité permettant de compenser le manque à gagner occasionné par la conservation partielle du tapis végétal.
La gestion des milieux végétaux qui accueillent les colonies de guifettes est prise automatiquement en compte par exemple par les mesures Natura 2000, ou dans certaines mesures dites aqua-environnementales. Ailleurs, et cela implique l’essentiel des colonies, aucune mesure de conservation n’entre en vigueur.
[BM1]voir un commentaire précédent : chaulage, etc….
S’il faut conclure
A sa façon, l’insondable histoire de l’évolution se répète donc au creux du pays de Dombes.
L’oiseau, comme la Vouivre tour à tour vénéneuse et enchanteresse, surgit de l’eau. De la Vouivre, il tient du reptile et cache son jeu. Seules ses pattes encore écailleuses trahissent sa maternité sulfureuse, mais il n’en a cure : courtes, il les tiendra sous l’eau, hautes, il les enduira de vase : en séchant la craquelure deviendra sa vraie nature…
Il s’élève dans l’éther, abandonnant à son destin d’animal de ferme le « bec" [1] et le « panot »
La genèse de l’oiseau est, ici plus qu’ailleurs, l’histoire même de l’étang et du premier homme, sans pomme ni frusque, qui l’a modelé, si longtemps après les temps bibliques, et si loin de nous aussi.
Donc, l’oiseau serait d’argile.
D’une terre qui aurait échappé aux gestes d’amour de son créateur.
Comme elle, il s’épanouit en une foison inimaginable de masques aux couleurs du temps, de la forêt, de l’eau, de la terre et du feu.
Comme elle, il est fragile : une fois la vie l’ayant animé, son créateur craint de devoir n’y plus toucher par peur de rompre l’heureux enchantement.
Comme elle, encore fluide, glissant entre les doigts, il est alors impalpable, sauvage, rebelle.
Le sculpteur prend la mesure de sa responsabilité.
Il doit sans cesse composer avec ses enfants à l’adolescence des plus turbulentes. Il doit parfois affirmer son autorité auprès des plus rebelles ; il doit protéger de tous les ogres, le plus insignifiant de ses rejetons.
Il sait qu’il ne doit pas les entraîner tous, sans distinction, sur le dédale de la plus obscure forêt : pour un seul d’entre eux, il ne peut se permettre, il n’en a plus le droit, de tous les perdre.
Les grands chantiers environnementaux en cours sont une opportunité pour la Dombes de conserver ce qui peut encore l’être, de retrouver ce qui n’y trouvait plus sa place, en tout cas ce qui la trouve péniblement ailleurs. Ils instaurent un dialogue, ou en restaurent l’habitude là où elle s’était quelque peu perdue.
Aujourd’hui 13 juin 2010 – mais chaque jour a un air de printemps - la Dombes est belle. Comme elle devrait toujours l’être. Une jonchaie à gauche, une vasière à droite de la chaussée qui sépare deux étangs.
Sur la vasière, des échasses au nid, des vanneaux avec leurs poussins, qu’harcèle un couple de corneilles, inévitable. Quelques chevaliers, un Tadorne de Belon et une Spatule blanche. Nouvelle venue dans l’arche.
Un Héron cendré fait face à un autre, pourpré ; tous deux figés dans l’affût. Un Bihoreau passe en croassant. Une petite bande de guifettes passe, qu’annonce une série de cris brefs.
Un chêne renvoie le chant de trois fauvettes, qui se répondent, compétiteurs sans animosité : celui de la bocagère Fauvette babillarde, celui de la forestière Fauvette à tête noire, celui, aigrelet, de la Fauvette grisette, oiseau des plaines buissonnantes.
La Dombes est ainsi, multiple.
Une Hypolaïs leur répond depuis le flanc ensoleillé d’une haie proche : il apporte une touche presque méditerranéenne à cet entrelacs sonore.
De la jonchaie, s’élèvent successivement l’appel strident et colérique du Râle d’eau, puis le roucoulement mélancolique d’une Poule d’eau.
Le petit peuple chante à tout crin depuis les saules : Bruant des roseaux, Phragmite des joncs et locustelles… Une dizaine de mâles milouins énamourés poursuivent une femelle, séparant au passage un couple de nettes rousses, indifférent.
La roselière, et ses voix, et ses senteurs, manquent au décor.
