Dombes, d’hommes et d’oiseaux La passion de la Dombes

24oct/10Off

Les voix de l’étang

On peut bien se demander où se cache l’eau, Dombes arpentée, proximité insoupçonnable. La carte d’état major est semblable à une mosaïque où le bleu domine, tous les demi-kilomètres : un étang. Alors où sont-ils tous ? Ils sont nombreux, pourtant, à s’offrir depuis le bord d’un chemin, d’une route départementale. Ils le sont presque autant à se réfugier au dos d’une haie, d’un bosquet, dans un pli de terrain.

Une oreille affûtée décèlera la silencieuse présence de l’eau stagnante en repérant quelques-unes des voix de son peuple.

A l’inverse, la découverte de ce dernier passera par le ré-apprentissage de l’écoute, par une sensibilisation à la reconnaissance des bruits, des sons, des cris et des chants : ceux-ci se révèleront aussi riches de tessitures, de couleurs musicales, de puissance, d’inventivité qu’il existe d’espèces d’oiseaux, de batraciens… Les naturalistes et certains chasseurs expérimentés ne s’y sont pas trompés, qui, ne pouvant franchir toutes les frontières – dont celle de la propriété privée - tendent depuis longtemps l’oreille. Ils reconnaissent le miaulement énamouré du mâle milouin, le raclement émis par leurs femelles à l’envol, un rien plus grave que celui de celles du Fuligule morillon, le puissant appel de la femelle colvert, et le nasillard cancanement du mâle…

Un rire en cascade, émis du fin fond des herbiers aquatiques, dévoile l’identité de l’insaisissable, du minuscule Grèbe castagneux Tachybaptus ruficollis, improprement appelé, ça et là, « plongeon », toujours guerroyant un confrère qui outrepasse les frontières de son territoire.

Grèbe castagneux

Grèbe castagneux

L’Aigrette garzette Egretta garzetta illustre une certaine fable où l’on parle de ramage et de plumage : une grâce immaculée devait sans doute receler un vice… Un croassement d’une rare inélégance par exemple ?

Aigrette garzette

Un aigrelet gazouillis, à la limite de l’audible, précède un trille dynamique : l’invisible Fauvette babillarde Sylvia curruca, nous nargue depuis l’épaisse frondaison d’une haie de grands arbres. Elle, n’est pas un oiseau aquatique. Apparue en Dombes il y a un demi-siècle, la présence de cet oiseau de distribution continentale et alpestre est désormais une spécificité locale.

Fauvette grisette

L’originale hiverne en Afrique orientale, contrairement à la plupart de nos fauvettes, telles la Fauvette grisette Sylvia communis à laquelle elle ressemble tant, ou la Rousserolle effarvatte, qui ont opté pour la plus proche Afrique subsaharienne Occidentale.

Plus communément encore, la queue boisée de l’étang, retentit du cri nasillard et diagnostique de la Mésange boréale Parus montanus. Moins fréquemment, elle nous gratifie de son chant, qu’elle émet déjà au cœur de l’hiver : une triple (ou quadruple) répétition d’une seule note mélancolique et douce, si douce, presque triste, une voix attachante, langoureuse.

Mésange boréale

Mais un plumage parmi les plus ternes de sa vaste famille. La Mésange boréale, en sa sous-espèce dénommée et pour cause « Mésange des saules », niche dans les souches pourries et les troncs creux des aulnes, des chênes. Elle est sans doute le passereau qui caractérise le mieux l’humide frondaison dombiste.

Les oiseaux ne sont pas seuls à se manifester. Le jour faiblissant, l’appel du Blongios nain et plus encore au cœur de la nuit celui des marouettes, émergent au fur et à mesure que le vacarme du concert des grenouilles vertes s’apaise. Un buisson résonne de l’appel incroyablement puissant de la minuscule Rainette arboricole Hyla arborea.

Une voix se mêle à celle des oiseaux : celle de la Rainette arboricole

Le petit monde du roseau

Quel biotope dans notre pays, autre que la roselière, ne recèle autant de mystère, ne procure autant de sécurité aux êtres qui s’y meuvent ? Quelle formation végétale, à cette échelle, et si l’on excepte la forêt pluviale présente un abord aussi compact, aussi impénétrable ? Tout n’est sans doute qu’une question de mesure. Dans l’eau ou même sur la roche, l’homme évoluerait avec plus d’aisance qu’entre les tiges resserrées du phragmite et du typha, qu’entre les butées (les « touradons ») de leurs pieds immergés…Et d’ailleurs que ferait-il en de tels lieux ?

