Les chemins de la diversité biologique
La renommée de la Dombes a été longtemps supplantée par celle d’autres régions écologiquement comparables. Peut-être parce que certaines, comme la Brenne, sont dotées d’outils administratifs destinés à étayer l’économie et à compenser la déprise agricole, voire la désertion rurale. Deux phénomènes inconnus en Dombes.
La Dombes est une illustration de ce que le biologiste nomme symbiose, et l’économiste « développement durable ». De révélateur sinon de créateur d’un écosystème, le Dombiste en devenait le maillon fort et le plus indissociable : il y puisait son plus durable moyen de subsistance.
Entretemps, les zones humides furent rapidement sollicitées, rognées, drainées, asséchées. Et continuent de l’être. Leur disparition, en principe évitable, si l’on prend à temps conscience de leur valeur, entraîne chaque fois la perte de quelques onces de notre héritage biologique.
Buffon [1], précurseur des sciences naturalistes, le regard neuf et sans réserve, rendait hommage à l’ingéniosité de ses contemporains et de leurs prédécesseurs :
« Par son intelligence, les animaux ont été apprivoisés, subjugués, domptés, réduits à lui obéir à jamais ; par ses travaux, les marais ont été desséchés, les fleuves contenus, leurs cataractes effacées, les forêts éclaircies, les landes cultivées.... »
L’époque voulait que l’Homme fût le chef-d’œuvre de la Création, lequel, bien qu’il fût censé mieux en triompher en s’y soumettant, manquait déjà, d’un autre point de vue, singulièrement d’humilité !
Lamartine [2] tentera de comprendre par la suite les motivations à l’origine de cette volonté de soumettre, ou simplement, celle d’avancer, indispensable, inéluctable :
« Il fut un Eden sans culture ;
Mais il semble que la nature,
Cherchant à l’homme un aiguillon,
Ait enfoui pour lui sous terre
Sa destinée et son mystère
Cachés dans son premier sillon. »
La civilisation dans son ensemble allait bénéficier du travail de défrichement et de la mise en culture des terres. Parallèlement la biodiversité allait alors en s’accroissant.
Au 19ème siècle, le philosophe italien Leopardi [3]) constatant que les oiseaux bénéficiaient de l’action de l’homme sur le milieu écrivait :
"...ils ne sont sensibles qu'à ce qui est naturel. Or, en cette matière, la majeure partie de ce que nous appelons naturel ne l'est pas, et est bien plutôt artificiel (...)"
C’est vraisemblablement à un stade de richesse biologique rarement atteint auparavant que la Dombes parvient à l’aube de la seconde guerre mondiale.
L’artificielle union de la terre et de l’eau, du poisson et de l’oiseau, héritages d’ancêtres laborieux autant qu’ingénieux, dans l’adversité et la pauvreté, sont désormais considérés comme faisant partie du patrimoine commun.
La Dombes fait partie des dernières grandes zones humides à ne pas s’être dotées d’une structure à la fois juridique, administrative et économique, comme unParc Naturel Régional – 46 sites à travers a France ! La Camargue, la Brenne, la Brière, le Forez, les étangs de Lorraine, les Marais du Cotentin ont fait ce choix. La Dombes croule sous un mille-feuille mal ajusté de plans d’aménagements, de schémas directeurs divers, de contrats de développement, de programmes agro-environnementaux. Elle recherche encore l’outil fédérateur adapté à ses besoins : le maintien et la compétitivité des activités économiques et sociales en même temps que la préservation des équilibres « naturels » qui en découlent. Mais hésite à en rajouter ce qu'elle pense à tort ou à raison être une couche supplémentaire.
Les siècles passés se sont écoulés au rythme des mêmes dilemmes et contradictions : le poisson ou la vache, l’eau ou la culture, le chemin de fer ou l’isolement. Ici, le compromis EST l’Histoire. Et l’histoire, bien sur, se répètera.
Une région sous pression
La Dombes n’échappe pas à cette pression : les uns y verront une réponse à des impératifs économiques et sociaux, les autres des « risques de dérive ». La Dombes ne risque plus la désertification, ne craint plus aucun exode rural.
