Dombes, d’hommes et d’oiseaux La passion de la Dombes

20déc/10Off

Plantes invasives : La menace de la Jussie à grandes fleurs

La Jussie

En 1996, on découvrait dans le nord de la Dombes un étang recouvert dans sa totalité d’une formation végétale inconnue ici à l’état spontané. L’étang au premier regard, est paré d’une magnificence rare, totalement, densément fleuri, de fleurs entièrement jaune d’or, d’un feuillage d’un vert ciré, émeraude : il ne s'agissait ni du Rorippe aquatique Rorippa amphibia, ni de la Villarsie faux-nénuphar Nymphoides peltata, tous deux capables de s’étendre en de très vastes formations. Mais…

fleur de Jussie

Jussie, jolie fleur mais attention : fléau

On déchante très rapidement lorsque, identifiée, la plante se révèle être la Jussie à grandes fleurs Jussia grandiflora.

La Jussie est alors rapidement localisée sur quelques rares mares et plans d’eau privés, la plupart ne semblant pas connectés au réseau hydrographique principal. En 1997, elle décore un plan d’eau d’un établissement scolaire en centre Dombes, et un bassin privé du sud-est. En 2008, les bassins d’exposition d’une entreprise horticole du nord-ouest de la Dombes en sont envahis.

Un plan d'eau où on a introduit la jussie pour ses qualités décoratives

En Dombes , cela a peut-être commencé ainsi : par l'introduction de la Jussie pour ses qualités décoratives

On la connaît dans bien d’autres régions de France, depuis les marais et canaux méditerranéens jusque dans l’ouest et le centre de la France. Des dizaines d’étangs brennous sont étouffés par la densité de son emprise et son dynamisme racinaire. Sa prédominance sur les autres espèces est telle qu’elle envahit les milieux aquatiques, ne laissant aucune chance à la diversité végétale autochtone.

Le combat qui est mené dans ces régions inquiète la Dombes qui craint sa prolifération.

Celle-ci, étonnamment, mais heureusement, tarde.

Il faut attendre 2006 pour qu’un second étang dombiste soit contaminé. Il n’est pas situé sur une même ligne d’écoulement des eaux que le premier mais se révèle appartenir au même propriétaire. La lutte commence, alerte donnée conjointement par les services de l’état (l'ONCFS et le syndicat des exploitants d’étangs).

En 2008, un troisième grand étang, situé à 20 kilomètres plus au sud est touché par la peste végétale, alors que jusqu’ici essentiellement des petits plans d’eau étaient concernés. Depuis, plusieurs étangs ont été "contaminés".

Sur la Veyle, une des rivières principales qui traverse la Dombes du Sud vers le Nord-ouest pour se jeter dans la Saône, le syndicat mixte chargé du Contrat Rivière, lance une campagne d’arrachage. Car il n’y a pas d’autre moyen efficace connu actuellement de lutter contre cette plante invasive et qui menace les écosystèmes aquatiques :

Originaire du Brésil, la Jussie a été introduite dans notre pays au début du 19ème siècle afin d’agrémenter le Jardin des Plantes de Montpellier. De là, elle s’acclimata dans le sud de la France, avant de se disperser dans de nombreux pays européens.

Un arrêté du 2 mai 2007 du ministère de l'Agriculture et de la pêche interdit sur tout le territoire métropolitain, le colportage, la mise en vente, la vente, l'achat, l'utilisation ainsi que l'introduction dans le milieu naturel, volontaire, par négligence ou par imprudence de deux espèces de Jussie, Ludwigia peploides et Jussia grandiflora.

Etang envahi par la Jussie

Un étang envahi par la Jussie : elle a remplacé toute autre composante végétale autochtone

On comprend mieux le problème que constitue la Jussie, une fois que l'étang est vidangé

Une espèce appartenant à la même famille est au contraire protégée au niveau régional : il s’agit de la Ludwigie des marais Ludwigia palustris assez commune sur les étangs.

Ludwigie des marais

La Ludwigie des marais : occasionnellement, temporairement, lors de basses eaux, elle peut s'étendre sur un étang. Elle ne constitue pas un danger écologique pour la vie de l'étang

Ludwigie des marais

La fleur de la Ludwigie des marais est, à l'inverse de celle de la Jussie, minuscule, discrète et verte

La Jussie constitue une réelle menace pour l'ensemble de l'écosystème.

La Renouée du Japon

Toutefois de nombreux végétaux allochtones sont susceptibles de se révéler envahissants et de constituer un danger pour la biodiversité indigène. La Renouée du Japon Fallopia japonica est de ceux-ci. Elle est également présente en Dombes. Elle a essentiellement colonisé de nombreuses rivières du pays dont elle a étouffé la végétation rivulaire. L’Ain n’y échappe pas. Petite rivière de l’ouest du plateau, le Formans non plus. L'Association de Gestion et de Suivi Environnemental du bassin du Formans (AGESEF) a pris ce problème à bras le corps.