La roselière recèle le peuple le plus discret de l’étang. Pour ses hôtes, nul besoin d’atours autres que la voix : pas de couleurs resplendissantes, ostentatoires, inutiles dans un monde où tous les chats seraient gris. Les oiseaux y sont parés de tons humblement fauves, couleurs de prudence.

Indissociables du roseau, toutes ces voix, de la plus exubérante à la plus monotone, de la plus puissante à la plus confidentielle, en sont l’âme et le charme estivaux, l’Afrique tropicale nous les reprenant pour l’hiver.

Rousserolles…

Rousserolle turdoïde

Le rideau de phragmites s’agite, et bruisse du frottement des tiges : la brise n’y est pour rien. Une irrésistible pulsion verticale entraîne la Rousserolle turdoïde Acrocephalus arundinaceus vers le haut de l’enchevêtrement végétal jusqu’à dominer les deux surfaces, celle de l’eau libre et celle des roseaux.

Rousserolle turdoïde

On s’attend difficilement à ce que quelques grammes de plumes soit responsables de tant de raffut, mais les feuilles du roseau sont sèches et ses tiges serrées. La fauvette doit batailler pour se rapprocher du ciel. Sa voix s’élève, puissante et rocailleuse, malgré quelques tentatives d’éclaircissement totalement infructueuses. Sa taille atteint à peine celle d’une petite grive et pourtant elle domine de sa seule puissance vocale tout le fond sonore de l’étang.

Population actuelle : une des plus importantes de France. Menacée par la réduction de la roselière. Dernière estimation de la population (2004) : 200 mâles chanteurs au minimum, 300 au maximum. Visiteuse d’été uniquement.

Rousserolle effarvatte

Au contraire, la Rousserolle effarvatte Acrocephalus scirpaceus, copie réduite de la turdoïde, ne chante que depuis la sécurisante profondeur de la végétation. On la voit rarement. Et sa voix, est étouffée après quelques mètres. Cela suffit amplement pour contacter le couple voisin, car les territoires de ces petits oiseaux sont très rapprochés. La conversation monotone des effarvattes, sur le ton de la confidence semble soutenir (ou commenter) la performance de la diva, la turdoïde, un ou deux mètres au-dessus d’elles.

Rousserolle effarvatte

La construction musicale des chants de ces deux espèces, est proche : une répétition par paquets de deux, ou trois, de quelques notes de gorge, émaillées de quelques sifflements, mais le tout manquant de l’inventivité coutumière des banals oiseaux de nos jardins, Merle noir, Grive musicienne, Fauvette à tête noire, Rossignol ou autre Rouge-gorge….

Population actuelle : aucune estimation. Quoique moins inféodée à la grande roselière, subit sans aucun doute la diminution de celle-ci. Espèce régulière lorsque le milieu est favorable. Visiteuse d’été uniquement

Phragmite des joncs

Une autre fauvette, très proche des rousserolles, porte le nom de deux des végétaux entre lesquels elle se partage : le Phragmite des joncs Acrocephalus schoenobaenus.

Phragmite des joncs (au sortir du bain)

Il se distingue de l’effarvatte par un comportement nettement plus démonstratif. Posté au su et au vu de tous à l’extrémité d’un phragmite ou d’un rameau de saule, il lance ses notes en les émaillant de coups de sifflets énergiques. Si cela ne suffit pas, il les émettra lors d’une courte envolée au-dessus du marais.

Phragmite des joncs

En fait une version caféinée de la Rousserolle effarvatte.

Population actuelle : en expansion ? Visiteur d’été uniquement

Les locustelles

Les 2 espèces de locustelles sont rares en Dombes. La Locustelle luscinioïde Locustella luscinioides était la plus abondante : quelques dizaines de couples sans doute encore dans les années 1990. Elle ressemble à s’y méprendre à une Rousserolle effarvatte.

Et puis la Locustelle tachetée Locustella naevia, pratiquement absente (plus abondante en prairies de Saône) l’a supplantée : phénomène passager ? Une évolution à suivre…

Toujours est-il que leur chant n’est que longue, très longue stridulation d’insecte : les différencier exige d’avoir entendu les 2 espèces chanter de nombreuses fois et si possible…simultanément ! Les 2 chantent inlassablement depuis la nuit jusqu’aux premières heures du matin…

Locustelle tachetée

Locustelle luscinioïde : un faux air de rousserolle ?

Population actuelle : net déclin de la Locustelle luscinioïde ; expansion récente de la Locustelle tachetée. Les 2 espèces ne totalisent dans doute pas plus de quelques dizaines de couples en Dombes. Visiteuses d’été uniquement.

