Dombes, d’hommes et d’oiseaux La passion de la Dombes

24oct/10Off

Des traces sur la vasière

Le Vanneau huppé : l’oiseau du compromis

Retrouvez dans la page bonus les mécanismes ayant présidé à la régression de sa population

L’air écrasé sous chacun des battements de ses ailes évoque l’antique souffle du van et confère son nom à l’oiseau.

Ainsi le moissonneur poursuivait son œuvre à renfort de gestes amples et puissants, ainsi l’oiseau rame dans le ciel, décomposant chaque phase de son vol. Il se joue de la gravité – ce n’est ni plus ni moins qu’un oiseau, remarquez– piquant sur la corneille ou le busard, pourchassant un mâle concurrent.

Virtuosité rime avec témérité, lorsqu’il charge l’outrecuidant visiteur, trop proche à son goût de sa progéniture. L’air déplacé semble animer cheveux ou poils, selon que l’on est humain ou renard. L’instant suivant, oublieux du risque écarté, fort de sa légitimité territoriale, il cherche encore à éblouir une femelle faussement désabusée.

Le vanneau huppé Vanellus vanellus est l’oiseau du printemps autant que celui de l’automne. Il crie la vie aux premiers soleils qui transpercent les derniers brouillards hivernaux. Il annonce la récolte du poisson, lorsqu’en novembre, ses voliers papillonnants de migrateurs s’abattent sur les vidanges.

Au printemps, il devient l’oiseau des transitions et du compromis. Au plus sec, il fricote avec la – dernière – Caille des blés Coturnix coturnix il a connu la Perdrix grise Perdix perdix. Au contact de l’onde, il côtoie l’Echasse blanche en été et la Bécassine des marais en migration. De son point de vue, le territoire de la colonie s’étend depuis le sommet de la parcelle qui verse vers l’étang, jusqu’aux vasières encore recouvertes d’une mince lame d’eau : il se joue du cadastre.

Son nid est pourtant bien plus en sécurité au plus près de l’eau, l’espèce payant régulièrement un lourd tribut aux labours de mai.

Après une ou deux tentatives de nidification sur la bordure de l’étang, ou dans une jachère, un couple arrive à élever en moyenne un seul jeune.

Mais il faut au moins deux couples de ceux qui ont niché plus haut et plus loin de l’étang, sur les cultures, pour arriver au même et maigre résultat ! Selon un autre mode de calcul qui tient compte des remplacements de pontes par chaque femelle à la suite de disparitions successives – labours, hersages, semis, et prédation - un jeune volera pour 24 à près de 50 œufs pondus… Entre le milieu des années 70 et le début des années 90, le nombre des vanneaux nicheurs chute de 2000 à moins de 250 couples.

Cette situation est d’ailleurs généralisée dans presque toute l’Europe, où leurs effectifs régressent : les passages de novembre sur les vasières ne sont plus comparables à ceux d’autrefois, et, au printemps, les colonies ne comptent plus que trois à quatre couples, contre une dizaine, quinze ans plus tôt.

Oiseau gibier dont la population reproductrice est désormais menacée et instable, et ne traînant d’autre casserole autre que celle qui crie au « bon morceau », à l’heure des choix environnementaux, il s’inscrit définitivement comme l’oiseau du compromis.

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Population actuelle : environ 200 couples.

L’Echasse blanche : l’oiseau du consensus

Niche-t-elle sur votre étang ?

Vous ne tarderez pas à en être convaincus, le jour où tous les membres de la colonie se précipiteront à votre rencontre, ponctuant leur vol d’un caquetage inquiet et persistant. Cette attitude est destinée à vous éloigner de leurs jeunes. Elle prévient ces derniers de votre présence, les renseigne sur votre statut de prédateur potentiel.

L’Echasse blanche Himantopus himantopus appartient à cette catégorie d’espèces, gracieuse, non chassable, non piscivore ou non prédatrice de quoi que ce soit d’économiquement exploitable, que l’on est heureux et le plus souvent fier d’accueillir sur son étang.