Qu’à cela ne tienne, allons les trouver !
La Dombes est belle. Elle montre ce qu’elle a de plus précieux. Elle donne le change dans un élan d’espoir matinal.
Elle sait surprendre, encore, par sa variété, sa munificence, sa générosité.
Partageons le rêve d’Alembert [2], et faisons en sorte, qu’au réveil, ce rêve continue :
Le prodige, c’est la vie, c’est la sensibilité ; et ce prodige n’en est plus un...Lorsque j’ai vu la matière inerte passer à l’état sensible, rien ne doit plus m’étonner. Quelle comparaison d’un petit nombre d’éléments mis en fermentation dans le creux de ma main, et de ce réservoir immense d’éléments divers épars dans les entrailles de la terre, à sa surface, au sein des mers, dans le vague des airs !
Relictes voisines : l’Outarde canepetière et le Râle de genêts
Directive Oiseaux
Il émane d’un choix qui peut sembler insolite de rendre hommage aux oiseaux dombistes en concluant ce propos avec deux espèces qui ne le sont pas, et qui pourtant prendront ici valeur de symboles : l’Outarde canepetière Tetrax tetrax et le Râle des genêts Crex crex.
Tous deux subsistent, à la limite de l’extinction, après avoir été communs dans deux des régions qui encadrent le plateau. Tous deux, et dès lors plus rien n’est censé étonner, sont inféodés à l’Herbe : steppe graminacée pour la 1ère, prairie alluviale pour le second. Autre point commun, malgré leur éloignement morphologique, tous deux sont cousins : ils appartiennent au même ordre systématique que celui de la Grue cendrée, celui des Gruiformes. Un bel exemple de divergence évolutive.
Dans la Plaine de l’Ain, la canepetière enchantait les soirées de juin de ses appels roulés et de ses vols nuptiaux, cinglants et sifflants, jusque vers la fin des années 80. Elle était le chef de file d’un singulier cortège faunistique, comprenant entre autres, le Busard cendré et l’Œdicnème criard Burhinus œdicnemus, le Bruant proyer, le Tarier pâtre et la Caille des blés. Toutes ces espèces lui ont survécu, à des degrés de présence divers.
Le Râle de genêts survit comme il peut dans les longues prairies inondables qui bordent la Saône. Il a niché autrefois, là où s’étendait le Marais des Echets. Malgré la succession de mesures de conservation de son habitat (une fauche retardée de quelques prairies autorisant un cycle de reproduction complet) mises en œuvre depuis le milieu des années 90, on peut difficilement lui prédire un avenir radieux.
Mieux lotis parce que moins exigeants, les courlis cendrés semblent au contraire prospérer.
Avec le Râle des genêts, ils dominent tout une communauté où figurent en bonnes places le Tarier des prés et la Bergeronnette printanière ou encore le Bruant proyer.
Il faut avoir fait l’expérience d’une nuit passée dans la prairie à l’écoute de l’appel du Râle, prenant faute d’être mélodieux. D’abord noyé dans le concert de la prairie, il en émerge peu à peu, lorsque l’intensité de celui-ci décroît. Sans être le seul, il devient le seul que l’on entend : c’est l’instant où les dernières lueurs fauves de l’Occident modèlent le sommet des buissons de saules dressés tout au long des fossés qui drainent la prairie. Ce n’est que bien plus tard, lorsque les prémices d’un jour neuf couchent une herbe alourdie par la masse enveloppante d’une brume ondulante que le Râle se tait. Ou que le débordement sonore d’un monde grouillant à nouveau le submerge.
Oubliés, les lueurs de Mâcon toute proche, le grondement du dernier TGV, le roulement ininterrompu de l’autoroute A40. Ignoré le tonnerre des avions de chasse snobant le couloir vert et –surtout- désert de la vallée. Ignorée également, l’averse orageuse traditionnelle en cette fin juin, sans laquelle le chant du Râle n’aurait plus la même saveur, la même odeur, le même son.
Le Râle de genêts et la canepetière ont aussi en commun (on pourrait ajouter à ce groupe le Blongios nain) ce type de chant, bref, répétitif à l’infini, infatigablement émis à intervalles réguliers, sans musicalité, mais incroyablement envoûtants. On ne saura jamais s’il est puissant ou faible. Il se laisse porter à des distances incroyables par la moindre brise. Une autre, de direction contraire, l’étouffe sur quelques mètres.
