Dombes, d’hommes et d’oiseaux La passion de la Dombes

10juin/11Off

De la haie…

Si toutefois Natura 2000 a défini ses priorités, dont la hiérarchisation est fonction d’une part des enjeux que représente le local dans la biodiversité nationale, et d’autre part de la masse budgétaire qui lui est allouée, alors, la haie n’en fait partie. Alors que dans l’application de la Directive Oiseaux, concrétisée sur le terrain par l’extension du périmètre Natura 2000, on s’attachera à réhabiliter la prairie, la haie, complément linéaire de la strate herbacée, et détentrice de plusieurs espèces animales inscrites dans ladite directive ainsi que dans la Directive habitats (Chiroptères [1], est ignorée.

Bresse et Dombes sont sœurs, au point que l’on ne sait pas toujours où commence l’une et où finit l’autre. Toutes deux ont leurs étangs, leurs haies, et il semble qu’on ne leur laissât point d’alternative : le bocage définirait le paysage de la première comme l’étang signe celui de la seconde. Le bocage bressan, ancré dans son paysage depuis le 17ème siècle, et bien qu’ayant… de beaux restes, a souffert encore dans un passé récent. Parlant de la Bresse, on se rendra sans doute bientôt compte qu’on aurait pu anticiper et se préoccuper également d’étudier le potentiel biologique de ses étangs, complémentaires de ceux de la Dombes, et réceptifs à une part de la faune de cette dernière et qui n’y trouverait plus sa place… Mais comme les étangs de Bresse, le « bocage » de Dombes ne suscite qu’insuffisamment d’intérêt, ne fait l’objet d’aucun monitoring. Et il s’altère dans une indifférence qui préoccupe au moins les environnementalistes.

La haie est pourtant omniprésente en Dombes. Celle-ci s’est faite discrète grâce à elle. C’est elle, avant les cultures, qui dissimulait les eaux, seulement perceptibles grâce aux voix sauvages qui en jaillissent. Le nord de la Dombes, plus orienté vers l’élevage, plus prairial, semble avoir mieux conservé son réseau bocager. Mais peut-on seulement parler de bocage ? Peut-être. Et encore, localement seulement on retrouve l’ambiance des chemins creux ombragés et des eaux miroitant à distance au travers des branchages. Élevage, pâtures, des haies pour clôtures…On reconnaît là l’histoire et les premiers rôles dévolus à la haie : séparatrice de parcelles, de propriétés, lieu d’affouage [2] réservé au fermier et de récolte de quelque bois d’œuvre. Au long de l’étang, le rideau d’arbres qui l’enchâsse, clôt la propriété, occulte jusqu’à son existence, en une quête réussie d’intimité.

Mais la haie, basse et buissonnante ou de haut jet, qui sépare les cultures et les pâtures, borde les fossés et les cours d’eau, retient les sols et limite les effets érosifs du vent ou du ruissellement, tamponne certaines pollutions, celle-ci mérite notre attention. A nos yeux elle rompt la monotonie des plaines. Pour la faune, elle crée un univers et en relie d’autres. Elle est relais ou port d’attache. Le saule têtard ou le vieux chêne recèlent en leurs creux aubiers le Pigeon colombin et la Hulotte Strix aluco. La Fouine y gîte comme la Noctule et le Vespertilion [3], en attendant l’heure ou l’ombre remplacera la lumière.

Traversant la prairie en un binôme gagnant, on y verra la Pie-grièche dominer l’épineux, Aubépine ou Epine noire, d’où elle plongera sur sa proie.

Dominée par le Chêne et quelque Frêne, la continentale Fauvette babillarde en laisse échapper son trille vif comme une cascade. Face au soleil, c’est la Fauvette grisette Sylvia communis qui prend le relais d’une courte strophe bondissante et aigrelette, accompagnée de la diatribe soutenue et déconcertante de l’Hypolaïs polyglotte Hypolais polyglotta.