Elle est devenue un enjeu patrimonial. Le Centre ornithologique Rhône-Alpes (CORA) en a fait judicieusement son emblème. Pourtant il ne semble pas qu’elle ait trop à se plaindre du contexte écologique actuel : les déficits en eau –d’origine climatique, consécutifs à des erreurs de gestion, aux fuites causées par le Ragondin – ainsi que la gestion drastique de la ceinture végétale lors des assecs, autrement défavorable aux oiseaux de la roselière, jouent en sa faveur.

Elle est totalement inféodée aux vasières et aux étangs les plus plats. Ces mêmes étangs, rares en d’autres régions, définissent le mieux la diversité des milieux présents en Dombes.

L’Echasse ne s’y est pas trompée bien qu’à chaque instant son nid, au départ simple dépression à peine matérialisée sur un haut fond, risque l’inondation. Elle le surélèvera, en tourelle, le plus qu’il lui sera possible, s’accordant une montée de l’eau à mi-tarse. Mais si le rythme d’élévation est par trop rapide, alors…

Bon an, mal an, mais c’est le quotidien de l’espèce où qu’elle se reproduise : une partie des nids est noyée.

L’Echasse blanche est avant tout un oiseau du littoral. La Dombes est la seule zone humide de l’intérieur du pays à s’être dotée d’une durable et significative implantation de l’espèce.

On connaissait une dizaine de couples nicheurs au début des années 1990. Au cours de la 1ère décennie du nouveau millénaire, ils sont une soixantaine au moins, pour un effectif adulte régulièrement estimé aux environs de 200 oiseaux.

Échasse blanche : juvénile

Un recrutement auprès des populations méditerranéennes est probable.

Malgré cela, ne boudons pas le plaisir de voir une espèce relativement moins affectée par les évolutions récentes du milieu que le reste de la biocénose.

Population actuelle :

La plus importante pour une zone humide continentale. Une nette tendance à l’accroissement de la population depuis le début des années 1990, et surtout depuis 2000. Moyennes sur la période 2001/2010 : 58 couples ; effectif estival : 180 individus. Maxi 288 en 2006.

Directive Oiseaux

Un colonisateur : le Petit gravelot

Sitôt qu’une vasière se découvre, ou lorsque le traumatique bulldozer retravaille les contours de l’étang, et que celui-ci, recreusé, reprofilé, l’argile repassé sur les limons reporte la colonisation végétale, se pose, en discret pionnier, le Petit Gravelot Charadrius dubius.

Encore sur un trajet dont on ne sait où il s'arrêtera, en compagnie d'un Bécasseau minute

Sur l’argile nue, récemment travaillée et qui deviendra bientôt « béton », une coquille d’Anodonte (un gros coquillage bivalve), une touffe de la rare Limoselle lui serviront de repères pour localiser son nid.

La teinte des parties supérieures de son corps tient du sable et de la vase. Elle le fond littéralement dans son environnement. Au contraire, la livrée bigarrée de sa tête rappelle qu’ici, il est un étranger. Ce n’est pas tout : ses œufs sont aussi repérables que des galets blancs sur le limon. L’argile est bien loin d’évoquer les plages graveleuses de l’Ain et du Rhône.

Un nicheur plus habituel des berges de galets du Rhône et de l'Ain

Mais, las, étangs comme rivières, toujours dans leurs flots montants entraînent sa ponte, roulant ses œufs comme pierres.

Population actuelle : sans doute moins de 10 couples ; stable.

Une perte pour l’écosystème dombiste : la Barge à queue noire

Sans conteste, le statut en Dombes de la Barge à queue noire Limosa limosa était plus prospère du temps où la prairie dominait le pourtour de l’étang. Que l’étang débordait généreusement sur la prairie. Ambassadrice des légions de petits échassiers, « limicoles » seulement de passage sur le long trajet de leurs migrations, elle a été longtemps la seule à rester nicher. Depuis l’après-guerre (la seconde) jusqu’aux premières années de la décennie 90, on recensait bon an mal an, cinq à dix couples. Cela fut peut-être plus encore à une époque où la pression d’observation des ornithologues n’était pas celle que l’on connaît de nos jours.

Aux derniers temps de sa présence, vers la fin des années 90, on la trouvait encore, intégrée aux colonies de vanneaux, dans des jachères annuelles, dans quelque chaume de blé encore passablement humide.

Aujourd’hui, elle dédaigne la Dombes, au profit des prairies humides du Val de Saône, plus récemment colonisées.