Où ils vivaient, les bouleversements furent trop rapides, anticipèrent de bien trop loin, l’intérêt que l’on allait un jour devoir leur porter.
Les options choisies, qui ont contribué à la transfiguration des grands écosystèmes de plaine, entre implantations industrielles et monocultures céréalières ne laissent aucun doute sur l’origine de la régression des peuplements animaux et végétaux.
Il en va autrement de l’évolution de la prairie, plus insidieuse. Lorsqu’elle domine encore l’écosystème, et c’est le cas dans la vallée alluviale de la Saône, c’est dans son cycle d’exploitation que les modifications sont sensibles : exploitée plus intensivement, ainsi qu’il l’a été écrit plus haut, les oiseaux n’ont plus le temps de s’y reproduire.
La Canepetière était localement condamnée, pratiquement disparue avant l’émergence récente de la Conscience Environnementale.
Du Râle de genêts, il ne reste au début des années 2000 que quelques dizaines d’oiseaux dans le Val de Saône : sa chance de pérennité sera peut-être dans les nouvelles dispositions, dites « mesures compensatoires » qui prévoient, pour chaque nouvelle emprise urbaine sur ses prairies, de reconstituer ailleurs, et pour une durée significative, des milieux favorables à l’espèce
Dans d’autres régions que la nôtre, ils constituent encore des enjeux qui doivent rester à l’esprit du décideur lorsqu’il aura charge de définir ses priorités : dans moins de 10 années, l’un de ces deux oiseaux prestigieux aura peut-être disparu….
« Indésirables »
Le Grand Cormoran
Faux air de rapace ou allure cornélienne – référence faite à l’oiseau, pas au dramaturge, quoique… – cri discordant, sombre, apparemment (seulement) monochrome et terne, jusqu’à l’odeur, âcre. Le Mal en somme, ou bien le turbulent rejeton d’Odin et de Vouivre ?
En Dombes, avant tout et avant tous les autres le Grand cormoran Phalacrocorax carbo est l’oiseau de mauvais augure. Il a presque réussi, là ou d’autres ont échoué, à faire l’unanimité ou peu s’en faut contre lui : quelque chose comme le prix citron [1] des oiseaux. Un temps, il a même failli faire oublier le commensalisme quelque peu encombrant d’autres piscivores...
Une fois de plus, tout le monde ne peut avoir un regard identique, une même perception de l’oiseau, le poète, comme le naturaliste, comprendra le pêcheur. A distance de toute velléité provocatrice, sortons de son contexte cette phrase de Baudelaire :
Il est beaucoup plus commode de déclarer que tout est absolument laid (dans l’habit d’une époque), que de s’appliquer à en extraire la beauté mystérieuse qui y peut être contenue, si minime ou si légère qu’elle soit [2].
Et rapprochons-là, de ce regard porté par Victor Hugo, sans jumelles ni grief :
Sont-ce des cormorans qui plongent tour à tour,
et coupent l’eau, qui roule en perles sur leur aile ? [3].
Toutes les régions piscicoles européennes sont confrontées à l’expansion du Cormoran.
Il surprend tout le monde à la fin des années 80, lorsque des vols s’abattent par centaines sur les étangs, presque sans signe avant-coureur. Les bagues qu’ils portent nous indiqueront que plus de 80% proviennent de Scandinavie (Suède, Danemark, Finlande), d’autres arrivant d’aussi près que de Suisse ou d’aussi loin que de Sibérie.
De moins de 15000 en 1983, l’effectif hivernal national est passé à 80 000 individus à la fin des années 1990.
Au cours des années suivantes, c’est moins la sous-espèce littorale qui se distingue, que la sous-espèce continentale. Les effectifs nicheurs de la 1ère sont stables, limités à quelques départements côtiers, et régressent même au cours de la période 2003/2006. La 2nde subit une poussée exponentielle : apparue en 1981 à Grand-Lieu en Loire Atlantique, elle a colonisé le tiers des départements français, en près de cinquante colonies et 4097 couples en 2006, d’après Marion.