Feuilles et tiges florales de Renouée du Japon

La Renouée du Japon peut former de grands buissons dont il est difficile de se débarrasser

Si vous avez connaissance de la colonisation d'un terrain par ces végétaux, renseignez-vous sur les moyens de les éradiquer auprès des services compétents de l'Agriculture et de l'Environnement.

20déc/10Off

« Indésirables »

Le Grand Cormoran

Faux air de rapace ou allure cornélienne – référence faite à l’oiseau, pas au dramaturge, quoique… – cri discordant, sombre, apparemment (seulement) monochrome et terne, jusqu’à l’odeur, âcre. Le Mal en somme, ou bien le turbulent rejeton d’Odin et de Vouivre ?

En Dombes, avant tout et avant tous les autres le Grand cormoran Phalacrocorax carbo est l’oiseau de mauvais augure. Il a presque réussi, là ou d’autres ont échoué, à faire l’unanimité ou peu s’en faut contre lui : quelque chose comme le prix citron [1] des oiseaux. Un temps, il a même failli faire oublier le commensalisme quelque peu encombrant d’autres piscivores...

Une fois de plus, tout le monde ne peut avoir un regard identique, une même perception de l’oiseau, le poète, comme le naturaliste, comprendra le pêcheur. A distance de toute velléité provocatrice, sortons de son contexte cette phrase de Baudelaire :

Il est beaucoup plus commode de déclarer que tout est absolument laid (dans l’habit d’une époque), que de s’appliquer à en extraire la beauté mystérieuse qui y peut être contenue, si minime ou si légère qu’elle soit [2].

Et rapprochons-là, de ce regard porté par Victor Hugo, sans jumelles ni grief :

Sont-ce des cormorans qui plongent tour à tour,

et coupent l’eau, qui roule en perles sur leur aile ? [3].

Toutes les régions piscicoles européennes sont confrontées à l’expansion du Cormoran.

Il surprend tout le monde à la fin des années 80, lorsque des vols s’abattent par centaines sur les étangs, presque sans signe avant-coureur. Les bagues qu’ils portent nous indiqueront que plus de 80% proviennent de Scandinavie (Suède, Danemark, Finlande), d’autres arrivant d’aussi près que de Suisse ou d’aussi loin que de Sibérie.

De moins de 15000 en 1983, l’effectif hivernal national est passé à 80 000 individus à la fin des années 1990.

Au cours des années suivantes, c’est moins la sous-espèce littorale qui se distingue, que la sous-espèce continentale. Les effectifs nicheurs de la 1ère sont stables, limités à quelques départements côtiers, et régressent même au cours de la période 2003/2006. La 2nde subit une poussée exponentielle : apparue en 1981 à Grand-Lieu en Loire Atlantique, elle a colonisé le tiers des départements français, en près de cinquante colonies et 4097 couples en 2006, d’après Marion.

Son déclassement de la liste des espèces intégralement protégées a permis aux préfectures de plusieurs départements concernés par son impact sur les peuplements halieutiques de mettre en œuvre des mesures de régulation : par tir , par effarouchement. Dans l'Ain un Arrêté Préfectoral de mai 2010 définit désormais les conditions et modalités d'intervention sur les colonies reproductrices (exclusivement par des agents de l'ONCFS) afin de freiner la dynamique démographique des populations locales récemment sédentarisées.

Cette décision émane d'une réflexion collective dont l'objectif est de se reconcentrer sur les enjeux patrimoniaux et biodiversitaires de la région, dans l'esprit de l'application des directives environnementales.

L'origine des oiseaux bagués observés en Dombes...

...témoigne de la dynamique démographique continue des populations du Nord de l'Europe

Ce même collectif est conscient des limites de cette mesure, au vu d'une autre dynamique, toujours vive, celle des populations de cormorans nord-européens, qui pourraient continuer d'alimenter encore régulièrement les populations hivernales et printanières en Dombes.

Population actuelle : Le Grand cormoran se reproduit avec succès depuis 2007. Trois colonies totalisent entre 50 et 60 nids au printemps 2009.

Le Cygne tuberculé

Antithèse du cormoran, "infiniment plus gracieux", aussi blanc que l’autre est noir, aussi végétarien que l’autre est piscivore, il bénéficie de longs siècles d’une respectueuse considération, d’une culture manichéenne du symbolique, d’associations positives remontant à la mythologie et exprimées dans des domaines artistiques et spirituels.

Le blanc EST le bien.

Mais, aussi bien la rareté devient rapidement, à tort ou à raison, synonyme de beauté, autant sa contemporaine et soudaine abondance nuit désormais à sa quasi-biblique symbolique de pureté.