Imprévisible, la barge fond sur quiconque fait seulement mine de pénétrer sur son domaine. Son vol piqué s’accompagne d’une émission de miaulements stridents, façon sirène paralysante… Une autre fois, répugnant à quitter son nid terrestre, elle se laissera approcher à quelques pas seulement. Le manteau d’invisibilité que lui confère son plumage, parmi les aspérités et les débris végétaux, est censé la soustraire à la chasse des prédateurs. L’accélération de son rythme cardiaque démontrerait sans aucun doute les limites de sa confiance en cette supposée protection…

Population actuelle :

Migratrice. Population nicheuse considérée éteinte en Dombes : annuellement 5 à 10 couples connus entre 1990 et 1998. Tentatives actuelles de nidification irrégulières.

3 à 6 couples se reproduisent dans le Val de Saône. Espèce protégée dans le département de l'Ain.


A petits pas : bergeronnettes et pipits

D’allure distinguée, classique dans une livrée tranchée, du blanc le plus pur au noir le plus satiné, la Bergeronnette grise Motacilla alba arpente, à son habitude, la vasière d’un étang. Son interminable queue amidonnée et comme agitée d’un hoquet perpétuel la poursuit.

Bergeronnette grise

Son chemin croise celui de migrateurs, une Bécassine sourde, ou des marais, ou, plus proche d’elle, sur le terrain de la Systématique, un Pipit spioncelle Anthus spinoletta.

Pipit spioncelle

Celui-ci, montagnard au sourcil pâle, a été contraint de rejoindre les fonds limoneux d’étangs découverts par la dernière vidange et où se fond sa livrée terne. La neige a recouvert les rocailleuses pelouses alpines de son estive.

Le printemps venu, il a su compenser ce défaut en lançant son message spécifique, modulé et insistant, le temps d’un vol en cloche. Le héraut s’élance à partir d’une roche, son élévation énergique accompagne une voix puissante. Arrivé au sommet de l’orbe, l’oiseau paraît se figer l’espace d’un instant infinitésimal. La seconde partie du trajet s’effectue en une chute planée, dite « en parachute ». Les notes s’accélèrent, comme si elles sentaient la fin, comme si elles s’efforçaient de tout exprimer avant la pose.

Elles ignorent encore tout de la motivation du chanteur déjà prêt pour une nouvelle ascension. Eole, Hermès et Cupidon se rejoignent en une nouvelle alliance pour acheminer le message de la vie à travers l’espace.

Pour l’heure, à son horloge fixée sur « hiver », le Pipit spioncelle ne se soucie que du maintien de sa condition physiologique, et picore à tout va.

A l’écart de l’étang, au-dessus d’un labour, des cris fins ne lui font pas perdre sa cadence. Pourtant il s’agit de proches parents, et qu’il côtoie parfois sur les hauteurs dénudées des monts du Forez et de la Madeleine : une troupe de pipits farlouses (ou Pipit des prés) Anthus pratensis, en compagnie de quelques linottes mélodieuses Carduelis cannabina, essentiellement des visiteurs hivernaux, ou de quelques alouettes des champs Alauda arvensis.

Pipit des prés : un hivernant en Dombes. Photo prise au printemps en Bretagne


24oct/10Off

Quid des prés et des landes : l’extension du périmètre Natura 2000

Les problématiques afférentes à la gestion du bassin versant et à ses conséquences sur l’ensemble de l’écosystème sont développées dans le chapitre « Aux sources de la biodiversité » et sont reprises, chaque fois que nécessaire, dans les chapitre « Les Oiseaux ».

La Dombes ne possède que rarement de landes en bordures des étangs. L’Union Européenne a entériné la fin des jachères fin 2008. Les prairies permanentes sont souvent des pâtures, et lorsqu'il s'agit de prairies de fauche, le rythme des fenaisons ne laisse plus de temps à la faune de réaliser son cycle de reproduction.

Chaque carré de terrain à l’abandon, chaque friche, les réseaux de fossés, bordures de routes et de chemins constituent les vecteurs d’une biodiversité qui trouve là un habitat de substitution lorsque manque l’essentiel. Mais force est de reconnaitre que notre époque, nos besoins laissent le minimum de place à une telle spontanéité végétale.

Tarier pâtre, mâle

Le tarier pâtre : un passereau coloré des landes buissonnantes ; il régresse en Dombes

Une lande buissonnante

Une lande buissonnante : une vision rare au sein d'un agrosystème maîtrisé.

Fauvette grisette

Une Fauvette grisette

Au milieu des années 1990 un premier programme environnemental (LIFE) tente de réhabiliter quelque 250 hectares de prairie en Dombes, d’une prairie qui laisse le temps à la vie de s’installer. Il faut attendre 2009 pour que les politiques agro-environnementales laissent entrevoir une évolution encourageante qui vise à une implantation significative de prairies utiles à la faune. Un programme en cours : les Mesures Agro-Environnementales Territorialisées.

Graminées variées dansune prairie

De la diversité dans les prairies...

Natura 2000 est passée. Avec elle, l’application, à l’arrachée, de la Directive Oiseaux qui implique une extension du périmètre de restauration des habitats favorables à la faune, jusqu’à 200 mètres au-delà de l’étang. On brandit d'abord localement cette mesure comme un épouvantail, s'attachant plus à la forme de son obtention, qu'au fond, ce qu'elle signifie et apporte réellement : un système contractuel dans lequel chacun peut s'inscrire à son gré, et dans un cadre ultimement limité par les disponibilités budgétaires allouées à l'application de la mesure. Pas de quoi fouetter un chat. Sans explication, avec peu de moyens prévus dans un premier temps à l'animation et la mise en place de ce train de mesures, une réaction était inévitable. Ces balbutiements de jeunesse font désormais en principe partie du passé.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, la cartographie qui résulte de l’extension de ce périmètre confère enfin à la Dombes une identité, une réelle entité écologique. Non ? Si !

Toutefois on n’attend pas d’inversion de la dynamique démographique du cortège d’espèces inféodées au milieu prairial avant la pérennisation d’un système garantissant le retour d'une superficie significative de prairie de fauche, celle-ci autorisant bien sur le cycle complet de reproduction de ces espèces, vertébrées et invertébrées. Crises sanitaires et laitières, vieillissement et disparition des exploitations laitières, difficultés du métier d’éleveur, ne semblent pas emprunter une telle direction.

Une prairie en bordure d'étang et les bâtiments de l'exploitation en arrière-plan

Quel avenir pour la prairie (et sa fauche tardive !) au bord des étangs ?

Plusieurs projets, peut-être seulement encore des velléités, se dessinent néanmoins dans le cadre d'action agro-environnementales, de contrats de développement durable : des pistes encore plus que des projets, mais qui autorisent de refuser en la fatalité d'une fin de cette part de culture et de biodiversité en Dombes.

ZOOM sur : Le Cuivré des marais

Cuivré des marais (Thersamolycaena dispar)

Cuivré des marais : un mâle, flamboyant et inratable dans son verdoyant environnement

Cuivré des marais (Thersamolycaena dispar)

Cuivré des marais : femelle

Le Cuivré des marais Thersamolycaena dispar est un papillon prioritaire au titre de la Directive Habitats.

Cuivré des marais (Thermolycaena dispar)

Cuivré des marais, femelle

La recherche de ce petit Lépidoptère aux couleurs vives a permis de démontrer l’existence d’une population importante en Dombes. La prairie lui est indispensable pour conclure son cycle annuel : il s’y reproduit en juin et juillet, recherchant les rumex qui la parsèment, ses chenilles s'en nourrissant. Pour ce faire, encore faut-il que la plante ne soit pas fauchée trop tôt. Or, fin mai ont déjà lieu les premières fenaisons…

Avant, ou au contraire plus tard en saison, en août et septembre, on le trouvera le long des fossés non entretenus, dans ces petits habitats dont l’agriculture se désintéresse (coins de parcelles impossibles à traiter avec du matériel lourd, talus, friches) et qui constituent autant de vecteurs, de corridors, vers ses sites de reproduction.

Ne pas confondre : Cuivré des marais et Cuivré commun !

Cuivré commun (Lycaena phlaeas)

Cuivré commun, mâle

Cuivré commun (Lycaena phlaeas)

Cuivré commun, mâle

Cuivré commun (Lycaena phlaeas)

Cuivré commun, mâle: pas si commun en Dombes. La confusion est aisée, avec la femelle de Cuivré des marais