Lyon oppressant, le besoin d’espace individuel augmentant, les villages s’étendent, la campagne s’urbanise. L’accueil temporaire, le tourisme « vert », individuel ou familial, le simple besoin de se retourner vers des valeurs bucoliques, s’organisent, aidés par des structures touristiques fonctionnant sur le mode associatif (loi de 1901). Les anciennes voies communales sont réhabilitées progressivement afin de proposer un réseau de chemins de randonnée et de découverte. La consultation des propriétés traversées est ici incontournable : la Propriété privée oppose une résistance forte à l'ouverture de ses portes, qu'elle assujettit à l'assurance légitime qu'aucune atteinte ou nuisance ne sera portée ni au milieu, ni à la faune.
Corollaire de la démocratie, la matérialisation de la propriété privée se traduit par une fermeture des paysages (clôtures) et une occultation de l’étang.
On tente d’adapter et d’optimiser – d’accroître - l’appareil de production agricole et piscicole.
Les impondérables d’une époque vouée à une accélération permanente, éprouvent invariablement des difficultés à faire bon ménage avec la notion tout aussi actuelle du maintien de la qualité de vie.
La Dombes, fuie autrefois, sait malgré tout attirer grâce à un cadre paysager où il fait bon s’installer et vivre : ni marais glauques et insalubres, ni piscicultures bétonnées, mais étangs discrètement nichés au fond des bois de la Dombes orientale, ou généreusement offerts aux regards, s’étirant au creux des ondulations du plateau central...
Eaux libres ou foisonnantes, révélant souvent la sensibilité de celui qui en a la charge, ou du moins le rôle de l’étang au sein de la propriété ou de l’exploitation.
Le dombiste du XXIème siècle
Le dombiste de l’orée du 21ème siècle n’est plus celui qui, le premier, seigneur ou serf, a levé la chaussée d’un étang. Il lui doit ses racines mais il n’est plus simplement un rural. La nature est demeurée son outil, mais le hasard n’a plus sa place dans l’économie de la production et du marché agroalimentaires.
Longtemps, le paysan aura pu se qualifier de « premier écologiste ». Cela fut probablement le cas jusqu’au milieu du 20ème siècle. La profession reconnaît aujourd’hui la lourde conséquence sur l’environnement des politiques qu’elle a été amenée à pratiquer au cours du dernier demi-siècle écoulé.
L’induction économique de la chasse dans le système dombiste est importante. Elle est même souvent considérée comme étant prépondérante. Le chasseur se définit de ce fait comme le garant de l’écosystème. Reste que ne doit pas être éludée la nécessaire et continuelle adaptation de son prélèvement.
Par ailleurs, une néo-ruralité s’installe, fuyards urbains, citadins à la reconquête de leurs sources, découvreurs d’un week-end : la nature n’est plus seulement un objet de travail et de peine, elle doit produire du ludique et de la détente.
Une intégration des deux cultures, l’ancienne et la nouvelle, passe par une information réciproque et permanente, entre autre sur les enjeux concernant les milieux « naturels » et la faune : il est bien connu que l’on cherche au loin ce qui sommeille sous nos yeux, et nombre d’entre nous, grâce aux médias, sont plus préoccupés de la conservation des dauphins et de l’Eléphant d’Afrique – louables pensées, judicieuses actions - que de celles du Blongios nain et de la Guifette moustac totalement inconnus du grand public européen mais bien plus proches de lui. Sans tergiverser sur l’ordre des enjeux naturalistes globaux, il faut dire qu’il semble bien plus aisé, sinon plus rapidement rentable pour les médias de financer, de réaliser, de présenter des émissions consacrées à des espèces aussi spectaculaires qu’exotiques. Le cinéaste animalier qui doit officier en Europe, ou dans tout autre contexte industrialisé, est méritoire s’il veut sensibiliser l’opinion. Sa patience doit être infinie, vis-à-vis d’espèces craintives, cryptiques, jusqu’à l’insignifiance : Loup, Lynx et autres Ours, sont infiniment moins cabots que les lyons du Tsavo et les guépards du Serengeti. Ogres ou peluches, ils alimentent notre imaginaire dès l’enfance et ce depuis sans doute que la parole existe. Et s’ils retiennent l’attention aujourd’hui c’est parce qu’ils divisent ceux d’entre nous qui les vivent, et ceux qui les rêvent…
La Dombes n’a d’autre alternative que de s’ouvrir à l’accueil d’une population nouvelle, pour ne pas se « sologniser » : s’isoler des regards et se priver du partage.
