Dombes, d’hommes et d’oiseaux La passion de la Dombes

23oct/10Off

En toute saison, ou presque : les inratables (les indéfectibles)

En tête de peloton

Qui se promène en Dombes, à pied, en bicyclette, ne manque jamais de jeter un œil de part et d’autre de la route, où il sait pouvoir trouver, toujours proche, la surface de l’étang. Car, que ce soit ou non la raison de son passage en cet endroit et en cette heure, il s’attend, tout naturellement, à une présence minimale de mouvement. Il guette la démonstration d’une parcelle de vie sauvage, qui justifie un tant soit peu tout ce qu’on raconte à propos de ce pays. Le néophyte n’est jamais déçu.

En Camargue, les Flamants roses, à eux seuls méritent un détour. Ils sont toujours au rendez-vous. Leurs longs vols dans le couchant ne déçoivent jamais.

Ne les cherchez pas en Dombes, leur présence n’est qu’accident. On ne peut tout avoir ni tout espérer. Quoique : un pélican frisé Pelecanus crispus, 3 mètres d’envergure, peut croiser votre ciel, ailes grandes déployées. Le Parc des oiseaux, proche, délivre avec une subtilité, dans ce cas précis différemment appréciée – le pélican a beau apporter sa touche d’exotisme, il n’en est pas moins un ardent consommateur de poisson - quelque message publicitaire…

En revanche, ils sont plusieurs, bénévoles réguliers, auxquels les offices du tourisme doivent une partie de leur fond de commerce. Ils ne comptent pas leur temps de présence. Ils assurent même le service des fins de semaine.

En toutes saisons ou peut s’en faut, ils tiennent permanence : le Colvert Anas platyrhynchos , pas toujours du meilleur cru et parfois bien trop confiant pour être honnêtement sauvage ; la Foulque macroule Fulica atra, caquetante et vindicative ; le Grèbe huppé Podiceps cristatus, démonstratif aux beaux jours et de piètre considération : l’élégance de sa parade nuptiale, parmi les plus démonstratives et les plus originales du petit monde des eaux, n’occulte pas sa réputation de consommateur invétéré de petits poissons. Au printemps, foulques et grèbes exposent sans pudeur leurs drames familiaux, depuis leur nid situé à quelques pas d’une route ou d’un chemin, aux yeux ravis de la famille en promenade qui ne manque pas l’occasion de leur comparer les siens !

Canards colverts

Foulque macroule

La danse nuptiale du Grèbe huppé

Reste le Héron cendré Ardea cinerea photogénique, depuis un bord de chemin, jusqu’à ce que la progression du promeneur ralentisse au point de s’arrêter : l’envol est la sanction immédiate à l’encontre de toute velléité photographique purement touristique. Maints jurons accompagnent cet envol très calculé, qui ramène le faux-fuyard à son point de départ. Le temps d’un orbe suffit à décourager le présomptueux photographe !

Héron cendré (photo montage)

Héron cendré

Le Cygne tuberculé Cygnus olor, d’une grâce flirtant avec la suffisance, accapare de nombreuses attentions. Sa présence ostentatoire escamote par ailleurs celle de nombreux voisins, de proportions modestes, et au comportement plus effacé.

Cygne tuberculé

Elle passe inaperçue et pourtant elle est là, constante, et elle sévit : c’est la Corneille noire Corvus corone, seule ou en couple. Elle a su s’intégrer parfaitement dans le paysage. Elle surveille les environs, à l’affût sur une branche sommitale dénudée. Son nid est proche. Ses jeunes ont beau être perpétuellement affamés, bec ouvert, ils ne profèrent aucun son. La corneille a réussi la gageure de se faire oublier, ignorer même ; on la sous-estime systématiquement alors qu’elle EST l’ennemi.

Corneille noire

Elle ne cause aucune déprédation sur la végétation, elle ne détériore pas les digues. Elle bénéficie de la débauche d’énergie que les piégeurs consacrent au ragondin. Elle se rit de la réputation du renard et des rapaces. Des apprentis ! Dans l’ombre des ces derniers, elle, agit. Son opiniâtreté n’a guère d’égale pour guetter une couvée, ou pour débusquer un nid lorsque la cane le quitte. Elle n’est satisfaite qu’une fois le forfait totalement consommé.

La Cigogne blanche Ciconia ciconia

Oiseau des prés humides, indissociable du Ried alsacien, quant à lui l’ombre de ce qu’il fut, que trouve-t-elle soudainement à la Dombes, devenue une des toutes premières régions de nidification du pays ? On ne l’y connaissait pas autrefois. Elle n’y livra jamais ses colis langés.

Cela n’a pas empêché cette grande dame de trouver sa place dans notre quotidien. Elle aussi pourrait aujourd’hui postuler chez les inratables. Elle est devenue indissociable de l’époque des fenaisons. Elle arpente les andains et les regains à peine abattus en quête de quelque repas facile, à la traîne des tracteurs et des barres de coupe.

Son statut présent suscite principalement des questions chez l’amateur de grenouilles : ces dernières ne se battent plus au fond de son sac en toile de jute. L’évolution du produit de sa pêche est inversement proportionnelle, lui semble-t-il, à celle des cigognes bien secondée par cet autre, le Héron garde-bœufs.

Le nombre des cigognes, se multiplie un peu partout en Europe depuis maintenant un quart de siècle, après de longues années de turpitudes et d’incertitudes.

