Dombes, d’hommes et d’oiseaux La passion de la Dombes

16jan/11Off

Visiteurs venus du froid (2) : la Buse pattue

Voir aussi mon album photo éponyme : "Visiteurs venus du froid (2) : la Buse pattue".

L'hiver 2010/2011 n'en finit pas, ainsi, de nous révéler son lot de surprises ornithologiques.

Buse pattue  perchée sur un cèdre
Buse pattue : remarquer les tarses emplumés

Quelques jours après que douze Cygnes chanteurs ont été localisés à l'Est de la Dombes, un ornithologue [1] repère une Buse pattue à proximité d'Ars sur Formans. La probabilité est rarissime de découvrir, et d'identifier une Buse pattue Buteo lagopus parmi la masse de buses variables Buteo buteo hivernantes - bien supérieure à l'effectif estival- omniprésentes sur le bord des routes où, en hiver, les opportunités de se nourrir à bon compte de proies écrasées sont nombreuses. Il fallait donc bien pour cela un ornithologue confirmé.

Celui-ci a-t-il été interpellé par la relative indifférence de ce rapace littéralement scotché autour d'un rond-point à grande circulation, dans l'immédiate proximité de Villefranche-sur-Saône ? Ou lorsqu'elle chassait en vol stationnaire dit du "Saint-Esprit" ? Ce comportement occasionnel chez la Buse variable étant plus caractéristique de la "pattue".

Faire la différence entre les deux espèces de buses est un véritable exercice de style, surtout si on considère la variabilité des plumages de la Buse variable ! Pour faire court, la Buse pattue se reconnait essentiellement au vol à sa queue blanche, ou pâle, avec une (ou plusieurs) barre terminale - ou plutôt subterminale -sombre, à ses "poignets"  également sombres vus de dessous, et à une large zone ventrale sombre également.  Au repos, ses tarses (les pattes) semblent plus courts que ceux de la Buse variable et surtout sont emplumés.

Buse pattue au sol
Buse pattue : ventre largement barré de sombre, bord d'attaque des ailes pâle

Buse pattue : l'envol
Buse pattue : à l'envol base de la queue claire et barre sombre terminale, "poignets" sombres

La Buse pattue est un visiteur hivernal arctique : elle nous gratifie de sa présence pour un second hiver consécutif. En 2007, le CORA ne recensait que 3 citations datant de 1948, 1983 et 1988 ! Sa distribution hivernale s'arrête en principe à nos frontières septentrionales et orientales. En fait, là où s'arrête la distribution estivale de la Buse variable vers le Nord, la Buse pattue la remplace : c'est essentiellement une buse de la toundra où elle se nourrit essentiellement de micro-mammifères , tels que les campagnols.

Celle qui nous rend visite est un jeune.

Son comportement peut paraître déconcertant : elle chasse à l'affût depuis les panneaux indicateurs qui bordent un nœud routier extrêmement fréquenté, plonge sur ses proies par devant les véhicules, se complait à trôner sur un jeune cèdre qui matérialise le centre d'un rond-point. L'oiseau n'a-t-il jamais eu de contact avec l'homme ? Ou bien au contraire, vient-il d'un milieu fortement anthropisé (postulat certes sujet à discussion, car au cœur du grand Nord...) ? Rapidement devenue coqueluche de la communauté ornithologique et photographique locale, elle peut faire montre de quelque lassitude, à changer de perchoir plus fréquemment qu'elle ne le désire, au risque de de multiplier ses risques de collision avec les véhicules. C'est la difficile rançon de sa rareté en ces lieux. Bref, ayant profité également de son apparente passivité, nous souhaitons collectivement que les conditions qui l'ont poussé à stationner en Dombes favorisent sa survie et non l'inverse...

La 1ère version de cet article est rédigée à la mi-janvier  2011. Une conclusion tristement prémonitoire : ce splendide visiteur, trouvera finalement la mort "au bout de la route" un mois plus tard, aux environs du 20 février, percutée par un véhicule...

Quelques photos de Buse variable : testez votre capacité à faire la différence

Buse variable

Buse variable, plumage type

Buse variable perchée, paysage de neige

Buse variable : des tarses plutôt longs et non plumés

Buse variable au sol sur une proie

Buse variable : une queue sans barre terminale sombre, absence de contraste

Buse variable type en vol

Buse variable, "morphe" type, des similitudes avec la "pattue" mais queue sombre

  1. Maxime Birot-Colomb []
9jan/11Off

Visiteurs venus du froid

Voir aussi mes deux albums photos éponymes : "Visiteurs venus du froid" et "Visiteurs venus du froid (2)".

