Dombes, d’hommes et d’oiseaux La passion de la Dombes

La culture de l’oiseau

L’oiseau : une des originalités de l’étang

En Dombes, les oiseaux, plus précisément ceux qui gravitent autour de l’étang, constituent l’originalité de la faune. (Les poissons, pour leur part, ne sont plus tout à fait ou plus du tout ( !) d'origine autochtone. Une telle assertion est évidemment le plus sur moyen de se faire vilipender par l’ensemble des  non-ornithologues.)

Une Directive européenne, la directive 79/409 du 2 avril 1979, leur est entièrement consacrée : la « Directive Oiseaux ». Qui enjoint les états membres de mettre en œuvre les politiques nécessaires à la conservation des espèces répertoriées par la non moins connue annexe 1 de cette même directive. En Dombes plus de 20 espèces sont concernées.

Une autre directive européenne, la Directive 92/43 « Habitat » liste également habitats, flore et faune patrimoniales prioritaires en terme de conservation.

Mais force est d’admettre que, parce qu’il est de loin le plus spectaculaire, qu’il est le révélateur le plus ostensible de l’équilibre de l’écosystème, l’oiseau monopolise les attentions.

Et ils sont nombreux, les oiseaux, à se retrouver en Dombes, nicheurs ou simplement de passage... Car, à mi-chemin du Rhin et du Rhône, de la Méditerranée et de la Mer du Nord, de la Sibérie et de l’Afrique, nous nous trouvons bien à un carrefour biogéographique et bioclimatique : influences méditerranéennes marquées au cœur de la belle saison, rudesse continentale l’hiver.

Villars les Dombes, avril 2006 : une des très rares mentions (3 au total) de la Sterne caspienne en Dombes. Sans doute sur le chemin du retour vers la Scandinavie

Un élégant Faucon Kobez lors de sa halte printanière : un migrant russe ou ukrainien ?

Le Canard siffleur est un hivernant régulier en Dombes : il niche depuis la Sibérie centrale jusqu'aux confins de l'Océan Arctique

Le Tarin des aulnes a quitté provisoirement les forêts de conifères du nord de l'Europe pour visiter nos étangs bordés d'aulnes l'automne venu

Ici, se rencontrent l’Echasse blanche, les non moins méridionaux Crabier chevelu et Héron garde-bœufs, les continentales Mésange boréale et Fauvette babillarde. Plus encore que le nombre total d’espèces déjà observées (les régions littorales, atlantiques notamment, en cela pulvérisent les records, recueillant par ailleurs les naufragés transocéaniques) c’est le nombre de celles qui ont fait choix de s’y reproduire régulièrement, qui retiennent l’attention, environ 150 !

Une perception moderne de l’oiseau

Notre rapport à l’oiseau n’en finit pas de changer. Tant que l’ignorance de son éthologie (comportement) fit appel à notre imaginaire, les légendes se multiplièrent et le mystère demeura inviolé. Ne croyait-on pas, au 18ème siècle, que les hirondelles hibernaient au fond des lacs et des étangs ?

Pendant longtemps, la seule manière d’entrer en contact avec l’oiseau fut la chasse. C’est ainsi que, pratiquement jusqu’au début du 20ème siècle, on tira les plus extravagantes assertions sur le comportement animal à partir de spécimens morts !

Les techniques d’approche, les télescopes et les jumelles, la photographie et le film, la recherche, avec notamment le baguage des migrateurs, ont levé une partie du voile.

Le baguage : une technique désormais classique et éprouvée pour étudier les déplacements et la dynamique démographique des oiseaux

Une mouette dont on sait qu'elle a partagé son temps entre le Forez proche où elle a été capturée, la Dombes...et l'Espagne !

