Dombes, d’hommes et d’oiseaux La passion de la Dombes

20déc/10Off

S’il faut conclure

A sa façon, l’insondable histoire de l’évolution se répète donc au creux du pays de Dombes.

L’oiseau, comme la Vouivre tour à tour vénéneuse et enchanteresse, surgit de l’eau. De la Vouivre, il tient du reptile et cache son jeu. Seules ses pattes encore écailleuses trahissent sa maternité sulfureuse, mais il n’en a cure : courtes, il les tiendra sous l’eau, hautes, il les enduira de vase : en séchant la craquelure deviendra sa vraie nature…

"...Ses pattes encore écailleuses..."

"...La craquelure deviendra sa vraie nature..."

Il s’élève dans l’éther, abandonnant à son destin d’animal de ferme le « bec" [1] et le « panot »

La genèse de l’oiseau est, ici plus qu’ailleurs, l’histoire même de l’étang et du premier homme, sans pomme ni frusque, qui l’a modelé, si longtemps après les temps bibliques, et si loin de nous aussi.

Donc, l’oiseau serait d’argile.

D’une terre qui aurait échappé aux gestes d’amour de son créateur.

Comme elle, il s’épanouit en une foison inimaginable de masques aux couleurs du temps, de la forêt, de l’eau, de la terre et du feu.

Comme elle, il est fragile : une fois la vie l’ayant animé, son créateur craint de devoir n’y plus toucher par peur de rompre l’heureux enchantement.

Comme elle, encore fluide, glissant entre les doigts, il est alors impalpable, sauvage, rebelle.

Le sculpteur prend la mesure de sa responsabilité.

Il doit sans cesse composer avec ses enfants à l’adolescence des plus turbulentes. Il doit parfois affirmer son autorité auprès des plus rebelles ; il doit protéger de tous les ogres, le plus insignifiant de ses rejetons.

"...Le plus insignifiant de ses rejetons..."

Il sait qu’il ne doit pas les entraîner tous, sans distinction, sur le dédale de la plus obscure forêt : pour un seul d’entre eux, il ne peut se permettre, il n’en a plus le droit, de tous les perdre.

Les grands chantiers environnementaux en cours sont une opportunité pour la Dombes de conserver ce qui peut encore l’être, de retrouver ce qui n’y trouvait plus sa place, en tout cas ce qui la trouve péniblement ailleurs. Ils instaurent un dialogue, ou en restaurent l’habitude là où elle s’était quelque peu perdue.

Aujourd’hui 13 juin 2010 – mais chaque jour a un air de printemps - la Dombes est belle. Comme elle devrait toujours l’être. Une jonchaie à gauche, une vasière à droite de la chaussée qui sépare deux étangs.

"...Une vasière, un Tadorne de Belon..."

Sur la vasière, des échasses au nid, des vanneaux avec leurs poussins, qu’harcèle un couple de corneilles, inévitable. Quelques chevaliers, un Tadorne de Belon et une Spatule blanche. Nouvelle venue dans l’arche.

Un Héron cendré fait face à un autre, pourpré ; tous deux figés dans l’affût. Un Bihoreau passe en croassant. Une petite bande de guifettes passe, qu’annonce une série de cris brefs.

Une bande de guifettes...

Un chêne renvoie le chant de trois fauvettes, qui se répondent, compétiteurs sans animosité : celui de la bocagère Fauvette babillarde, celui de la forestière Fauvette à tête noire, celui, aigrelet, de la Fauvette grisette, oiseau des plaines buissonnantes.

La Dombes est ainsi, multiple.

Une Hypolaïs leur répond depuis le flanc ensoleillé d’une haie proche : il apporte une touche presque méditerranéenne à cet entrelacs sonore.

"...Une Hypolaïs leur répond..."

De la jonchaie, s’élèvent successivement l’appel strident et colérique du Râle d’eau, puis le roucoulement mélancolique d’une Poule d’eau.

Poule d'eau

Le petit peuple chante à tout crin depuis les saules : Bruant des roseaux, Phragmite des joncs et locustelles… Une dizaine de mâles milouins énamourés poursuivent une femelle, séparant au passage un couple de nettes rousses, indifférent.

La roselière, et ses voix, et ses senteurs, manquent au décor.

"...La roselière manque au décor..."

Qu’à cela ne tienne, allons les trouver !

La Dombes est belle. Elle montre ce qu’elle a de plus précieux. Elle donne le change dans un élan d’espoir matinal.

Elle sait surprendre, encore, par sa variété, sa munificence, sa générosité.

Partageons le rêve d’Alembert [2], et faisons en sorte, qu’au réveil, ce rêve continue :

Le prodige, c’est la vie, c’est la sensibilité ; et ce prodige n’en est plus un...Lorsque j’ai vu la matière inerte passer à l’état sensible, rien ne doit plus m’étonner. Quelle comparaison d’un petit nombre d’éléments mis en fermentation dans le creux de ma main, et de ce réservoir immense d’éléments divers épars dans les entrailles de la terre, à sa surface, au sein des mers, dans le vague des airs !




  1. Le « bec » est l’appellation locale du brochet, le « panot » celle de la jeune carpe []
  2. DIDEROT, le rêve d’Alembert, 1769 []