Au parc des oiseaux de Villars les Dombes, un oiseau captif et esseulé eut un jour l’heur d’épingler un migrateur en mal de concubin. Partant de ce noyau, et sous l’impulsion du dynamisme qui anime encore actuellement la population européenne, la population locale, hésite d’abord à se développer. Elle finit par exploser dans la seconde moitié des années 90. Elle compte, à la veille de 2010, un effectif respectable compris entre 60 et 70 couples. L’essentiel a continué de se concentrer sur les volières du parc de Villars, où leurs parades font la joie de la direction autant que celle des visiteurs ! Mais qu’on ne s’y trompe pas : elles ne sont pas, elles ne sont plus « les cigognes du parc », ou des oiseaux lâchés, mais bien des oiseaux sauvages. Qui se sentent chez elles au parc.

Nombreux sont les pièges qui attendent ce somptueux et imposant oiseau au long de sa migration : lignes électriques en Europe, assèchement des mares relais sahélo-sahariennes, braconnage.

Voici à ce sujet, une anecdote ramenée d’un voyage professionnel dans le sud-est de la Mauritanie. Cela se passe en 2000 et l’établissement pour lequel je travaille m’avait envoyé dans ce pays afin de participer à l’organisation des dénombrements d’oiseaux d’eau, ceci dans le cadre d’une vaste opération étendue à plusieurs pays de l’Ouest africain.

La scène se passe dans le Hodh el Gharbi. Sur les bords d’une « tamourt» [1] où nous sommes censés trouver une importante concentration d’oiseaux hivernants paléarctiques ou afro-tropicaux, vient à passer un vieux nomade équipé d’un vieux fusil à chiens. Il indique à notre équipe qu’une centaine de cigognes blanches a pour habitude de venir s’alimenter sur le plan d’eau. Le technicien maure nous laisse à nos activités de dénombrements, et s’éloigne en compagnie du nomade.

Des branchages, amassés à proximité de l’eau, nous confirment que le lieu est chassé. Toutes les techniques d’affût sont semblables de part le monde. Nous nous en approchons avec vigilance. Nous savons que, sur plusieurs de ces mares éloignées les unes des autres, et séparées depuis des centaines d’années des voies d’inondation naturelles du fleuve Sénégal, qui serpente paresseusement à une cinquantaine de kilomètres plus au sud, survivent, incroyablement, des crocodiles.

Après plusieurs heures, le technicien revient, sans le nomade. Son sourire est massif et lumineux. Il lui a fallu longtemps palabrer, boire, cela sans effort particulier, au moins les trois tasses de thé vert, du plus mentholé au plus sirupeux, comme à l’usage. Mais maintenant, sa main peut ouvrir un sachet de peau d’où il extirpe des rondelles de couleur. Une hésitation, puis ce constat : il s’agit de bagues. Certaines sont métalliques estampillées de différents muséums et centrales ornithologiques de baguage européens ; d’autres sont de couleurs et censées permettre l’identification à distance de l’origine, du sexe et de l’âge des grands échassiers. Des bagues de cigognes.

Une certitude : la sécheresse n’était plus la seule responsable de la disparition de tant de nos oiseaux. Chasse de subsistance ou braconnage (la cigogne est protégée en Afrique également) ? Aucun jugement, mais l’aide à la compréhension d’un phénomène plus aigu qu’il n’y paraît : car il s’agit bien là de l’action d’un seul tireur, sur une seule station d’hivernage, sur un seul groupe d’oiseaux. Et pour quatre oiseaux bagués prélevés au cours de cette seule année, combien de non bagués ?

Braconnage de cigognes blanches dans l'Est mauritanien

L’information était sérieuse, la mort des oiseaux, regrettable. Peut-être servira-t-elle, un jour prochain, à d’autre fin que de satisfaire la curiosité intellectuelle des simples techniciens et scientifiques que nous sommes. Son obtention n’avait du coûter, en tout et pour tout, et bien que nous n’ayons jamais su le fin mot de la négociation, que quelques sachets de thé ou de sucre, ou de riz, ou d’un peu de tout cela ; peut-être quelques Ouguiyas – la monnaie locale.

Denrées toujours rares et coûteuses en cette contrée loin de tout.

Le soleil disparaissait derrière les acacias : ce fut un paisible moment, très commenté, autour de notre thé, cette fois. Comme nous, les cigognes étaient loin, en cet instant, des fraîches verdures de nos pays.

A chacune des missions qui m’ont mené par la suite dans ce pays, j’ai ramené des bagues de cigognes…

A l'autre extrémité de l'Afrique, dans l'univers minéral du Lac Nasser (Egypte)

En septembre 2007, nous localisâmes dans les Hodhs un passage dont on nous rapporta qu’il était régulier de plus de 2000 cigognes blanches.

"Et ce songe était tel, que Booz vit un chêne

Qui, sorti de son ventre, allait jusqu’au ciel bleu ;

Une race y montait comme une longue chaîne ;

Un roi chantait en bas, en haut mourait un Dieu."

V. Hugo, La Légende des Siècles, 1859, Première Série II

Population actuelle : 70 couples environ en 2009 avant naissances. Le passage en migration d’automne notamment peut concerner localement plusieurs centaines d’oiseaux.

Directive Oiseaux


  1. tamourt : nom donné à certaines zones humides du sud mauritanien []
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