Le Cygne tuberculé Cygnus olor poursuit son bonhomme de chemin, colonisant sans hâte ni heurt étang après étang, d’une palme puissante, et sans réelle inquiétude :

...Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris ;

J’unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;

Je hais le mouvement qui déplace les lignes,

Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris [4] [5].

Le Cygne tuberculé est le plus lourd oiseau européen, un des plus lourds oiseaux volants. Lorsqu’une espèce aussi imposante se développe aussi vigoureusement, surtout après que d’autres l’eurent précédé, on commence de s’inquiéter.

Incidemment, on retiendra, à nouveau, le caractère toujours ressenti comme « soudain » d’une expansion...

La tentation de meubler les plans d’eau par sa présence, spectaculaire et permanente, son statut de protection, mais également la disponibilité de ressources alimentaires, souvent nouvelles et lui assurant un meilleur taux de survie hivernale, sont à l’origine de la fixation, puis de l’accroissement des populations reproductrices du Cygne tuberculé.

...Une considération collective positive, un attrait indéniable pour un oiseau "accessible" au plus grand public

Le Cygne est responsable de dégâts aux cultures dans plusieurs régions de France. Ces dégâts sont avérés et mesurables.

En Dombes, les rassemblements d’oiseaux non reproducteurs au printemps, comme les grands groupes hivernaux, concernent saisonnièrement et annuellement une douzaine d’étangs, mais leur caractère spectaculaire retient évidemment toutes les attentions, alimentent la conversation depuis l’environ de la balance romaine et jusque sur la place publique : territorial, « il empêche l’installation des canes (cf. plus haut) », herbivore exigeant, « il détruirait les herbiers où se fixe le frai ».

Des rassemblements importants en hiver ; quel rôle envers les autres oiseaux hivernants : compétition ?

...ou commensalisme ?

Au démarrage de la végétation aquatique, un vraisemblable impact local, pour le moins.

Sauf exception, dans cette même région, le cygne se nourrit exclusivement en milieu aquatique. A raison de 3 à 4 kilos de nourriture végétale fraîche quotidienne, on ne peut écarter une possibilité d’impact sur les herbiers aquatiques – et donc le frai -et une concurrence avec le reste de la biocénose.

Quelle que soit la part - inchiffrable - de la reproduction spontanée des poissons dans les étangs de pêche réglée, la comptabilité piscicole considère presque uniquement le différentiel entre ce qui est « mis » et ce qui est pêché. L’alevinage et la croissance des alevins sont essentiellement assurés en bassins de moins d’1 hectare.

Or les études les plus récentes démontrent que le cygne délaisse les petits étangs : en 2009 on compte en moyenne 3 couples pour 100 étangs de moins de 5 hectares. Ces étangs représentent plus de 50% (env. 800 étangs) du parc dombiste.

Le cygne, comme le cormoran, fait partie de ces espèces dont la dynamique démographique posant problème, font évoluer la réglementation. Sur quelle base se fonder pour limiter l’expansion d’une espèce protégée par les textes ? Quels impacts leur imputer et comment les chiffrer ? Plusieurs départements ont édicté des mesures – des arrêtés préfectoraux -d’effarouchement, de régulation des pontes, voire des oiseaux adultes.

La population nationale comptait 400 à 500 couples en 1992. A la fin des années 90, au regard de l’évolution de la seule population nichant en Dombes, cet effectif est nettement dépassé.

Quel comportement du cygne envers les autres oiseaux d'eau ? Territorial ? Antagoniste ?

Population actuelle :

Le 1er cas de nidification semble remonter à 1976 (Jean-Yves Fournier/ONCFS).

La population estivale totale avant éclosions est stable entre 2006 et 2009 : elle est estimée à un millier d’individus comprenant environ 200 couples et 500 à 600 immatures.

Cette population, augmentée de la production annuelle, serait assez fortement sédentaire du fait des disponibilités alimentaires hivernales sur place : reliquats des cultures d’assec sur les étangs). L’arrivée d’oiseaux exogènes (?) peut augmenter significativement le contingent hivernal, notamment en période de grands froids, pouvant le porter d’un effectif de 1200 ou 1300 individus (la population adulte, subadulte et les jeunes de l’année) à près de 2000 (hiver 2005/2006).

Toutefois, la population automnale s’est accrue annuellement de 17% de 1991 à 2009. (ONCFS)

Des nichées entièrement grises : une origine sauvage...

Des nichées entièrement blanches, de cygnes dits "polonais" : un signe de domestication ?

...et des nichées désormais métissées !


  1. Prix décerné par la presse à la personnalité qui lui a réservé son accueil le plus désagréable ! []
  2. BAUDELAIRE, Le peintre de la vie moderne, 1863, chap. IV []
  3. V. HUGO, Les Orientales, 1829, X []
  4. On appelle également le Cygne tuberculé "Cygne muet" []
  5. BAUDELAIRE, extrait de « Les Fleurs du Mal : la Beauté » 1857 []