Son déclassement de la liste des espèces intégralement protégées a permis aux préfectures de plusieurs départements concernés par son impact sur les peuplements halieutiques de mettre en œuvre des mesures de régulation : par tir , par effarouchement. Dans l'Ain un Arrêté Préfectoral de mai 2010 définit désormais les conditions et modalités d'intervention sur les colonies reproductrices (exclusivement par des agents de l'ONCFS) afin de freiner la dynamique démographique des populations locales récemment sédentarisées.
Cette décision émane d'une réflexion collective dont l'objectif est de se reconcentrer sur les enjeux patrimoniaux et biodiversitaires de la région, dans l'esprit de l'application des directives environnementales.
Ce même collectif est conscient des limites de cette mesure, au vu d'une autre dynamique, toujours vive, celle des populations de cormorans nord-européens, qui pourraient continuer d'alimenter encore régulièrement les populations hivernales et printanières en Dombes.
Population actuelle : Le Grand cormoran se reproduit avec succès depuis 2007. Trois colonies totalisent entre 50 et 60 nids au printemps 2009.
Le Cygne tuberculé
Antithèse du cormoran, "infiniment plus gracieux", aussi blanc que l’autre est noir, aussi végétarien que l’autre est piscivore, il bénéficie de longs siècles d’une respectueuse considération, d’une culture manichéenne du symbolique, d’associations positives remontant à la mythologie et exprimées dans des domaines artistiques et spirituels.
Le blanc EST le bien.
Mais, aussi bien la rareté devient rapidement, à tort ou à raison, synonyme de beauté, autant sa contemporaine et soudaine abondance nuit désormais à sa quasi-biblique symbolique de pureté.
Le Cygne tuberculé Cygnus olor poursuit son bonhomme de chemin, colonisant sans hâte ni heurt étang après étang, d’une palme puissante, et sans réelle inquiétude :
...Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris ;
J’unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Le Cygne tuberculé est le plus lourd oiseau européen, un des plus lourds oiseaux volants. Lorsqu’une espèce aussi imposante se développe aussi vigoureusement, surtout après que d’autres l’eurent précédé, on commence de s’inquiéter.
Incidemment, on retiendra, à nouveau, le caractère toujours ressenti comme « soudain » d’une expansion...
La tentation de meubler les plans d’eau par sa présence, spectaculaire et permanente, son statut de protection, mais également la disponibilité de ressources alimentaires, souvent nouvelles et lui assurant un meilleur taux de survie hivernale, sont à l’origine de la fixation, puis de l’accroissement des populations reproductrices du Cygne tuberculé.
Le Cygne est responsable de dégâts aux cultures dans plusieurs régions de France. Ces dégâts sont avérés et mesurables.
En Dombes, les rassemblements d’oiseaux non reproducteurs au printemps, comme les grands groupes hivernaux, concernent saisonnièrement et annuellement une douzaine d’étangs, mais leur caractère spectaculaire retient évidemment toutes les attentions, alimentent la conversation depuis l’environ de la balance romaine et jusque sur la place publique : territorial, « il empêche l’installation des canes (cf. plus haut) », herbivore exigeant, « il détruirait les herbiers où se fixe le frai ».
Sauf exception, dans cette même région, le cygne se nourrit exclusivement en milieu aquatique. A raison de 3 à 4 kilos de nourriture végétale fraîche quotidienne, on ne peut écarter une possibilité d’impact sur les herbiers aquatiques – et donc le frai -et une concurrence avec le reste de la biocénose.
Quelle que soit la part - inchiffrable - de la reproduction spontanée des poissons dans les étangs de pêche réglée, la comptabilité piscicole considère presque uniquement le différentiel entre ce qui est « mis » et ce qui est pêché. L’alevinage et la croissance des alevins sont essentiellement assurés en bassins de moins d’1 hectare.
Or les études les plus récentes démontrent que le cygne délaisse les petits étangs : en 2009 on compte en moyenne 3 couples pour 100 étangs de moins de 5 hectares. Ces étangs représentent plus de 50% (env. 800 étangs) du parc dombiste.
Le cygne, comme le cormoran, fait partie de ces espèces dont la dynamique démographique posant problème, font évoluer la réglementation. Sur quelle base se fonder pour limiter l’expansion d’une espèce protégée par les textes ? Quels impacts leur imputer et comment les chiffrer ? Plusieurs départements ont édicté des mesures – des arrêtés préfectoraux -d’effarouchement, de régulation des pontes, voire des oiseaux adultes.