Plus récemment, le système de repérage par satellite « Argos » fut adapté à des espèces pélagiques [1], comme les albatros, à des oiseaux migrateurs comme les cigognes (celles de Dombes ont pu être suivies grâce à cette technologie) ou les rapaces… Leurs déplacements sont contrôlés à des milliers de kilomètres depuis l’écran d’un ordinateur…

Chasseurs, ornithologues et chercheurs, se sont côtoyés avec plus ou moins de bonheur dans l’accès à la compréhension de l’oiseau, chacun par le biais de sa propre culture. Quoi que modestes encore, nos connaissances augmentent graduellement : nos besoins sont motivés par l’importance des enjeux qu’engendre la faune. Il ne s’agit pas uniquement de la connaissance de l’oiseau dans ce qu’il a de plus basique  et de plus ludique, l’identification de l’espèce, le « bird watching » ou le « birding » anglo-saxon. On traque les facteurs à l’origine de son expansion ou de sa régression. On tente, si besoin, de prévoir leurs conséquences et d’infléchir leur cours.

Une espèce animale, ou une communauté d’espèces (« un cortège »), peut servir « d’indicateur  biologique, alternativement baromètre, outil de mesure des pressions et contraintes sur l’environnement, et thermomètre, contrôlant en permanence les variations de température, symptomatique de la maladie tout autant que du réchauffement global !

Avec l’écologie, la reconnaissance collective de nouveaux concepts tels que « patrimoine » ou « biodiversité », trouve ses prolongements dans une autre terminologie comme « développement durable » ou encore « agriculture raisonnée ».

La biodiversité n’a d’autre alternative que de se vendre ou de s’acheter. Le « patrimonial » se négocie.

Grâce à elle, des chercheurs « cherchent », des professionnels de l’agriculture deviendront des professionnels de l’environnement.

Démythifié, l’oiseau devient un enjeu économique.

Une économie utile lorsqu'elle devient outil de sensibilisation, participant à des programmes internationaux de conservation, comme les parcs ornithologiques tels celui de Villars-les-Dombes et son exceptionnel spectacle d'oiseaux en vol.

Le Parc des Oiseaux à Villars... .

..Un tour du monde de la diversité ornithologique.

L’intérêt, administratif ou scientifique, qu’on porte à la faune en général dépend certes encore essentiellement de son incidence éventuelle sur l’outil de production (par exemple, en Dombes sur le rendement piscicole) ou de sa valeur cynégétique. Cette approche occulte encore partiellement, en tout cas ralentit la prise en compte par les politiques publiques notamment des espèces en régression.

La nature de l’inquiétude change selon que l’on est naturaliste ou que l’on vit du produit de la terre. Néanmoins, chacun, partage à des degrés divers, les préoccupations de l’autre. La diminution d’une espèce mène vers l’irréparable biologique, la disparition d’un bien commun. L’augmentation d’une autre est, en principe, un épisode provisoire qui gêne notre propre dynamique à court terme.

C’est même a priori que l’on appréhende le phénomène des expansions animales. L’inconnu indispose. La concurrence décourage : elle apparait comme déloyale car il est difficile de revenir sur les textes réglementant la protection d’espèces déprédatrices. D’un autre coté, la longue indifférence envers une faune et une flore menacée du fait de leur manque d’utilité économique peut être considérée comme l’étant tout autant…

A propos des piscivores

Qui, en Dombes parle de poisson, ce qui ne représente pas une frange de la population, ne peut ignorer ce qu’est, plutôt, ce que représente un oiseau piscivore.

Le panot [2] ou le filaton [3] ont bien d’autres ennemis que les restaurateurs régionaux !

Pour le pisciculteur, les hérons (terme générique concernant en réalité sept espèces), le Grèbe huppé, et surtout, depuis la fin des années 80, le Grand cormoran, sont des sujets permanents de préoccupation, parfois d’angoisse. A eux seuls ils constituent désormais des pierres d’achoppement sur lesquelles butent en permanence partenaires sociaux et administrations dans leur avancée vers la conservation de l’écosystème.

Progressivement, nous l’avons écrit précédemment, la société rurale dombiste se modifie, l’étang se « démocratise ». Accéder à la propriété d’un étang, c’est afficher une certaine réussite professionnelle, c’est aussi affirmer son identité en tant que vrai Dombiste ; ainsi que l’a écrit Vanessa Manceron dans son livre « Une terre en partage » [4].