… Et butors

L’ombre, comme générée par la roselière, la quitte et s’étend sur l’onde. Les heures sont moins chaudes. Du concert des batraciens, tente de s’extraire, avec la régularité d’un métronome, le rôt sonore du Blongios nain Ixobrychus minutus, le plus petit des hérons à vivre sous nos latitudes. Peut-être, chanceux randonneur, l’auras-tu aperçu, plus tôt dans la journée. Il volait à saute-moutons entre les massifs de roseaux : il allait et venait entre ses jeunes affamés et quelque chenal d’eau libre, reculé, mais non dépourvu de proies. Se laissant choir par le haut dans l’amas vert, il en ressurgissait peu après, par le pied de la végétation cette fois.

Blongios nain

L'heure du Blongios

Le Butor étoilé Botaurus stellaris lance au même instant son appel d’outre tombe, et toutes les angoisses refoulées remontent en masse sur le marais : un chariot et ses bœufs ont été avalés par la fange, ici. La légende ne précise pas quand. Elle confond même les étangs où le drame se joua. Depuis, on entend entre le crépuscule et l’aube, ce mugissement, les deux notes d’une corne de brume : l’effroi des bœufs sombrant ou le chant du Butor, qui sait ?

Le plus secret de nos oiseaux daigne s’extirper de l’ombre. L’allure est massive, on sent comme une puissance retenue dans ce corps plutôt courtaud. Le plumage de la plupart des hérons arboricoles [1] est uniforme : blanc ou gris. Celui des hérons « paludicoles » est plus cryptique, plus nuancé : rien, ou presque, ne permet de les distinguer du milieu dans lequel ils se meuvent. Celui du Butor étoilé, semble avoir été confectionné par un Elfe : « Tant que cet habit porteras, invisible tu demeureras. Mais de la lisière des roseaux ne t’écarte.

  1. les hérons qui se reproduisent dans les arbres : Héron cendré, Bihoreau gris, Aigrette garzette, Héron garde-boeufs, Crabier chevelu - au contraire des hérons paludicoles, qui se nichent essentiellement dans la roselière : Butor étoilé, Blongios nain, Héron pourpré. []
24oct/10Off

La roselière

La roselière constitue l’étape ultime de la colonisation des bordures de l’étang par la végétation non ligneuse. Les écologues nomment « hélophytes » les plantes qui composent ces formations.

On leur doit les aspects les plus sauvages des zones humides.

Les grands roseaux phragmites Phragmites australis - les "cannelles" - ou les massettes également appelés typhas Typha angustifolia & T. latifolia- aux inflorescences en forme de cigares brun vineux - peuvent recouvrir de larges et denses superficies. Scirpe lacustre Schoenoplectus lacustris et Grande glycérie Glyceria maxima forment également des roselières : le 1er semble résister difficilement à l’appétit du ragondin. La 2nde couvre rarement de grandes superficies du moins en Dombes.

Typhaie

Typhaie : ici, Typha à feuilles larges

Phragmitaie : formation et détail

Phragmitaie

Jonchaie

Une belle jonchaie

Tous croissent depuis le domaine non inondé en permanence, jusqu’à des fonds immergés sous une soixantaine de centimètres d’eau.

Vieille, dense et sèche, la roselière perd de son attrait pour la faune. Jeune ou rafraîchie par des clairières et les chenaux qui multiplient ses lisières au contact de l’eau libre, elle s’enrichit. Elle accueille alors, dans son enchevêtrement rendu moins impénétrable, les hôtes les plus discrets de l’étang : Héron pourpré, Blongios nain, Busard des roseaux, tous trois de la Directive Oiseaux, Rousserolle turdoïde – une sorte de grive aquatique - entre autres.

Rousserolle turdoïde

Rousserolle turdoïde : presque exclusivement en phragmitaie

Son emprise doit être régulièrement contrôlée. Le maintien des niveaux d’eau les plus élevés, mais aussi une sévère limitation volontaire, la contiendront en bordures étroites le long des berges de l’étang : cette étroitesse est peu favorable à la reproduction de l’avifaune et en la concentrant, favorisera la prédation. Durant les assecs, la répétition de labours profonds endommagera le système racinaire et affaiblira le dynamisme de la roselière, parfois au point de causer sa disparition. Dans chacun de ces cas de figure, le ragondin pourra avoir un impact décisif en faisant rapidement disparaitre une ceinture végétale extrêmement fragilisée. Et il est probable que la conjonction de ces facteurs soit à l’origine de la régression réelle et préoccupante de la roselière.