Lorsque les Environnementalistes sont moroses, les Naturalistes eux ont toujours de quoi voir la vie, simplement, en rose. Car, quelle que soit la marche du temps, quelles que soient les évolutions de la biodiversité, dont les plus attendues restent invariablement négatives, un lieu géographique donné apportera toujours son lot de nouveautés, de raretés, parfois d'incongruités ornithologiques. Le Biologiste est supposé avoir un vision élargie des interactions qui ont une incidence sur la distribution et les tendances démographiques des espèces.

Ce qui aujourd'hui est considéré comme un phénomène occasionnel ou exceptionnel comme l'arrivée dans une région d'une espèce inhabituelle, pourrait à terme devenir la normalité : ainsi évolue la vie, qu'on la pousse ou non dans telle ou telle direction. Ces thèmes sont abordés dans deux autres articles : "En hiver" et "L'évolution des populations d'oiseaux".

L'hiver 2010/2011 laissera une trace dans les annales locales et pas seulement parce que notre pays aura été comme  paralysé par quelques flocons, ce qui somme toute change peu à la relative rudesse des hivers tels que perçus habituellement par les Dombistes, du moins lorsque non manipulés par des médias en talons aiguilles et escarpins. En fait la vague de froid qui a déstabilisé l'Europe a également poussé son lot d'oiseaux migrateurs bien au-delà de leur distribution hivernale normale.

Le Cygne chanteur Cygnus cygnus, le Cygne de Bewick Cygnus bewickii sont de ces touristes venus du froid.

La Buse pattue Buteo lagopus également. Cette dernière que nul autre qu'un ornithologue confirmé pourra extraire de la masse des buses variables Buteo buteo, autrement dit notre buse "commune", visibles depuis le bord de nos routes, plus commune d'ailleurs en hiver qu'en été,  nous gratifie de sa présence pour un second hiver consécutif : en 2007, le CORA ne recensait que 3 citations datant de 1948, 1983 et 1988 !

Avant Noël 2010, deux Cygnes de Bewick sont observés au Plantay (01). Du 15 au 20 janvier précédent deux "Bewick" avaient déjà fréquenté la Dombes (Monthieux). La Dombes totalise une quinzaine de mentions depuis 1966 (A. Bernard/CORA-Ain). Le Cygne de Bewick est un hivernant régulier en France depuis 1960 environ. Ses effectifs demeurent néanmoins modestes, navigant entre cent et deux cents oiseaux, répartis notamment entre la Camargue, les lacs et étangs de Lorraine (Forêt d'Orient) et de Champagne (Der-Chantecoq).

Mais 2010 marque surtout un hivernage exceptionnel du Cygne chanteur en Dombes ! C'est la 6ème mention locale de cet oiseau. La dernière remontait à 1998, et au mieux, 7 oiseaux étaient notés au Plantay en 1985 (A. Bernard/CORA-Ain). Cette fois il s'agit d'un groupe de 12 oiseaux. Cet effectif a de quoi être exceptionnel : le Cygne chanteur, bien qu'étant également un hivernant régulier dans notre pays ne totalise qu'occasionnellement une centaine d'individus essentiellement répartis entre les lacs lorrains, champenois et le cours du Rhin.

Des cygnes chanteurs dans un colza

Cygne chanteur

Un afflux de ces deux cygnes septentrionaux en France est le plus souvent lié à un épisode météorologique hivernal particulièrement rigoureux sur leur aire d’hivernage habituelle, très globalement située sur les pays à la périphérie de la Mer du Nord. Les deux espèces se reproduisent essentiellement dans la toundra arctique, le Bewick étant encore le plus septentrional des deux, se cantonnant aux confins de l'Océan Glacial Arctique (Nouvelle Zemble par exemple), le Cygne chanteur se reproduisant plus au sud déjà, en Suède.

Cygne de Bewick

Cygne de Bewick : bien plus petit que le Cygne tuberculé ; bec plus noir que jaune

La présence simultanée de ces deux oiseaux est donc un véritable événement en Dombes. Même si cette région est plutôt coutumière d’hivers plutôt rigoureux, dus à sa situation géographique, et pouvant paraître amplifiés par leurs atteintes physiques sur les paysages : le gel fige les étangs de Dombes 2 à 5 semaines par an. Il n’y a pas si longtemps, au cours de l’hiver 2005/2006, qui avait plus marqué les esprits par son noir épisode d’Influenza aviaire, les étangs n’avaient pas dégelé durant plus de 40 jours d’affilée.

Pour les ornithologues, la recherche annuelle constante et hypothétique de cygnes « au bec jaune » mêlés au millier de cygnes tuberculés constamment en Dombes (au bec orange) est cette fois récompensée. Et pourtant les visiteurs ne se trouvent peut-être pas là où on les escomptait.