Alors qu’elle est peut encore être considérée comme incompatible avec les modes de production céréalière plutôt adaptés aux grands parcellaires, et alors qu’aucun texte n’interdit de couper une haie, on assiste à des opérations de réhabilitation du bocage, essentiellement en Bresse. Pour exemples, d’une part la Communauté de Communes de Pont de Veyle, laquelle intègre quelques communes du nord-ouest Dombes, et d’autre part le syndicat mixte des Territoires de la Chalaronne, pour ce qui concerne l’aval de cette rivière – nous avons quitté la Dombes des étangs- sous l’impulsion du Contrat de rivière soutenu lui-même par un réseau de partenaires, [4], l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse et la Fédération Départementale de Pêche de l’Ain ont lancé un projet de replantation de haies.

Dans l’Ouest de la Dombes au contact de la rivière Formans, le Syndicat Intercommunal d’Aménagement Hydraulique de Trévoux et des environs (SIAH) appuyé par la Chambre d’Agriculture de l’Ain a prévu de replanter plusieurs kilomètres de haies doublées de bandes enherbées, après que des orages causèrent inondations et coulées de boue.((Brève de territoire, Chambre d’agriculture de l’Ain, n°5 nov. 2010))

Ces attentions sont louables mais sans doute encore loin d’être à la hauteur de la toujours actuelle valeur patrimoniale et paysagère de la haie. Lorsque l’une d’elles a disparu, et que d’aventure – au sens littéral du mot - on la replante, il lui faudra plusieurs décennies pour recouvrer la diversité de son peuplement. Cela prendra moins longtemps pour un arbre fruitier ou un saule que pour un chêne, pour qu’une cavité se creuse et accueille la Huppe fasciée Upupa epos et la Chevêche Athene noctua. Et encore moins longtemps si on ne la détruit pas.

Un grand chêne abattu

Le spectacle de ce grand chêne déraciné, quelles qu'en aient été les raisons, interpelle quant à l'interaction entre pratiques actuelles et maintien de la biodiversité.

Et ce songe était tel, que Booz vit un chêne

Qui, sorti de son ventre, allait jusqu’au ciel bleu ;

Une race y montait comme une longue chaîne ;

Un roi chantait en bas, en haut mourait un Dieu.

((V. Hugo, La Légende des Siècles, 1859, Première Série II))

Il nous faudra compter sur une information continue, sur une véritable stratégie de sensibilisation auprès des exploitants pour que ceux-ci, au moins sur des initiatives individuelles –c’est parfois le cas - commencent de considérer leurs haies sous un angle qui ne serait plus celui de la gêne.

Chevêche d'Athéna

Le peuple de la nuit : Chevêche d'Athéna...

... La Chouette hulotte

...La Chouette hulotte : le Chat-huant

Et pourtant, je ne puis (…)

Entretenir cette calme sagesse qu’il y a longtemps

Le grave maître athénien enseigna aux hommes

L’assurance de soi, la connaissance de soi, la tranquillité d’esprit

Pour voir passer la tête haute les vains fantasmes du monde.

Hélas ! Ce front serein, ces lèvres éloquentes,

Ces yeux qui furent le miroir de l’éternité,

Reposent dans leur propre Colone [5], une éclipse

A dissimulé la Sagesse, et Mnémosyne

N’a plus d’enfant ; et dans la nuit où elle avait prévu

Qu’il s’évaderait facilement, le hibou d’Athéna [6] lui-même s’égara. »

((Oscar Wilde, Humanitad, 1881))

La Pie-grièche écorcheur

Rapace parmi les passereaux, terreur des mille et une pattes, depuis l’araignée Thomise, caméléon à l’affut de l’abeille qui viendra butiner l’églantine, jusqu’au minuscule Rat des moissons dont l’œil s’allume à l’entrée de son nid d’herbe perché.

Pie-grièche écorcheur/mâle Pie-grièche écorcheur/femelle

Mi-faucon guettant sa proie depuis une clôture, le sommet d’une haie, ou un câble électrique qui longe la route secondaire, mi-gros moineau auquel elle emprunte parfois la voix, elle qui, en vraie Diane préfère le silence.

Elégante et sereine, telle est la Pie-grièche écorcheur Lanius collurio, petit seigneur des étés européens qui associe indéfectiblement la haie épineuse et les prés : la première protège sa progéniture, les derniers sont son terrain de chasse.