La population nationale comptait 400 à 500 couples en 1992. A la fin des années 90, au regard de l’évolution de la seule population nichant en Dombes, cet effectif est nettement dépassé.
Population actuelle :
Le 1er cas de nidification semble remonter à 1976 (Jean-Yves Fournier/ONCFS).
La population estivale totale avant éclosions est stable entre 2006 et 2009 : elle est estimée à un millier d’individus comprenant environ 200 couples et 500 à 600 immatures.
Cette population, augmentée de la production annuelle, serait assez fortement sédentaire du fait des disponibilités alimentaires hivernales sur place : reliquats des cultures d’assec sur les étangs). L’arrivée d’oiseaux exogènes (?) peut augmenter significativement le contingent hivernal, notamment en période de grands froids, pouvant le porter d’un effectif de 1200 ou 1300 individus (la population adulte, subadulte et les jeunes de l’année) à près de 2000 (hiver 2005/2006).
Toutefois, la population automnale s’est accrue annuellement de 17% de 1991 à 2009. (ONCFS)
- Prix décerné par la presse à la personnalité qui lui a réservé son accueil le plus désagréable ! [↩]
- BAUDELAIRE, Le peintre de la vie moderne, 1863, chap. IV [↩]
- V. HUGO, Les Orientales, 1829, X [↩]
- On appelle également le Cygne tuberculé "Cygne muet" [↩]
- BAUDELAIRE, extrait de « Les Fleurs du Mal : la Beauté » 1857 [↩]
L’oiseau et l’habitat rural
Chantant face à face sur les pignons opposés d’une même grange, un Rouge-queue noir et une Bergeronnette grise se doutent-ils qu’il fut un temps, tous deux se côtoyaient sur les bords des torrents, des rochers et des pâturages de montagne ? Progressivement, accompagnant l’homme et ses constructions, ils ont descendu les vallées, colonisé les plaines, adossant leur nid dans l’anfractuosité d’un pisé, sur une poutre, sous un toit. Leurs nouveaux lieux de vie, comme leur plumage couleur de roche, les relie encore.
La Bergeronnette grise devint la commensale des mouettes, poursuivant avec elles la charrue avec assiduité. Peut-être est-ce là, l’histoire de la « lavandière » des champs et des villes, des cours de ferme et des églises, des eaux vives et moins vives.
Le Rouge-queue noir ne s'éloigna pas des cheminées…
Tous deux appartiennent à cette catégorie faunistique, qui, à défaut de placer en l’homme leur confiance, a appris comment en profiter. La Tourterelle turque, les hirondelles, ou encore les chouettes – Effraie, mais également la Chouette hulotte, et la Chevêche d’Athéna - ont fait de même.
A dire vrai, nous aussi, en tirons avantage. Leur présence anime les frontons et les toits de nos villages. Parfois, aux soirs de fin d’été, avant leur départ vers le sud, les bergeronnettes exposent bruyamment leurs querelles de dortoir, papillonnant par dizaines dans l’éclairage public. Ces présences, rassurantes ont, ici et là, quelque peu pris le pas sur celle d’un Moineau domestique, moins inévitable qu’autrefois.
Stigmate d’une évolution inéluctable, le délabrement d’un bâtiment de ferme, témoigne de l’abandon de l’exploitation. Il expose douloureusement son pisé à une léprosité galopante vite exploitée par les Etourneaux et autres Moineaux.
Parfois une Huppe fasciée en mal de bocage et des multiples caches que recèlent ses troncs y trouve une cavité satisfaisante.
Là, une autre ferme, plus chanceuse, a été récemment restaurée : elle a retrouvé tout son cachet en perdant sa fonction première. Le patrimoine est sauf. Mais, après le départ des bestiaux, les hirondelles rustiques et celles des fenêtres ne trouvent que peu de raisons de s’attarder. Si elles restent, elles encourent le risque de rebâtir, encore et encore, avec l’abnégation d’un Sisyphe, les nids dont elles trouvent, inexplicablement, les ébauches fracassées gisant sur le sol.
La trop bruyante Effraie devient indésirable. Le Faucon crécerelle s’expatrie : finalement, le nid d’une Corneille lui conviendra. Rouge-queue noir, Bergeronnette grise et mésanges colorées s’y sentent encore chez eux.