Les groupements à joncs Juncus sp et Baldingère Phalaris arundinacea, qu’en formations homogènes ou monospécifiques on nommera « jonchaie » et « phalaridaie », variantes basses de la roselière, sont également le siège d’une communauté animale particulière : les canards, comme le Fuligule milouin Aythya ferina, s’y reproduisent. Selon sa physionomie – hygromorphie, présence de ligneux, morcellement - elles accueillent des passereaux paludicoles tels que le Bruant des roseaux Emberiza schoeniclus, la Locustelle luscinioïde Locustella luscinioides, le Phragmite des joncs Acrocephalus Schoenobaenus, mais également des Rallidés : le commun Râle d’eau Rallus aquaticus , les occasionnelles Marouette ponctuée Porzana porzana et de Baillon Porzana pusilla, deux espèces de la Directive Oiseaux.

Râle d'eau

Râle d'eau et consorts : hôtes fantomatiques de la roselière et autres bonnes surprises

Le Héron pourpré Ardea purpurea

Le Héron pourpré est un visiteur d'été élégant et discret. Avril marque son arrivée et si l'on sait observer , on distinguera sa silhouette au travers du rideau de roseaux encore jaunes et secs : il  déjà choisi le lieu où il nichera. C'est en effet un héron dit"paludicole". Contrairement au Héron cendré, le plus souvent arboricole, le "pourpré" est inféodé à la roselière. Celle-ci rétrecissant d'année en année, il serait justifié de considérer le Héron pourpré comme menacé.

Figé au-dessus d'un lit de Potamot noueux où il guette la Grenouille,  veillant entre les feuilles de Sagittaire ou de Rubanier où glisse la tanche,  toujours l'oiseau parfois frémissant évoque un long serpent dressé, rayé et raidi dans l'affût de la proie.

Héon pourpré dans une roselière

Héron pourpré dans une phragmitaie

Un Héron pourpré a capturé un poisson

Héron pourpré

Plus tard, en juin et juillet, la roselière résonne de caquètements qu'il nous faut attribuer à la nichée de 3 à 4 jeunes affamés et impatients, que l'on doit imaginer dressés au nid, le bec ouvert, au moins autant pour réguler leur température que pour se signaler à l'attention d'un parent au retour de pêche.

En novembre, les pêches d'étangs. Le Héron pourpré échappe aux récriminations qui pointent d'autres espèces piscivores : quelque part, peut-être dans le delta du Sénégal, et plus loin encore, notre Héron pourpré hiverne, et nul bruit ne le touche plus.

Héron pourpré

Héron pourpré (Directive Oiseaux) entouré de Marsilée à quatre feuilles (Directive habitats)

Population actuelle :

Au milieu des années 1990, une recherche exhaustive des colonies dombistes par l'ONCFS  révèle une population estimée entre 400 et 450 couples.

En 2004, un échantillonnage réalisé sur une quarantaine de sites  sur 80 potentiellement favorables dénombre a minimum 320 couples. Toutefois la roselière ayant diminué de moitié entre 1997 et 2004 on peut logiquement s'attendre à ce que la population nicheuse de hérons pourprés  ait également régressé.

Directive Oiseaux

Le Ragondin

Depuis quelques années, la roselière décroît sensiblement.

Rapidement incriminé, l’impact d’une espèce exogène, le Ragondin Myocastor coypus, est bien réel et totalement démontré. Ce monumental rongeur – le poids des mâles peut avoisiner une douzaine de kilos - est originaire d’Amérique du Sud. Introduit en France où il était élevé pour sa peau, il s’est finalement échappé des élevages à leur fermeture.

Ragondin, gros plan

Le Ragondin (Myocastor coypus)

Il apparaît sur le plateau à la fin des années 80, alors qu’il est régulier depuis des années déjà sur la Saône, l’Ain et le Rhône, où il cohabite avec le Castor européen Castor fiber.

La population explose littéralement à partir de la seconde moitié des années 90 : il cause d’importants dégâts dans les chaussées et berges d’étangs. Principalement herbivore, son impact sur les roselières a été récemment démontré.

Sa capture exige une mobilisation importante de la part des piégeurs agréés, c’est à dire détenteurs d’une formation et d’autorisations légales. Cette lutte rappelle celle organisée dans les années 1960 contre le Rat musqué, un autre rongeur également originaire du Nouveau Monde et qui fut pratiquement éradiqué des étangs (en même temps d’ailleurs qu’un de ses prédateurs essentiels, le Putois Mustela putorius). Mais l’inertie qui a accompagné la dynamique démographique exponentielle du Ragondin ne peut que laisser dubitatif quant à l’éventualité d’une issue comparable à celle du rat musqué. Autant dire que l’on doit désormais s’attendre à considérer le Ragondin et son piégeage comme des composantes pérennes de la vie locale : leur impact respectif aura une incidence fondamentale sur le devenir de l’écosystème.