Un Campagnol a fait les frais de la chasse de ce mâle Pie-grièche, une chenille ceux de sa femelle

Ponctuant son territoire, sa signature annonce son régime alimentaire et règne par la peur sur ses sujets : un garde-manger aux allures de gibet. L’Epine noire et l’Aubépine, à moins que ce ne soit le croc d’un fil barbelé, se font planche à larder, exposant brochettes de Cétoine, de Sauterelle verte, ou encore bras de Campagnol agreste.

En Dombes, la Pie-grièche écorcheur est la plus régulière représentante de sa famille, sans jamais être abondante. On y croise bien occasionnellement quelque Pie-grièche à tête rousse Lanius senator, migratrice en escale, mais cela est bien rare. En hiver presque exclusivement, la Pie-grièche grise Lanius excubitor se substitue à l’écorcheur, préférant comme poste d’affût les câbles du téléphone aux branches d’aubépine.

La Pie-grièche écorcheur est, des oiseaux prairiaux, celui qui devrait s’en sortir le mieux : parce qu’elle ne niche pas au sol et n’est pas assujettie au rythme des fenaisons. Las, la haie n’a pas encore la totale faveur d’un monde agricole, en mutation certes, mais où, perdurent – nécessité ou besoin – des pratiques sans doute désormais révolues. La haie – doit-on encore parler de bocage – recule encore, pressée par une optimisation des temps et coûts de production, héritages du Grand Remembrement des années soixante, confrontée à une mécanique puissante vouée à de vastes parcellaires uniformisés.

Population :

Effectifs toujours sous-estimés du fait de sa discrétion (elle chante rarement) en l’absence de dénombrements spécifiques ; actuellement aucune estimation sérieuse des populations. D’assez commune dans les années soixante et soixante-dix, elle est devenue plus localisée, voire absente de communes dépourvues de bocage et de surface en herbe.  Très belle population en Val de Saône, certaines communes comptant de l’ordre d’une centaine de couples.

Directive oiseaux

La Huppe fasciée

La huppe s’anime d’un va et vient langoureux d’éventail. Dérangé dans sa quête d’un insecte terrestre, un grillon peut-être, l’oiseau semble courroucé. Comme contraint de s’élever du chemin creux d’un vol papillonnant. On entendra mais un peu plus tard son appel comme assourdi, lointain, une onomatopée quasi-parfaite qui lui a donné son nom scientifique (au passage, « Upupa » ne signifiant pas « huppe »!) : « houpoupou »…

La Huppe fasciée Upupa epops c’est une part d’exotisme dans notre ruralité, un visiteur d’été aux accents subsahariens transposé à nos frais bocages. Grande pourfendeuse de courtilières, alliée du jardinier et autre maraîcher sous nos latitudes, elle devient terreur des criquets et des sauterelles en Afrique, où l’hiver venu elle rejoint des sédentaires conspécifiques. Son nid, elle l’aménage dans un de ces arbres creux, pommiers de ce verger où elle le disputera peut-être à une Chevêche, plus surement encore à un Etourneau sansonnet, un trou dans le chêne de cette haie, dans une fissure du pisé d’un vieux mur de cette ferme.

On l’aura compris, son habitat est composé, varié, de lisières et de vieux arbres, de prés, de jardins et de friches. Tiens comme la Chevêche, ou peu s’en faut !

Commune avant 1960 [7], elle est donnée sur le déclin dès le milieu des années 1970. La tendance, qui ne tient pas qu’à la Dombes, ni à la région Rhône-Alpes, ne s’est pas inversée depuis [8].

Population

Quelques couples en Dombes où sa population décline. Elle est d’observation encore plus régulière en Val de Saône et en Bresse.

Huppe fasciée

Hypolaïs polyglotte

  1. Chauves-souris []
  2. Terme plus généralement appliqué à un droit de récolte du bois « à mette au feu », ou au foyer, dans les parcelles communales []
  3. chauves-souris []
  4. le Conseil Régional Rhône-Alpes, Le Conseil Général de l’Ain []
  5. Colone : bourg de l’Attique, patrie de Sophocle []
  6. Le nom complet de la chevêche est « Chevêche d’Athéna », la déesse dont elle est la compagne de tous les instants. []
  7. Meylan (1938) et Vaucher (1955) in Alain Bernard et Philippe Lebreton :2007, Les oiseaux de la Dombes : une mie à jour []
  8. Les oiseaux nicheurs rhônalpins, 1975, CORA []