Terroir, démographie, économie, culture, écologie : les enjeux sont suffisants pour générer la réflexion en cours–tardive – institutionnelle et populaire visant à la création d’un pôle destiné à conserver durablement leur caractère osmotique : vers un Parc Naturel Régional ?
L’entrée dans l’Europe
Revanche d’une histoire prodigue d’avatars, les « marécages » qui avaient valu sa sinistre réputation d’insalubrité retiennent de plus en plus d’attentions. Ce sera celles de l’Union Européenne au milieu des années 90, avec ses programmes environnementaux [4]. Ils insuffleront quelques deniers dans l’escarcelle du gestionnaire d’étang. Objectif : sensibiliser celui-ci aux différents moyens de concilier (ou de réconcilier) productions aviaires spontanée et piscicole.
Bien sur, ici comme ailleurs, les systèmes de subventions ont leurs détracteurs, soit parce qu’ils ne rémunèrent pas le véritable fruit d’un travail – un ressenti ancien [5], soit parce que le contribuable est sollicité.
Des expériences, passées au stade opérationnel, ont démontré qu’une rémunération aux résultats en termes de biodiversité était une alternative sur la voie de l’efficacité des programmes agro-environnementaux.
Et on ne peut s’empêcher de réfléchir aux moyens de remplacer le système des subventions, bien antérieur à la « PAC ».
La prime au secours de l’exploitant n’est pas un système récent. En 1862, le Conseil Général de l’Ain, adressait au gouvernement de Napoléon III une double requête visant d’une part l’aide à la construction d’une voie ferrée Bourg-en-Bresse-Lyon, et d’autre part l’obtention des primes nécessaires à la motivation des propriétaires de terrain concernés. L’assèchement de nombreux étangs eut une conséquence imprévue. Les primes avaient été en partie détournées à l’époque de leur objectif initial, la valorisation agricole des terres périphériques. La valeur du terrain chuta. Divers dérèglements d’ordre écologique suivirent, entre autres, des inondations causées par l’absence d’une « éponge régulatrice» de la circulation des eaux.
La loi Bérard, en 1901, utilise le même procédé pour remettre en eau une partie de ces étangs et on parle de « pompe à phynances ».
Un siècle plus tard, l’ex-principauté a atteint une dimension européenne, non sans exprimer ses réserves. Il lui semble a priori peu concevable qu’un système viable depuis plus de sept siècles, élaboré par des mains aussi âpres à repousser l’argile qu’à trier le poisson, par plusieurs dizaines de générations de paysans, de pêcheurs et de chasseurs, puisse nécessiter une quelconque ingérence pour aider à le préserver durablement.
On ressentirait même la nécessité du contraire !
- Les Époques de la Nature, 1778 [↩]
- Lamartine, Jocelyn : Les Laboureurs [↩]
- Giacomo LEOPARDI, philosophe italien. « L’éloge des oiseaux », d’où est tirée cette citation, est un extrait de ses « Petites œuvres morales » (1824 [↩]
- Action Communautaire pour la Nature (ACNAT 1994 et 1995), L'Instrument Financier pour l’Environnement « LIFE », 1996-1997 [↩]
- « …L’obstacle de l’argent qu’on a est quelquefois beaucoup plus difficile à franchir que l’obstacle de l’argent qu’on n’a pas. » Pr Daniel Faucher, 1956. Hommes et techniques, conférence Ligue Française de l’Enseignement [↩]