Cygne chanteur

Cygne chanteur : grand comme un Cygne tuberculé ; bec plus jaune que noir

Le groupe de cygnes sauvages (autre appellation du Cygne chanteur) arrive en Dombes aux environs de Noël selon la Fédération Départementale des Chasseurs de l’Ain.

Il se cantonne à la périphérie orientale du plateau : moins riche en étangs, ce secteur est moins fréquenté par les ornithologues qui localisent le groupe au cours de la 1ère semaine de janvier (Rémi Rufer). Les oiseaux pâturent sur une parcelle de colza sur la commune de la Tranclière : un comportement terrestre habituel pour cette espèce sur ses lieux d’hivernage. Ils y reçoivent un certain nombre de visites : en effet, à quelques kilomètres près, on n’est bien moins habitué à la présence du cygne qu’en Dombes centrale. La confusion avec le Cygne tuberculé est probable : à l’exception des naturalistes, peu de gens se promènent équipés de jumelles et par ailleurs qui penserait à un « autre » cygne ?

A ceci près qu’en Dombes, au contraire de nombreuses autres régions où il est impliqué dans des déprédations sur des parcelles cultivées, le Cygne tuberculé quitte rarement le domaine aquatique.

Le groupe se lève plutôt mollement au passage d'un engin agricole, et même à l’approche d'un couple bien intentionné venu leur donner du pain. Je tente d’éviter leur fuite par une intervention la plus discrète possible, quelques appels de la main par la fenêtre de mon véhicule. Et informe les visiteurs de la rareté de leur propre observation.

Cygnes tuberculés

Cygne tuberculé (commun) : grand, une silhouette typique, un bec orange vif avec une excroissance charnue à la base

Deux jours plus tard ils se trouvent en matinée sur un étang de Chalamont 11km au sud-ouest (Benmergui/ONCFS), et l’après-midi, km à l’est de l’étang se nourrissant sur un chaume de blé (Laporte & Dej/ONCFS, Guillaume Gayet). On peut encore les y observer au 12 janvier.

Entre le 21 et le 28 janvier ils sont cantonnés sur la limite communale séparant Chatenay de Villette-sur-Ain, sautant d'une parcelle de colza à l'étang gelé proche. Et puis ils disparaissent, retournés semble-t-il  vers des contrées éloignées où glaces et neiges auront perduré.

Cygnes chanteurs sur un étang dombiste gelé

Fin janvier, les cygnes sauvages alternent entre une parcelle cultivée et l'étang voisin gelé

Cygne chanteur et Cygne tuberculé sur un étang gelé

Cygne chanteur et Cygne tuberculé se cotoient à nouveau sur cet étang de Villette (Ain)

Mais là ne s'arrête pas cette chronique qui aura une suite inattendue.

Voici donc qu'un soir de juin 2011, le 7 exactement, je m'arrête sur un étang de Villette. Un couple de cygnes sommeille à proximité d'un distributeur de grains, sur la berge qui me fait face.

Couple de cygnes chanteurs

Deux cygnes se reposent sur la berge de l'étang...

Quoi de plus normal. Coup de jumelle balayant, semi-circulaire. Retour sur image : un doute. Les cygnes ne sont pas des "tuberculés" logiquement attendus ! Il s'agit bien de 2 cygnes chanteurs ! Plus insolite encore, un couple même, qui quittera sa berge, gagnant le centre de l’étang où il se gavera de potamot pectiné. Mieux, les cygnes vont parader, "chanter". Un indice de reproduction inédit sous nos climats.  Coup de fil à un ornithologue référent : Pierre Crouzier. Il  arrive un peu plus tard sur les lieux et assiste aux mêmes démonstrations. Nous ne trouvons pas de nid. Juin : c'est tard pourtant, et si nid il devait y avoir... Deux jours plus tard les oiseaux sont encore sur l'étang.

Les cygnes chanteurs paradent, dans l'Ain. En juin !!!

Deux cygnes chanteurs se nourrissent de potamot

Le couple de cygnes chanteurs se gavent de potamot pectiné

Mais ce sera la dernière observation les concernant. Avons-nous hâté leur départ, ou plutôt leur fuite ? Quel autre élément perturbateur sinon ce couple de cygnes, classiquement "tuberculé" cantonné - tardivement : subadultes , nidification échouée sur un autre site ? Un propriétaire d'étang aurait-il fait la différence entre ces oiseaux et un couple de cygnes tuberculés ? Quel lien entre ces cygnes chanteurs et ceux arrivés en Noël 2010... Sinon que l'étang où ils ont du se cantonner plusieurs semaines durant au moins avant qu'ils soient détectés n'est distant que de quelques centaines de mètres du lieu de leur dernière observation hivernale ?