Le patrimoine éclate au fur et à mesure des successions, l’étang intègre l’exploitation agricole à l’instar d’une nouvelle parcelle. Une des conséquences de ce processus, se traduit par une recherche de régularisation du revenu de l’étang. Pour autant, il n’y avait pas eu, jusqu’à la fin des années 1980, de changement fondamental des pratiques piscicoles.

Les lois sur la protection de la Nature datent du milieu  des années soixante-dix. Dictés par l’urgence, les textes fixant la liste des espèces chassables et, surtout, celle des espèces protégées ont eu des prolongements que l’on ne pouvait que difficilement prévoir. Un quart de siècle plus tard, en effet, des espèces autrefois au bord de l’extinction ont reconstitué leurs effectifs, au-delà, semble-t-il, de l’économiquement, et même de l’écologiquement supportable.

L’impact de certains oiseaux piscivores, en contribuant à rendre plus aléatoire encore qu’autrefois le revenu de la production piscicole, s’avère susceptible de remettre en question l’avenir même de l’étang. A terme, c’est l’ensemble de la communauté avienne qui en pâtirait.

Avant de produire des oiseaux, l’étang est historiquement conçu pour produire du poisson : est-ce là une assertion si invraisemblable ? Il est vraisemblable qu’une certaine diversité animale et floristique puisse également se contenter d’étangs non exploités.

Mais la Dombes peut se montrer prodigue des deux, grâce au binôme gagnant pisciculture extensive et chasse. Ensemble, elles évitent un temps encore la tentation souvent grande d’assécher l’étang, répondant encore et jusqu’à nouvel ordre à l’appel des sirènes de la Politique Agricole Commune, autre garante du maintien du revenu de l’exploitation.

A l’inverse, d’une chasse pluri-centenaire garante du milieu, en un pas vite franchi, on pourrait bien voir fleurir une « chasse-cueillette » improductive par définition, favorisée par l’abandon de l’empoissonnement.

Un exemple d’évolution des pratiques piscicoles en Dombes

Des modifications sont apportées dans les stratégies de pêche et d’empoissonnement en une réponse des pisciculteurs à la présence récente du Grand Cormoran dans la région.

Jusque vers la fin des années 1980, les pêches s’étalaient d’octobre à mars. n principe, l’étang situé le plus bas sur la « chaîne » était pêché le premier. Ensuite, il recevait l'eau des étangs situés plus haut au fur et à mesure de leurs vidanges. La pluviométrie de novembre à avril, suffisait à remplir à nouveau les étangs vidés. L'empoissonnement était remis juste « derrière le filet ».

Actuellement, on prévient l'arrivée massive du Grand cormoran du début novembre en concentrant les vidanges sur une courte période. Un important volume d'eau rejoint les fossés et les rivières.

Après cela, une pluviométrie normale suffit difficilement à remplir à nouveau les étangs, encore plus si l’hiver est particulièrement sec. Le comblement (ou colmatage) de l’étang, par une accélération de la croissance végétale, entraîne l’élévation des coûts d’entretien.

Au contraire, les années de forte pluviométrie, on tient à conserver un maximum d’eau au long de la saison estivale. Dans les cas extrêmes (2007, 2008) la roselière perpétuellement inondée se fragilise, meurt, avec, désormais un impact augmenté et décisif du Ragondin.

Que ce soit à la saison automnale des pêches ou lors des empoissonnements au sortir de l'hiver, les étangs résonnent des détonations des canons à gaz ("tonne-fort") censés effaroucher les cormorans, générant des conflits entre les activités piscicole et cynégétique.

L’alevinage et l’élevage du poisson se fait de plus en plus fréquemment à partir de bassins, toujours pour prévenir l’impact des oiseaux piscivores. La taille de l’empoissonnement dans l’étang de pêche réglée augmente (moins de feuilles, plus de panots, ou panots plus gros par exemple), et est si possible effectuée après le gros du départ printanier des cormorans…

Chasse et réserves de chasse

La Dombes est réputée pour être terre de chasse. On en a oublié parfois sa vocation de terroir piscicole.