Imperturbable dans son irrésistible conquête de l’Ouest, la Tourterelle turque se contentera sans complexe d’une poutrelle métallique au faîte d’une stabulation ou d’un hangar en tôles.
Les Busards
Nos espèces de busards vivent une mauvaise passe. La Dombes leur refuse dorénavant ce qui convenait autrefois aux trois espèces.
Directive Oiseaux.
Le Busard des roseaux
Un rapace sombre, arpente le sommet de la roselière d’un vol concentré, bascule une 1ère fois, une seconde, puis disparaît dans un creux de végétation. Il vient de saisir un Campagnol amphibie, à moins qu’il ne s’agisse d’une jeune foulque. Il achève sa proie sur un reposoir de végétaux pourrissants et s’élève à nouveau, serres crispées autour de ce qui constituera le repas d’un de ses jeunes.
Le Busard des roseaux Circus aruginosus est, ou en tout cas fut le Busard de la Dombes.
Il bénéficie d’une phase d’expansion dès les années 70 jusqu’à la fin des années 80. On y verra une relation avec le début de la protection légale des rapaces. On avancera plus tard l’amélioration de ses conditions d’hivernage au Sahel mais sans réel référentiel.
Suit une diminution significative des effectifs notamment depuis la fin des années 1990, sans doute liée à la régression de la roselière. La diminution de ses proies potentielles (Rat musqué, canetons et jeunes foulques) est sans doute un autre paramètre essentiel de ce phénomène. Il consomme de jeunes ragondins, mais la dynamique de cette espèce ne semble pas avoir eu d’effet positif sur celle du Busard des roseaux.
Population actuelle : migrateur partiel, essentiellement visiteur d'été en Dombes ; 15 à 20 couples au tournant des années 80 et 90, jusqu’à 50 au milieu des années 90. Sans doute pas plus de 20 couples en 2010.
Le Busard Saint-Martin
Chorégraphe aérien, chasseur méticuleux, comme les autres busards, il incarne l’élégance dans la plaine. Avril : à quelques mètres au-dessus d’un blé vert émeraude, sa silhouette pâle tranche sur le fond anthracite d’un ciel chargé de grêle à l’instar d’un goéland plaqué sur une mer noire. A l’appel du mâle chargé de sa proie, la femelle s’élève de la coupe forestière où elle a caché son aire terrestre…Très haut, le ballet aérien trouve une rapide apothéose lors du passage de la proie, d’une paire de serres à l’autre.
Le Busard Saint-Martin Circus cyaneus ne brille ni par une abondance ni par un dynamisme particuliers : sa population est sans doute du même ordre que celle du Busard des roseaux. Mais il semble avoir su déjouer la malédiction des récoltes qui broient sa couvée en nichant essentiellement – au sol, comme le Busard cendré – dans les jeunes coupes forestières rapidement envahies de ronces, de genêts ou de fougères et qui lui procurent la tranquillité requise.
Population actuelle : Tendance inconnue. Migrateur partiel. De l’ordre de 10 (à 20) couples sur la totalité du plateau dombiste ?
Le Busard cendré
Le Busard cendré Circus pygargus, comme le Bruant proyer est un oiseau des espaces ouverts, de la steppe, devenue « céréalière » à la suite de sa domestication….
Une grise silhouette de rapace, ailes en « V », va et vient, non loin du sol. Le vol est chaloupé, hésitant mais léger, ponctué de virages brusques et serrés, à toute fin de contrôle d’un détail qui lui aurait échappé. Sa recherche d’une outrecuidante forme de vie au fond des sillons ou entre les rangs des chaumes la captive tout entière. Sa prospection s’accélère. Puis un battement d’ailes surpris : une escadrille de vanneaux se lance, toutes sirènes chuintantes, à ses trousses. Comme si, lui, le chasseur, s’était retrouvé par le plus fortuit hasard, survolant cette terre prometteuse...
Avant l’arrivée des trublions, il savourait les sensations, les réminiscences du territoire de chasse de ses origines ou des lointaines savanes sahéliennes où il hiverne. Sa terre, pourrait-elle encore se tenir ici, à l’écart des étangs, dans cette marge céréalière du sud-ouest du plateau ?
Population actuelle : visiteur d'été. Un couple de Busards cendrés nichait encore dans l’ouest dombiste, à la fin des années 1990. Depuis, rien ?