23oct/10Off

En hiver

En hiver

Homochrome sous la brume qui absorbe l’horizon et noie le paysage, l’hiver fige la surface des plans d’eau depuis trois semaines au moins. Une édition rigoureuse, mais ni plus ni moins qu’un mois de janvier normal, a repoussé sur les cours d’eau majeurs - le Rhône et la Saône voisins, les oiseaux qui avaient cru pouvoir s’attarder ici. Sans cela ils auraient sans doute bravé la chasse, profité des eaux enrichies des grains abandonnés par la récolte de la culture de l’assec.

La masse de quelques cygnes entretient quelque temps encore un trou d’eau qui permet à d’autres oiseaux de s’alimenter.

Dans la nature durablement engourdie, les rencontres hivernales se font rares : faute d’un Aigle criard Aquila clanga (au moins l’un d’eux fréquente régulièrement la Dombes depuis la fin des années 90 - ou d’un Pygargue à queue blanche Haliaeetus abicilla, puissants visiteurs rapaces nous parvenant occasionnellement des confins septentrionaux et orientaux de l’Europe, une modeste Buse variable Buteo buteo n’en endosse que plus d’intérêt…

… qui hésite, à l’approche d’un danger, à abandonner son piquet de clôture et, ce faisant, à perdre de précieuses calories : les lombrics, qu’elle ne peut dédaigner lorsqu’ils constituent la seule disponibilité alimentaire, se sont enfoncés profondément dans le sol, hors de l’atteinte fatale du gel. La chance lui sourira peut-être sous la forme d’une vie affaiblie d'un faisan ou même d’un canard (dont elle n’est autrement pas coutumière), et plus surement encore, la route lui offrira de se repaître d'un cadavre de ragondin.

Une Grande aigrette a capturé un poisson sur un étang pris par la glace

Une Grande aigrette doit se ocntenter de la portion congrue...

Buse variable se nourrissant d'un ragondin trouvé mort

Un ragondin, tué sur une route, fait l'affaire dune Buse variable en cette période de froid.

Alors incapable de retenir ses oiseaux au plus froid de la saison, la Dombes fait pâle figure si l’on compare ses effectifs hivernaux de canards avec ceux de Camargue, ou de Brenne, deux régions désignées au titre de la Convention de Ramsar.

Cette convention internationale, signée en 1971 à Ramsar, une ville d'Iran, vise la conservation des zones humides de première importance tant pour leur flore ou leur faune, que pour les populations humaines qui vivent à sa proximité. La France est depuis 1986 un des pays adhérents, avec 17 sites inscrits en 2000. Chaque pays signataire s’est engagé à entreprendre les démarches nécessaires à la conservation de ces sites. Pour faire court, pour être éligible au titre de « Ramsar » un site doit accueillir à un moment donné au moins 20000 oiseaux, essentiellement des oiseaux d’eau, ou 1% de la population nicheuse d’une espèce donnée. Pour ce qui nous concerne il s’agit des populations d’oiseaux qui transitent entre l’Europe Occidentale et le Sahel, également nommé Paléarctique Occidental.

Si, au contraire, l’anticyclone de Sibérie paralyse l’Europe centrale ou fait mine d’approcher nos frontières, la Dombes, non prise par le gel, loin de chasser ses hôtes, pourra alors jouer un rôle de refuge. De temps à autre, poussés au sud par ces masses d’air septentrionales, tempétueuses et glacées, quelques hôtes inhabituels y échouent : un Fuligule milouinan, un Cygne chanteur, un Garrot à œil d’or…

Cygne chanteur

Un hivernant exceptionnel : le Cygne chanteur

Fuligule milouinan

Garrots à œil d'or (mâles) : un hivernant septentrional régulier en Dombes à laquelle il préfère toutefois les fleuves et lacs périphériques

Soudain, la migration…

Tout d’un coup, dès la première amélioration météorologique, la remontée spectaculaire de vingt-cinq ou trente mille Fuligules milouins s’abat sur les eaux enfin libérées. Les « rougeots » se font pardonner de la plus éclatante manière leur abandon passager. Ils précèdent, en leur massive escale, le passage des Siffleurs et des Pilets, l’arrivée des Souchets et, sur le tard, celle des Sarcelles d’été.

C’est en cette saison que la Dombes justifie à son tour son inscription sur la liste des sites « Ramsar ». Pour l’avifaune migratrice, ce n’est donc pas lors de l’hivernage de la mi-janvier que le site prend son absolue dimension, celui d’une escale incontournable sur le trajet des migrations, mais durant la migration prénuptiale avant l’ultime dispersion vers les sites de reproduction.

Le déferlement des Fuligules milouins, étang du Chapelier (Versailleux)