La culture de l’oiseau existe pourtant bien en Dombes, chronologiquement cynégétique avant de devenir naturaliste. Encore peut-on estimer que ces deux cultures sont plus proches qu’elles ne le paraissent…Et qu’elles ne veulent l’admettre mutuellement.

L’Oiseau est consacré, bien avant que la Dombes soit pleinement reconnue en tant que zone humide majeure. Charles Vaucher, à l’origine de l’ornithologie dombiste contemporaine, publie en 1953 « Les oiseaux du marais ». L’ouvrage décrivait les particularismes naturalistes et patrimoniaux. Il en est résulté une prise de conscience locale.

Le « Parc des oiseaux »  ouvre ses portes en 1970 à Villars les Dombes. Simultanément, on délimite la première réserve de chasse, laquelle dépend, encore aujourd’hui, de la même régie départementale que le Parc.

La levée de boucliers est immédiate. La réaction s’étend aux propriétaires autant qu’aux non-propriétaires. Tous protestent fermement contre la création de cette réserve qui doit réduire la pression de chasse. Trente années plus tard, plus personne ou presque ne se pose la question de son utilité.

Depuis, d’autres espaces de tranquillité ont été aménagés, à l’initiative de l’Etat, des collectivités locales, d’associations et de partenaires privés.

Les espaces acquis intègrent désormais une notion environnementale implicite : d’éphémère, leur utilité s’inscrit sur la durée, sur l’accueil inter-saisonnier et interannuel des oiseaux, dans le respect des traditions locales souvent les mieux adaptées à la conservation de l’écosystème. Ils sont le théâtre privilégié d’expérimentations. La gestion des formations végétales est privilégiée. Une approche identique implique lorsque cela s’avère possible la gestion agricole des terres périphériques.

Ainsi : la réserve départementale de Villars les Dombes (6 étangs), les étangs de la Fondation Pierre Vérots à Saint Jean de Thurigneux (4 étangs), ceux de la Fondation Nationale pour la Protection des Habitats (4 étangs) et l’étang du Chapelier à Versailleux, confiés aux soins de la Fédération Départementale des Chasseurs de l’Ain [5].

Le Grand Birieux, historiquement le plus grand étang de Dombes, géré par l’ONCFS [6], n'a pas le statut de réserve.

La Dombes consacre donc moins de 2% de ses étangs et de sa surface toujours en eau à la tranquillité de ses oiseaux, alors que le Domaine Public Fluvial (DPF) en consent 30% et le domaine public maritime (DPM) environ 15%.

L’étang bénéficie d’une telle considération patrimoniale et cynégétique et ce malgré l’incertitude du rendement piscicole, que son acquisition se négocie sur une base supérieure à 10 000 Euros l’hectare – sensiblement plus que le terrain agricole !

Les réserves sont diversement ressenties. Retiennent-elles, ou protègent-elles le gibier ? Favorisent-elles le prélèvement des canards à la passée, ou au contraire le limitent-elles ? A l’évidence, elles contribuent à l’équilibre physiologique des oiseaux. Elles leur permettent de reconstituer leurs ressources énergétiques, notamment les graisses au moment des grands froids.

Quoiqu’il en soit peu de structures, qu’il s’agisse des collectivités territoriales ou de l’Etat ont désormais les moyens d’acquérir de nouveaux étangs en vue d’en faire des réserves. Quitte à mobiliser des moyens, les politiques publiques s’orienteront de préférence vers un projet d’unité territoriale.



  1. Pélagique : qui n’a de lien avec le sol qu’au moment de la reproduction ; oiseaux marins surtout []
  2. Jeune Carpe []
  3. Jeune Brochet []
  4. Vanessa Manceron (2005).Une terre en partage, liens et rivalités dans une société rurale. Ed. De la Maison de la science de l’homme, collection Ethnologie de la France, Paris. 256p : []
  5. Acquisition collégiale de nombreux partenaires dont le Conseil Régional, le Conseil Général de l’Ain, chasseurs et partenaires privés. []
  6. ONCFS : Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage []